Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à " Chrétiens en Occident " Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

Débat entre Marie-Reine Mezzarobba et Christine Fontaine
à partir de l'article " Le combat perdu de l'Eglise " ?

A la suite de l'article de Christine Fontaine "Le combat perdu de l'Eglise ?", un débat s'est engagé avec Marie-Reine Mezzarobba qui est théologienne. Christine et Marie-Reine se rejoignent sur certains aspects mais ne partagent pas pour autant exactement le même point de vue. Nous avons pensé que leur échange pourrait relancer la réflexion.

On peut trouver l'article de Christine Fontaine à la page :
Le combat perdu de l'Eglise ?

Il est fait allusion dans le débat avec Marie-Reine et dans l'article de Christine à un passage de l'Evangile de Matthieu qui décrit la Loi Nouvelle selon Jésus-Christ. On trouve ce texte en cliquant sur le lien suivant : Matthieu 5, 17-48

(0) Commentaires et débats

De Marie-Reine à Christine

Je viens de lire ton article, quel travail colossal ! La phrase qui me touche le plus, qui est "mon évangile" comme le dirait Saint Paul est la suivante : "Le Dieu des chrétiens n’est pas le Souverain qui demande à l’humanité de se soumettre aux lois qu’il a fixées dans la nature. Notre Dieu est Celui qui descend au plus profond de l’humanité et met de l’Amour là où il nous est impossible d’aimer ou de nous croire aimés. Témoigner de cet amour ne consiste-t-il pas à accueillir chacun avec son histoire particulière sans avoir l’arrière pensée de faire entrer les dissidents dans la norme ?"

Là où je reste sur ma faim, c'est que je crois que le consensus social n'est pas toujours référé à la vérité, n'est pas obligatoirement ce qui conduit les humains au bonheur, même si tel est son vœu. La démocratie a été une heureuse alternative à la royauté ; mais en ce moment elle vire du côté de la démagogie. Après la démagogie nous nous chercherons un Maître, un Führer, qui dira à tous ce qu'ils doivent faire ! La parole des prophètes, dans le contexte politique qui était le leur, était très mal vécue par tous les systèmes de pouvoir (royal, religieux et populaire) et elle leur valait la mort ! Ça a été le cas aussi pour Jésus.

Alors, à 100% d'accord avec ta conception de la loi de Dieu à 0% que signerait mon maître Paul Beauchamp (1). Mais en quête d'un oser parler, d'oser adresser une parole qui tranche (pas d'imposer une loi) hors de la séduction et du consensus qui nous englue dans un nouveau prêt à penser consensuel et normatif qui n'est certes pas celui de l'Église, mais qui n'est pas meilleur.

Renoncer à plaire et oser parler... d'une parole nue qui sera accueillie ou rejetée et qui ne cherche pas à prendre le pouvoir. "Ils parlèrent pour avoir parlé" disait Beauchamp des prophètes. Évidemment cela ne règle pas les questions de société qui ont pourtant besoin de l'être...

De Christine à Marie-Reine

Merci beaucoup pour ton commentaire. Je crois que l'essentiel de mon article repose sur la rencontre et l'opposition des 2 systèmes de pensée que j'ai tenté d'exposer. J'oppose un régime de pensée centré sur l'Un (régime de la pensée unique qui est celui aussi du monothéisme : l'Un sans l'Autre). J'homologue ce régime à celui d'une pensée centrée sur soi (ou sur "moi") et j'écris : "L’accord entre les uns et les autres n’est jamais accompli une fois pour toutes ; il est toujours à chercher mais il peut également toujours être mis en péril par ceux qui veulent centrer le pouvoir sur eux au détriment des autres."

La démocratie, dans cette conception, est une lutte contre cette "centration", un combat. La démocratie n'est jamais accomplie, elle est toujours "à venir" (cf Derrida, Nancy, etc. : "la démocratie est un modèle sans modèle"). Une parole de prophète - et c'est bien le cas dans la Bible - est une parole qui décentre, qui combat pour ouvrir sur l'Autre, quitte à y laisser sa vie. Je ne crois pas du tout que ce que pense la majorité soit nécessairement juste. Je crois simplement qu'il n'y a pas d'autre vérité de droit divin que l'amour allant jusqu'à celui des ennemis, l'inconditionnel de l'hospitalité vécue un jour par Jésus sur la croix et qui demeure pour toujours aux yeux des croyants à titre d'appel. Toutes les autres lois et vérités - si elles ne se réfèrent à l'inconditionnel d'un amour inaccessible - ne sont qu'airain qui sonne ou cymbale qui retenti. C'est à cet inconditionnel que l’Église, à mon avis, doit tendre et qui ne sera jamais totalement réalisé (heureusement sinon nous serions arrivés et non plus en chemin... donc nous ne serions plus à la suite de Jésus qui a dit être le Chemin, la Vérité, la Vie).

Je ne suis pas sûre d'être arrivée à préciser mieux ma pensée. Merci en tout cas de m'avoir permis de l'approfondir. Il me semble que ce que j'écris sur les deux systèmes de pensée est pertinent... même si, malgré mes efforts, il me reste beaucoup de travail pour le faire comprendre. Il me semble que Denis Vasse (2)- que tu connais bien - est dans le deuxième système de pensée : le jeu de taquin (l'image du taquin vient de Lacan avec qui Denis Vasse a longtemps travaillé).

De Marie-Reine à Christine

Ton article est très clair. Je partage totalement ce que tu dis de l'accueil inconditionnel des personnes qui devrait exister dans l’Église, qui est ce vers quoi nous devons tendre. Je me réjouis beaucoup que le pape François s'attaque à la mentalité de douaniers qui préside à bien des fonctionnements. Je tentais surtout de faire un pas de côté par rapport à ce que tu écrivais et d'alerter sur les questions anthropologiques qui ne sont pas le cœur de ton propos.

Vasse n'est pas resté uniquement lacanien : il a beaucoup travaillé sur la question du rapport à la vérité et au mensonge ; il parle des trois axes fondamentaux pour la structure humaine : vie/mort ; homme/femme ; vérité/mensonge (attention ce ne sont pas 3 oppositions). Ce sont ces axes qui sont niés aujourd'hui : déni de la mort, déni de la réalité du sexe et du corps, disparition de la question de la vérité.

As-tu lu le Rapport sur l'égalité entre les filles et les garçons dans les modes d'accueil de la petite enfance (décembre 2012 - rapport de Brigitte Gresy et Philippe Georges, membres de l'Inspection générale des affaires sociales) ? On peut le télécharger sur internet. Ce prêt à penser-là me fait trembler.

Je rejoins le commentaire de Jean-Luc quand il écrit (dans les commentaires et débat): "Mais toutes les règles ne sont pas sur le même plan. Il existe bien des lois fondamentales ayant une vocation universelle (la déclaration universelle des droits de l'homme). L'idée que le droit est inconsistant et se contente d'enregistrer passivement la variation incessante des différents rapports de force qui travaillent l'opinion et la société refuse de prendre en compte la fonction anthropologique du droit. Au fond la question de la loi est plus complexe qu'il n'y parait." et aussi : "J'attends de l’Église qu'elle soit un point d'appui permettant un rapport critique à la société contemporaine. Je ne suis pas sûr de souhaiter son silence"

Il importe que les enfants d'aujourd'hui et de demain trouvent encore des adultes, et des pères, capables de "dire la loi" (pas de "faire" la loi) et de ne pas chercher à séduire leurs enfants. Et je ne sais pas comment le formuler. L’Église s'y prend très mal avec ses condamnations et ses exclusions. Elle est pourtant porteuse de repères anthropologiques essentiels. En fait le légalisme de l’Église la rend inaudible, détruit son message.

De Christine à Marie-Reine

Tu dis que tu essayais de faire un pas de côté par rapport à mon article ; si c'est "un pas de côté", je comprends mieux. Car mon propos n'était pas de traiter d'une manière générale de la fonction anthropologique du droit (que je ne nie bien sûr pas) mais de la place de l’Église dans la société, de ce qu'elle a (ou pourrait avoir) d'unique. Jean-Luc qui est juriste me renvoyait à sa propre problématique sans, à mon avis, voir vraiment où je me situais. C'est un peu comme si je parlais dans une cuisine et qu'on me réponde comme si j'étais dans la salle à manger... je ne peux que dire à Jean-Luc "tu as raison mais je ne suis pas là !" (pardon pour la comparaison).

J'essaye de dire que la loi à 0% a bien un contenu (une vérité) : chaque commandement décrit un comportement extrêmement précis. De plus cette vérité est immuable (pas un iota ne doit en être changé). Elle est immuable et inaccessible à vue humaine (« Soyez parfaits comme votre Père est parfait »). Elle se situe donc par-delà tout ce qu'on peut imaginer ou concevoir. Sa fonction est l’opérer le passage entre l'obéissance à des lois et l'obéissance de la foi. Autrement dit, elle permet d'en appeler à l'Autre pour recevoir gratuitement ce que nous ne pouvons pas obtenir par nous-mêmes. Elle ouvre à une vie dans la grâce, le don et le pardon. C'est ce que tu appelles, me semble-t-il, sortir de "l'autosuffisance". Pour moi l'eucharistie est le signe adressé par Jésus-Christ de cette vie dans le don gratuit accordée à tous et reçue dans la foi pour les croyants. C'est pourquoi je crois que l'Eucharistie ne peut pas servir de moyen d'exclure les croyants quels qu'ils soient.

Reste que l’Église comme n'importe quel autre groupe ne peut pas vivre sans des lois. Mais aucune ne peut être absolue ou comme la hiérarchie le dit "de droit divin". La seule "de droit divin" est celle à 0% (cf. Matthieu 5, 17-48). Pour toutes les autres lois, il convient de s'ajuster au mieux pour marcher vers les lois à 0% en tenant compte de la société dans laquelle on vit. Il faut en même temps maintenir le cap et ajuster le possible dans une société donnée (c'est l'incarnation). Cette tension permet de voir le pas qu'il faut poser aujourd'hui et qui ne sera jamais le dernier pas... La vie alors devient Chemin... pour l’Église et pour chacun...

De Marie-Reine à Christine

J’essayais effectivement de faire un pas de côté. Cependant, ce "pas de côté" ou ce "répondre depuis la salle à manger à celle qui parle dans la cuisine" est bien nécessaire aussi pour aborder les "autres" questions en rapport avec ce qui se dit dans la cuisine. Nous ne pouvons dire qu'une chose à la fois ! C'est pourquoi la diversité des Églises est une chance : chacune dit aux autres : "attention, n'oubliez pas ça !" et apporte sa note personnelle et partielle.

Je suis à 100% d’accord avec toi et tu as tout à fait raison de tenir le discours que tu tiens quand tu écris : « J'essaye de dire que la loi à 0% a bien un contenu (une vérité) : chaque commandement nouveau le décrit extrêmement précisément. De plus cette vérité est immuable (pas un iota ne doit en être changé). Elle est immuable et inaccessible à vue humaine (soyez parfaits comme votre Père est parfait). Elle se situe donc par-delà tout ce qu'on peut imaginer ou concevoir. Sa fonction est d’opérer le passage entre l'obéissance à des lois et l'obéissance de la foi. Autrement dit, elle permet d'en appeler à l'Autre pour recevoir gratuitement ce que nous ne pouvons pas obtenir par nous-mêmes. Elle ouvre à une vie dans la grâce, le don et le pardon. C'est ce que tu appelles, me semble-t-il, sortir de "l'autosuffisance". Pour moi l'eucharistie est le signe adressé par Jésus-Christ de cette vie dans le don gratuit accordée à tous et reçue dans la foi pour les croyants. C'est pourquoi je crois que l'Eucharistie ne peut pas servir de moyen d'exclure les croyants quel qu'ils soient. »

Je suis également en plein accord avec ce que tu écris, de manière limpide : « Reste que l’Église comme n'importe quel autre groupe ne peut pas vivre sans des lois. Mais aucune ne peut être absolue ou comme la hiérarchie le dit "de droit divin". La seule "de droit divin" est celle à 0%. Pour toutes les autres lois, il convient de s'ajuster au mieux pour marcher vers les lois à 0% en tenant compte de la société dans laquelle on vit. Il faut en même temps maintenir le cap et ajuster le possible dans une société donnée (c'est l'incarnation). Cette tension permet de voir le pas qu'il faut poser aujourd'hui et qui ne sera jamais le dernier pas... La vie alors devient Chemin... pour l'Église et pour chacun... »

Ce que je cherche moi-même à formuler depuis plusieurs années et sans y parvenir, c'est ce qui a trait aux lois fondamentales de la vie humaine : meurtre, vol, mensonge (et donc y compris par omission dans la confusion), convoitise, adultère... Comment dire la loi sans stigmatiser des coupables livrés à notre vindicte bien pensante ? En ce moment, pour ne pas "culpabiliser", pour ne pas stigmatiser, nous mentons et nous enferrons peu à peu dans un mensonge collectif dont chacun fait les frais sans le savoir puisqu'il est pris dans ce mensonge. (Saint Paul a eu le même problème avec la compréhension perverse de son "nous ne sommes plus sous la Loi mais sous la grâce".)

L’Église finit par rester l'un des seuls lieux où l'on ose encore dire qu'il y a mort dans l'avortement, et que l'altérité est essentielle dans les relations humaines : donc que l'hétérosexualité reste une "norme" (je ne sais pas comment formuler) fondatrice. Elle le dit très mal, c'est vrai. Elle se rend inaudible. Et elle finit, par son légalisme, par contribuer au trouble général. L'encyclique Humanae vitae en stigmatisant des modes de contraception n'a pas pu aller au cœur de la question de la relation conjugale : respect de l'autre et non utilisation pour sa consommation personnelle, lien de la parole, du cœur et du corps et non dissociation. Au final, Humanae vitae contribue à sa manière à la pornographie qui dissocie corps et parole. Reste cependant qu'il devient de plus en plus urgent de ne pas laisser ces sujets aux seuls intégristes ou même à l’Église institutionnelle.

Et j'ai une attente vis à vis de Dieumaintenant pour que nous trouvions comment dire cette parole qui tranche dans la confusion mortelle : qui délivre les vivants, en séparant vérité et mensonge (cf. le jugement de Salomon dont la parole permet à la mère de distinguer en elle ce qui est maternité et ce qui est meurtre).

De Christine à Marie-Reine

Tu parles de "lois fondamentales de la vie humaine". Il me semble qu’avant tout l'homme (et la femme!) est un être de parole. Parler c'est toujours dire quelque chose et le dire à quelqu'un. Considérée dans sa fonction référentielle (dire quelque chose), la vérité est de l'ordre du savoir; considérée dans sa dimension d'énonciation (je te parle, tu m’écoutes et tu me réponds…), la vérité c'est de communiquer les uns avec les autres. A mon avis, on ne peut pas vivre en société sans consentir à ce va-et-vient entre ces deux fonctions du langage. Ce va et vient permet de forger un consensus sans cesse à reprendre où l'ouverture à d'autres points de vue permet que le sien évolue (comme tu le dis) ou que celui des autres évolue. A mon avis il n'y a d'autre « loi fondamentale » que dans ce va-et-vient. Ou plutôt ce va-et-vient est la « loi fondamentale ». Certes, on peut concevoir une parole qui s'impose à l'autre et devant laquelle l'autre n'a qu'à s'incliner. N'est-ce pas le comportement du Pharisien que dénonce Jésus?

L’Église elle-même, quoi qu'elle en dise souvent, est prise dans ce va-et-vient : l'écoute de la société lui permet d'évoluer sur ce qu'elle jugeait "fondamental". Ainsi par exemple, dans les premiers siècles de l’Église, il était absolument interdit aux chrétiens de prendre les armes et aujourd'hui bien des officiers sont chrétiens. Ainsi encore l’Église a renoncé à la peine de mort bien après que la loi Badinter fut adoptée. Ou encore il a fallu que l'esclavage soit aboli dans la société civile pour que l'Église le condamne. La morale dans l’Église comme dans la société évolue. Mais cette évolution ne va pas nécessairement dans le sens de la perversion. Je pense que tu le crois mais je suis toujours étonnée du jugement que tu portes sur la société actuelle et qui me semble catastrophiste. On pourrait dire aussi que ce n'est pas l'Église qui a su condamner la pédophilie et que, si la société n'avait pas réagi vigoureusement, le droit des enfants n'aurait certes pas été la priorité. L'Église préférait le mensonge. Tout n'est pas pervers dans ce que fait la société contemporaine; tout n'est pas "vrai" dans ce que fait l'Eglise. Je crois qu'il est important de le reconnaître.

En fait, quand tu parles de perversion de la morale, tu te situes - me semble-t-il - essentiellement dans le domaine de la sexualité (homoparentalité, avortement). Sur ce point l’Église aurait une parole de vérité immuable : l'avortement serait un crime et l'homoparentalité une perversion de la relation d'altérité homme/femme qui brouille totalement la généalogie. De mon côté je nuancerais davantage mais je reconnais que tu peux avoir des raisons de dire cela.

Voici les nuances que j'apporterais pour l'avortement (sans que ce soit le point final à ce que je pense) :
- L'Eglise ne dit pas seulement qu'il y a mort dans l'avortement mais que tout avortement est un meurtre. Je crois qu'un avortement est toujours un acte très lourd mais je ne suis pas sûre que ce soit (toujours) un crime.
- Si les catholiques jugent que tout avortement est l'interruption d'une vie humaine, les musulmans pensent que Dieu insuffle l'âme au 3ème mois de la grossesse; pour eux une vie ne peut être dite humaine qu'à partir du moment où l'âme est insufflée. Sont-ils dans l'erreur et nous dans la vérité?
- Les juifs quant à eux considèrent que le célibat (des prêtres ou des religieux catholiques) est un crime car Dieu a fait l'homme et la femme pour la procréation et qu'ils la refusent.
- Est-il davantage criminel d'avorter que de créer un monde où, en Afrique par exemple, des enfants meurent de malnutrition à la pelle. Pourquoi ne pas dire que nous, qui habitons les pays riches, nous sommes responsables de l'exploitation de l'Afrique et de la mort de millions d'enfants ? Si l'avortement est un crime il faut aussi dire que nous sommes collectivement (et donc aussi personnellement !) responsables de millions de crimes. L'un ne justifie pas l'autre certes. Mais cela prouve quand même que ni les uns ni les autres n'avons les mains pures et qu'il est peut-être injuste de criminaliser une femme qui n'a pas forcément eu d'autre solution que d'avorter.
- Si un embryon est une promesse de vie peut-on dire que dès la conception c'est un être humain ? Baptiserais-tu un fœtus de 15 jours ?
Encore une fois je n'ai pas de réponse. Mais je ne crois pas que le fait de se poser ces questions sème la confusion.

Je ne reviens pas sur l'homoparentalité tant nous avons déjà écrit d'articles sur le sujet. L'équipe animatrice (dans sa grande majorité) a toujours essayé de maintenir l'importance d'avoir père et mère mais elle se demande si l'homoparentalité ne peut-être considérée comme l'exception qui CONFIRME la règle. Est-ce de la perversion ? Peut-être. Mais il me semble qu'il y a quand même un grand risque à considérer que tous ceux qui ne se rallient pas à la position de l’Église (sur ce point au moins) sont des pervers qui font sombrer l'humanité dans la confusion. L'apparente clarté sur des situations complexes est-elle plus juste ? Je n'en suis pas sûre.

Voilà ce que je peux dire aujourd'hui. Ce n'est pas un point final mais je crois que je refuserais une position qui prétende en être un.

Tu cherches une loi qui ne culpabilise pas. Mais la fonction de la loi c'est de dire le permis et l'interdit donc de définir des justes et des coupables. C'est une des fonctions de la loi que de « culpabiliser » les gens pour qu'ils ne passent pas à l'acte et qu'on n'ait pas à les enfermer. Seule la loi à 0% de l’Évangile permet de chanter : "Bienheureuse faute de l'homme qui nous vaut un tel rédempteur".

Je ne voudrais pas terminer sans citer une parole de Pascal sur laquelle, me semble-t-il, nous serons toutes deux d'accord : "La vérité sans la charité n'est qu'une idole qu'il ne faut point aimer ni adorer."

De Marie-Reine à Christine

En fait nous n'abordons pas la question sous le même angle.
Tout ce que tu dis est fort juste. Cependant je ne suis pas d'accord avec ton affirmation : "Mais la fonction de la loi c'est de définir le permis et l'interdit donc de définir des justes et des coupables. C'est une des fonctions de la loi que de « culpabiliser » les gens pour qu'il ne passent pas à l'acte et qu'on n'ait pas à les enfermer."

A mon avis, La Loi pose les limites, qui seraient à ne pas franchir, pour rester dans la vie en plénitude : ne pas tuer, voler, mentir, convoiter... C'est bien parce que nous les franchissons sans cesse qu'il est nécessaire qu'on nous le dise et que nous puissions le reconnaître, quand bien même nous aurons appliqué la moins mauvaise des solutions dans le cas de figure.

Tuer quelqu'un à la guerre est le tuer, personne ne le nie, même si on ne va pas toujours au tribunal pour cela. Il ne peut pas y avoir de guerre "juste" au sens absolu. Mais il peut être moins mauvais selon les circonstances de faire la guerre que de laisser assassiner des plus faibles sans intervenir. Tuer quelqu'un, en état de légitime défense, ne conduit pas non plus en prison. Mais personne ne dira qu'il n'y a pas eu mort. Je crois qu'aucun militaire ne pourrait faire "honnêtement" son travail si on en venait à dire qu'il n'y a pas de mort à la guerre pour ne pas les culpabiliser !

L'inconscient des frères et sœurs des enfants avortés, y compris avant leur naissance et sans que jamais personne n'en ait parlé, "sait" quelque chose, lui : et ça pourrit leur vie - d'échec en échec... dont on ne connaît pas la raison. Quand ça s'éclaire, quand les parents parlent, ils peuvent aller à la vie.

Ce que je vise, ce n'est pas ce qui a été fait ou pas fait, pour chercher des coupables ! C'est de reconnaître là où il y a eu mensonge, par action ou par omission.

Les lois sont ce qu'elles peuvent, tu le dépeins fort bien, dans la société, dans l’Église... avec ce va et vient du dialogue entre les hommes, qui fait progresser, reculer, avancer... en fonction de ce qui est possible...

Tu as certainement raison de dénoncer mon catastrophisme... c'est une attitude décourageante et il faut faire confiance à la vie qui vient, aux jeunes qui légiféreront après nous en fonction du jugement qu'ils porteront. Nous ne leur laissons pas que des cadeaux de vie, il faut le reconnaître, avec le gaspillage éhonté que nous faisons des ressources naturelles... jouissons et après nous le déluge... En fait les situations d'injustice que dénonce la Bible, la jouissance effrontée des vautrés, cela reste vrai de tout temps, sous des formes différentes. Aujourd'hui, cela reste vrai comme autrefois, et cela touche aussi à la "consommation" des enfants pour la jouissance des adultes sous des formes diverses et variées.

Je viens de lire un article en ligne du Nouvel Observateur intitulé « Mères porteuses : bienvenue dans l'usine à bébés » et je t'invite à le lire. Le discours "nous ne faisons que du bien" pour ces couples en attente d'enfants et pour ces femmes qui ont besoin d'argent est irrecevable, mais je suis convaincue que tu seras d'accord et qu'encore beaucoup le seraient. Cela est en train de changer, je crois. On progresse en direction de l'euthanasie (pour le bien de tous) et l'eugénisme (idem). Et en même temps, il y a des choses merveilleuses, qu'il faut voir, célébrer, reconnaître. C'est vrai. Ainsi va la vie, de génération en génération.

En ce moment, il me semble qu'il y a fort à faire pour que ne soit pas effacée la ligne blanche qui permet, la nuit, de savoir si nous sommes sur la route ou à côté, avant que nous soyons dans le fossé. Tant que ce n'est pas dans le ravin... Il y a eu beaucoup d'horreurs dans le passé : génocides en particulier. Et cela continuera. Mais chez nous, en ce moment, il y a ce discours de la confusion, qui est un poison pour l'âme.

Merci du temps que tu as pris pour me faire prendre en compte ce terrain de la "réalité" où se votent les lois. Ce que je cherche à dire n'est pas sur ce plan-là, mais il ne faut pas faire l'ange et il faut prendre en compte notre monde charnel. Ce monde où s'articulent les lois et la quête de vérité.

Pour terminer je reprendrais la parole de Pascal que tu cites : « La vérité sans amour n’est qu’une idole », je crois qu’on peut en dire autant de l'amour sans la vérité. "Amour et vérité se rencontrent. Justice et paix s'embrassent. La vérité germera de la terre, et du ciel se penchera la justice." (je cite le psaume 85 (84) de mémoire) ; c'est une très belle promesse pour l'avenir ! S'il faut le promettre et l'espérer avec ardeur, l'attendre… c'est bien parce que ce n'est pas encore là - et aussi parce que c'est suffisamment là pour que nous puissions l'espérer !


Pastels de Noëlle Herrenschmidt

1- Paul Beauchamp est un exégète jésuite, décédé il y a quelques années. / Retour à l'article
2- Denis Vasse est un psychanalyste jésuite (ami de Paul Beauchamp). / Retour à l'article