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Charles de Foucauld et l'esclavage
Correspondance de Charles de Foucauld

L’Eglise catholique a décidé de donner à Charles de Foucauld la qualité de saint. À l’occasion de cette canonisation « Dieu maintenant » vous propose des extraits de correspondances, portant sur l’esclavage, échangées en 1902 entre lui et Dom Martin l’abbé de l’abbaye Notre-Dame-Des-Neiges. Charles de Foucauld se montre prêt à toutes les concessions sur le gouvernement des hommes, « Mais ceci dit » il ne laisse rien passer dès qu’il s’agit de l’Évangile c’est-à-dire du service des plus pauvres.

(0) Commentaires et débats

De frère Charles de Jésus à l'abbé de Notre Dame des Neiges
Beni-Abbès, 9 janvier 1902

« Mon bien aimé Père,

La pauvre demeure de votre enfant et son oratoire commence à être appelé la fraternité par les chrétiens, les musulmans et les juifs. La journée d’aujourd’hui est l’une des plus bénies de ma vie : pour la première fois, j’ai pu racheter un esclave ; non sans peine, avec l’aide de saint Joseph à qui j’avais confié la chose, j’ai pu ce soir rendre la liberté à un pauvre adolescent du Soudan arraché il y a quatre ou cinq ans à sa famille ; le capitaine a qui j’ai confié ma petite bourse m’a envoyé le prix accepté par le maître de « Joseph du Sacré Cœur » (j’ai donné ce nom au pauvre libéré)… la libération de Joseph du Sacré Cœur me met totalement à sec et m’endette : envoyez moi des intentions de messe : si je reçois d’autre argent d’ici là, je vous les renverrai… »

fr.Charles de Jésus

Réponse de l'abbé
Notre Dame des Neiges, La Bastide (Lozère) le 23 janvier 1902

« Vénéré et bien cher père,

Ci-inclus 40F pour honoraires de quarante messes, vous le voyez les honoraires ne sont pas riches. Je tâcherai de compenser une autre fois…

Question d’esclavage : Prenez garde, vous risquez de compromettre la mission que le Bon Dieu semble vous avoir donnée là-bas, si vous manquez de prudence en cette affaire.
Nous, prêtres, nous ne sommes pas préfet de police, ni Procureur de la République : chargés de réprimer matériellement les manquements aux lois.
Imitons Notre Seigneur et les apôtres : ils n’ont pas prêché la révolte des esclaves, ils n’ont pas obligé leurs maîtres à les libérer en masses. Mais ils ont prêché la doctrine de vérité. Cette doctrine a ordonné immédiatement le sort des esclaves, les a affranchis en grand nombre, et finalement a supprimé l’esclavage : mais on a mis dix siècles.
Faites comme Jésus et ses apôtres : enseignez la doctrine « in omni patientia » : faites aimer Jésus : la liberté viendra d’elle-même ; l’esclavage en mourra ; mais il faut du temps.

Évangile et révolution ne s’accordent pas. Ce n’est pas que l’Évangile ne fasse pas de révolutions : au contraire il fait toutes les révolutions bonnes et utiles ; mais il ne les fait pas d’une manière révolutionnaire.
La suppression théorique de l’esclavage est une question de doctrine. Mais la suppression pratique est une œuvre très délicate de gouvernement temporel, des plus délicates, pour laquelle vous n’avez pas mission. »

fr. Martin, abbé

Réponse de frères Charles de Jésus
Beni-Abbès, le 7 février 1902

« Mon bien aimé père,

Merci de tout cœur de votre lettre du 23 janvier reçue hier soir. Je vois que pour recevoir de vous réponse rapide le moyen est facile : demander de l’argent. Merci des 40 francs pour 40 messes pro defuncta Maria. Je suis bien touché que vous m’aidiez ainsi dans votre pauvreté ; merci aussi des timbres. Merci plus encore de la réponse si nette et si complète sur l’esclavage. Ce que vous dites est ce que je fais vis-à-vis des esclaves : loin de prêcher la révolte ni fuite, je dis : patience et espérance : Dieu permet vos peines pour votre amendement et votre gloire céleste : priez Dieu et sanctifiez-vous : « à qui cherche le royaume de Dieu le reste est donné par surcroît. » L’esclavage des hommes et la patrie terrestre passent vite, comme la vie. Pensez à l’esclavage de Satan et à la Patrie éternelle.

Mais ceci dit, et en les soulageant dans la mesure du possible, il me semble que le devoir n’est pas fini : et qu’il faut dire – ou faire dire par qui de droit – « non licet » ; « Vae vobis hypocritis » qui mettez sur les timbres et partout « liberté, égalité, fraternité, droit de l’homme » et qui rivez les fers des esclaves, qui condamnez aux galères ceux qui falsifient vos billets de banque et qui permettez de voler des enfants à leurs parents et de les vendre publiquement, qui punissez le vol d’un poulet et permettez celui d’un homme : (en effet presque tous les esclaves de ces régions sont des enfants nés libres enlevés violemment par surprise à leurs parents) : il faut « aimer le prochain comme soi-même » et faire pour ces pauvres âmes « ce que nous voudrions qu’on fit pour nous » empêcher qu’« aucun de ceux que Dieu nous a confiés ne se perde » et il nous confie toutes les âmes de notre territoire. Il ne faut pas nous mêler de gouvernement temporel, nul n’en est plus convaincu que moi, mais il faut « aimer la justice et haïr l’iniquité », et quand le gouvernement temporel commet une grave injustice contre ceux dont nous sommes d’une certaine mesure chargé (je suis le seul prêtre de la préfecture à 300 kilomètres à la ronde) il faut le lui dire, car c’est nous qui représentons sur la terre la justice et la vérité, et nous n’avons pas le droit d’être des sentinelles endormies, des « chiens muets » des « pasteurs indifférents ».

Je me demande en un mot si (nous sommes pleinement d’accord pour la conduite à tenir vis-à-vis des esclaves), il n’y a pas à élever la voix directement ou indirectement pour faire connaître en France cette injustice et ce vol sanctionné de l’esclavage en nos régions, et dire ou faire dire : Voilà ce qui se passe « non licet ».

J’ai prévenu le préfet apostolique : c’est peut-être assez. Loin de moi de désirer parler et écrire : mais je ne veux pas trahir mes enfants, ne pas faire pour JÉSUS, vivant en ses membres, ce dont il a besoin : c’est JÉSUS qui est dans cette douloureuse condition « ce que vous faites à un de ces petits, vous me le faites ». Je ne veux pas être mauvais pasteur ni chien muet. J’ai peur de sacrifier JÉSUS à mon repos et à mon très grand goût pour la tranquillité, et ma lâcheté et timidité naturelles. »

Fr. Charles de Jésus