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CIASE Points de vue d'amis

Parmi toutes les réactions que nous avons reçues après la publication du rapport de la CIASE, nous retenons ces deux points de vue différents sur ce qu'il faudrait mettre en place dans un avenir proche ou lointaine. Ils appellent vos propres commentaires.

Jean-Luc Lecat écrit : « Lutter contre le cléricalisme n'est-ce pas avoir l'audace et le courage de dire non à la source même du cléricalisme, le sacerdoce ministériel, quelles que soient toutes les raisons historiques ou théologiques que l'on puisse en donner ? » :
Cléricalisme et pouvoir, Jean-Luc Lecat

Francis Raugel, quant à lui, écrit :"Eh bien non ce n'est plus possible de mélanger la gouvernance spirituelle - la fonction essentielle des "clercs"- et le management de l'organisation-église. Et il faut introduire dans le management de cette organisation les règles mises en œuvre dans les organisations : L'Eglise après la CIASE, réflexions et suggestions, Francis Raugel

(0) Commentaires et débats

Cléricalisme et pouvoir ?
Jean-Luc Lecat

Un être "prêtre" et un être "laïc" ?

Il me semble que le cléricalisme dénoncé par François est lié au pouvoir (le "pouvoir sacré" dit Vatican II) que l'on a attribué à certains hommes (les clercs) au nom de l'Évangile. Et tant qu'on ne remettra pas en cause ce pouvoir, le cléricalisme demeurera.

La difficulté fondamentale est que ceux qui détiennent ce pouvoir (clérical) sont ceux qui devraient le dénoncer, alors que leur être comme leur existence sont construits dessus. Comment scier la branche sur laquelle on est assis ? (Le drame de François lui-même n'est-il pas que c'est au nom de son pouvoir qu'il dénonce ce pouvoir, ...ce qui est encore du cléricalisme).

En fait c'est vraiment le peuple des baptisés qui, seul, est en droit - et en obligation - de le dénoncer. Mais en a-t-il réellement le pouvoir et comment ? ...puisqu’immédiatement les clercs (évêques, prêtres et diacres) en poste risquent de réagir et de crier au délit, à la désobéissance ou au sacrilège, à moins qu'ils ne parlent d'incompétence théologique ou de méconnaissance de l'histoire de l'Église...

Selon moi, on ne peut pas lutter contre le cléricalisme sans contester le sacerdoce ministériel, cette aptitude quasiment divine donnée à quelques hommes de pouvoir parler au nom de Dieu, agir au nom de Dieu, pardonner au nom de Dieu, consacrer au nom de Dieu, condamner au nom de Dieu !...

Nous sommes tous membres d'un peuple, à égalité de dignité et de responsabilité... Nous pouvons avoir des fonctions différentes mais nous n'avons pas des êtres différents (un être "prêtre" et un être "laïc " !) : nous sommes tous baptisés dans le même Esprit, et si sacerdoce il y a, il n'y en a qu'un : notre sacerdoce commun.

L’Église a créé un sacerdoce ministériel

Or l'Église a créé un sacerdoce ministériel transmis par une ordination qui confère un caractère décrété ineffaçable, comme le baptême : " tu es prêtre pour l'éternité". Ceci est pour moi une erreur à la racine, radicale.

Qu'il y ait besoin de ministres, de gens - hommes et femmes bien sûr- assumant des fonctions dans le peuple de Dieu, c'est évident, mais ce ne peuvent être que des fonctions temporaires de service, de fonctionnement, sans aucun pouvoir spécifique "sacramentel".

Ce pouvoir "sacramentel" donné à des hommes, - et seulement à des hommes ! - pour traduire l'action de Dieu est, me semble-t-il, la racine même du cléricalisme : on en fait des êtres humains différents, revêtus de pouvoirs exceptionnels et réservés, et dès lors la dérive n'est pas loin pour que toutes leurs actions (même non "sacramentelles") deviennent auréolées, inattaquables... Tant qu'on ne voudra pas le reconnaître on risque de n'apporter que des remèdes passagers et superficiels.

Bien sûr, j'en suis certain, bon nombre de prêtres n'ont jamais voulu profiter de ce statut pour dominer, ou abuser des chrétiens jeunes ou moins jeunes, pour gérer les finances qui leur étaient confiées ou pour briguer des postes de puissance ou de domination.

Il n'en reste pas moins que ce statut de prêtre, à part, allant même jusqu'à être configuré au Christ, avec tous les pouvoirs qui y sont attachés, crée un type de relation de dépendance, de soumission, de la part de ceux qui vivent dans l'environnement ou sous la coupe de ce pouvoir. Il suffit de voir comment, même dans des communautés apparemment "éclairées", le rôle de prêtre reste absolument central et déterminant. "Monsieur le curé a dit... monsieur le curé veut que... monsieur le curé ne pense pas que... qu'en pense monsieur le curé ?..."

Nous n'avons vraiment qu'une chose à faire, en ce temps de tempête pour l'Église, et comme nous y invite François, c'est de lutter de toutes nos forces contre le cléricalisme et pour une vraie responsabilité de tous les chrétiens. "Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme" (Lettre du pape François au peuple de Dieu" 20 août 2018).

Un seul sacerdoce, celui de tout le peuple des baptisés

Et permettez-moi de le redire en poussant la logique jusqu'au bout : lutter contre le cléricalisme n'est-ce pas avoir l'audace et le courage de dire non à la source même du cléricalisme, le sacerdoce ministériel, quelles que soient toutes les raisons historiques ou théologiques que l'on puisse en donner ?

Un seul sacerdoce, celui de tout le peuple des baptisés. Rêve ou utopie créatrice ? C'est en tout cas ma conviction profonde et, pour moi, le seul vrai moyen d'échapper au cléricalisme qui engendre tant d'abus, non seulement au niveau de la sexualité mais aussi au niveau de l'argent et du pouvoir.

Et si cette intuition s'avérait juste, comment vivre une telle révolution théologique et culturelle sans tout détruire ?
Comment permettre à chacun, prêtre ou laïc d'aujourd'hui, de se reconstruire avec les autres, en Église, dans sa conscience de disciple du Christ appelé à être témoin de Bonne Nouvelle pour notre monde si chahuté et si nouveau ?

Cherchons et inventons ensemble ! ...
À l'écoute de l'Esprit bien sûr !

Jean-Luc Lecat-Deschamps, mis en ligne le 23 octobre 2021
Peintures de James Somerville

L'Eglise après la CIASE, réflexions et suggestions
Francis Raugel

Demander pardon à la société

"Il faut que l'Église soit divine pour que ses prêtres ne l'aient pas mise par terre."

Voilà ce que disait, il y a une soixantaine d'années, au groupe de jeunes qu'il réunissait autour de lui le - remarquable - curé de mon petit village de Gironde (un Pradosien !) (il me semble qu'il nous avait dit l'auteur de cette maxime mais j'ai oublié).

Le problème ne date donc pas d'aujourd'hui !

Après la tempête de cette semaine je voudrais faire part de quelques réflexions d'un "catholique de base" qui participe à l'Eglise depuis bientôt... 78 ans ! Il me semble d'abord que les évêques doivent collectivement au début de la prochaine assemblée de Lourdes demander pardon à la société française.
Cela ne veut aucunement dire qu'ils sont personnellement coupables de ces abus ou du laisser faire de ces abus ; mais ils sont le corps central d'une institution et ne peuvent s'extraire de cette responsabilité collective: on n'est pas évêque pour soi mais comme partie prenante de l'Église qui est en France : et je veux dire avec une grande fermeté que ceux qui refuseraient cette responsabilité devraient en tirer les conséquences en démissionnant.

Pour que cette demande de pardon soit signifiante je la verrais bien exprimée sur le parvis de l'Hôtel de Ville de Lourdes au cœur de la société.

Faire reconnaître le travail de l’immense majorité des prêtres

Je crois ensuite qu'il faudrait dire très fortement à cette société française : oui il y a des brebis galeuses dans l'Église mais il n'y a pas que ça et elles sont très minoritaires.

Et je suggère qu'une grande campagne sur ce que sont et font l'immense majorité des prêtres soit lancée : cela coûtera cher je sais et je suis prêt - car c'est une cause éminemment positive alors que l'indemnisation est seulement une réparation - à exceptionnellement doubler en 2022 mon denier du culte.

J'ai connu pas mal de prêtres et j'ai été admiratif devant les qualités de la grande majorité (et je ne parlerai même pas de ceux qui ont été jusqu'au martyre comme Pierre Claverie - que j'ai bien connu- ou les moines de Tibhérine) Il faut que ce soit dit!

Distinguer la gouvernance spirituelle et le management de l’Église

Il me semble aussi indispensable - et là c'est notamment le membre du MCC (Mouvement des Cadres Chrétiens) depuis plus de 50 ans qui parle - avoir le courage de repenser le fonctionnement de l'Eglise;
Pour distinguer deux domaines - en schématisant l'un du ciel l'autre de la terre - : la gouvernance spirituelle et le management de l'organisation-église.

Ces deux domaines sont depuis un certain nombre de siècles confondus dans une même main (le curé de ma paroisse actuelle me disait il y a quelques mois alors qu'on discutait d'un projet : c'est au curé de décider !).

Eh bien non ce n'est plus possible de mélanger la gouvernance spirituelle - la fonction essentielle des "clercs" - et le management de l'organisation-église Et il faut introduire dans le management de cette organisation les règles mises en œuvre dans les organisations :

- et d'abord le principe d'une décision élaborée collectivement (dans un comité exécutif, un conseil d'administration, un conseil de direction...) dans une sorte de co-gestion entre clercs et laïcs,
- la nécessité de fonctions définies clairement,
- le principe du contrôle de l'action de chacun et de l'audit régulier du fonctionnement de l'organisation,
- la méthode qui se développe de plus en plus de travail en petits groupes, en équipe de projet,
- respecter le plus possible la mixité dans les responsabilités, les fonctions,
- créer autant que faire se peut des "tandems" (cela se fait de plus en plus et très bien pour les cérémonies funéraires).

Changer la perception réciproque entre clercs et laïcs

Il faut aussi changer la perception réciproque entre clercs et laïcs.

Et notamment "désacraliser" la vision du prêtre qu'ont trop souvent les chrétiens: seul Dieu est sacré et les hommes ne sont que des médiateurs (médiateurs qui ont certes une vocation particulière, une formation spéciale, un rôle tout à fait spécifique dans l'Eucharistie... pour rendre Dieu présent et nous conduire à lui) (si cette sacralisation du prêtre n'avait pas existé beaucoup de familles n'auraient pas hésité à dénoncer les auteurs de violences sexuelles).

Réciproquement le prêtre ne doit pas oublier que le laïc (et j'ai encore en mémoire notre aumônier d'étudiant nous parlant du P. Congar et de sa théologie du laïcat) est aussi prêtre, prophète et roi.

Il faut que chacun retrouve ce pour quoi il est fait.

Une dernière suggestion qui en quelque sorte résumerait : toutes les suggestions précédentes :
changer l'appellation de la CEF (Conférence de l'Episcopat de France) en CCF: Conférence des catholiques de France

Francis Raugel, le 23 octobre 2021
Peintures de James Somerville