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Bienheureux les pauvres
Madeleine Delbrel

« Partez dans votre journée (…) sans projet sur Dieu, sans souvenir sur lui. (…) Partez sans carte de route pour le découvrir, sachant qu’il est sur le chemin et non le terme. »

Madeleine Delbrel (1904-1964) est à la fois assistante sociale et mystique. Elle a longtemps vécu avec des compagnes à Ivry-sur-Seine. Elles s'attachent à rencontrer les gens où ils vivent et à partager leur vie quotidienne. Madeleine s’engage aussi dans des actions collectives en vue de faire évoluer les politiques sociales. Essayiste et poétesse, elle laisse une importante œuvre littéraire (1).

Être pauvre, ce n’est pas intéressant : tous les pauvres sont bien de cet avis.
Ce qui est intéressant, c’est de posséder le Royaume des Cieux, mais seuls les pauvres le possèdent.
Aussi ne pensez pas que notre joie soit de passer nos jours à vider nos mains, nos têtes, nos cœurs.
Notre joie est de passer nos jours à creuser
la place dans nos mains, nos têtes, nos cœurs,
pour le Royaume des Cieux qui passe.
Car il est inouï de le savoir si proche, de savoir Dieu si près de nous, il est prodigieux de savoir son amour possible tellement en nous et sur nous,
et de ne pas lui ouvrir cette porte,
unique et simple,
de la pauvreté d’esprit. (…)
Partez dans votre journée sans idées fabriquées d’avance et sans lassitude prévue
sans projet sur Dieu, sans souvenir de lui,
sans enthousiasme,
sans bibliothèque,
à sa rencontre.
Partez sans carte de route pour le découvrir, sachant qu’il est sur le chemin et non au terme.
N’essayez pas de le trouver par des recettes originales : mais laissez-vous trouver par lui dans la pauvreté d’une vie banale.
La monotonie est une pauvreté : acceptez-là.
Ne cherchez pas les beaux voyages imaginaires,
Que les variétés du Royaume de Dieu vous suffisent et vous réjouissent.
Désintéressez-vous de votre vie, car c’est une richesse de tant vous en soucier : alors la vieillesse vous parlera de naissance, et la mort de résurrection.

Madeleine Delbrel
Peinture de Jankel Adler

1- Le texte cité ici est extrait de Madeleine Delbrel, Joies venues de la montagne. Études carmélitaines, 1947 / Retour au texte