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Au coeur de l'éthique
Thérèse d'Avila, Pascal, Denis Vasse


Thérèse d'Avila


« Sur notre chemin habitait un frère de mon père, très avisé, de grande vertu, veuf, et le Seigneur l'attirait aussi à lui ; dans sa vieillesse il abandonna tout ce qu'il avait et se fit moine ; sa fin fut telle que je crois qu'il jouit de Dieu. Il voulut me garder chez lui quelques jours. La lecture de bons livres en castillan l'occupait uniquement, et son sujet de conversation était presque toujours Dieu et la vanité du monde. Il me demanda de lui faire la lecture, et bien que cela ne me plût point, je montrai le contraire ; car j'ai toujours extrêmement aimé à faire plaisir aux gens, même lorsque cela m'ennuyait ; à tel point que ce qui eût été vertu en quelqu'un d'autre fut chez moi une grande faute, car cela m'incita souvent à manquer de prudence.

(Autobiographie III,4)


Pascal

La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi et de considérer que soi... C'est sans doute un mal que d'être plein de défauts ; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent ; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne le méritent : il n'est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause, et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à nous délivrer d'un mal, qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu'ils les connaissent, et qu'ils nous méprisent : étant juste et qu'ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtraient d'un coeur qui serait plein d'équité et de justice. Que devons-nous donc dire du nôtre en y voyant une disposition toute contraire ? Car n'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité de ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux autres que nous ne sommes en effet. (Br.100)

« Le moi est haïssable... » (Br. 455)

Qu'est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.

Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont pas ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. (Br. 323) Que l'homme maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il y a en lui une nature capable de bien, mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont...

Qu'il se haïsse, qu'il s'aime (Br.423)

Etre membre, est n'avoir de vie, d'être et de mouvement que par l'esprit du corps et pour le corps...
(Le membre) en aimant le corps, il s'aime soi-même, parce qu'il n'a d'être qu'en lui, par lui et pour lui : qui adhaeret Deo unus spiritus est.
Le corps aime la main ; et la main, si elle avait une volonté, devrait s'aimer de la même sorte que l'âme aime. Tout amour qui va au-delà est injuste.
Adhaerens Deo unus spiritus est. On s'aime parce qu'on est membre de Jésus-Christ, parce qu'il est le corps dont on est membre. Tout est un, l'un est en l'autre, comme les trois Personnes. (Br. 483)


Denis Vasse

Quand les genoux de notre prétention imaginaire fléchissent devant le don incompréhensible de la vie, l'homme intérieur se fortifie. Il s'enracine dans l'amour d'un Père de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom. Là où l'image de l'homme selon la loi se heurte et se brise, là se répand l'esprit selon la promesse de celui qui appelle à l'existence sans raison, par amour. Toute paternité charnelle ou spirituelle ne peut être que métaphorique de ce don, de l'acte originaire de la Vie. (...)

La porte que je dois franchir pour aller à la rencontre de l'Autre et vivre de lui est ouverte depuis toujours. C'est moi qui la ferme en voulant connaître ce qui parle au moyen de la loi du langage déconnectée du don de la parole. Cette fermeture se paye du prix de me faire vivre par moi-même et de m'autonommer Sujet de la Loi en tentant d'y satisfaire.

En voulant ouvrir par moi-même, je ferme. Lorsque l'homme lâche la ceinture de la loi à laquelle il croyait satisfaire, dans sa course, parce qu'il l'avait lui-même nouée autour de ses reins, il étend les mains vers celui qui, le premier et sans qu'il le sache, l'a depuis toujours, en lui donnant la vie, noué à lui dans l'amour. Sur ce bord, à cette limite, il apprend à marcher vers le Père avec la hâte de l'Esprit qui découvre en lui ce qu'il cherchait hors de lui. L'Autre devient sa demeure, son corps.

« L'Autre du désir et le Dieu de la foi »
(Seuil) P. 225-226