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Versant "Croire" (pisteuô)
Habiter le monde

1. Marc 9,9 à 10,45 et 14,32 à 15,32

2. Le privé et le public
ou l’intimité et l’institutionnel

3. L’indéchiffrable

4. Le Dépassement



1. Marc 9,9 à 10,45 et 14,32 à 15,32




2. Le privé et le public ou l’intimité et l’institutionnel


En route et à Jérusalem

Dans le versant « Croire » qu’a fait apparaître le découpage du texte en son entier, deux ensembles sont corrélés : 9,9 – 10, 45 et 14, 32 – 15,32. Le premier décrit une série de va-et-vient entre « la maison » et « la route » et s’achève par une marche en direction de Jérusalem. Le second a cette ville pour scène. Appelons la première « En route » et la seconde « A Jérusalem ». Les deux ensembles,à première lecture, sont de tonalités fort différentes. Dans le premier cas, l’ambiance qui règne entre les divers acteurs (Jésus, disciples, foules) est assez semblable à celle qu’on trouvait dans le précédent versant : Jésus avance, parle, enseigne, guérit et répond aux questions. En revanche le texte qui lui est corrélé est dramatique ; il commence, à Gethsémani, dans l’effroi et l’angoisse et se termine sur la croix, face aux outrages de la foule. Le verbe « descendre » peut marquer ce lien. « En route », à en croire les tout premiers mots, sans la moindre difficulté Jésus avance avec ses disciples (« Comme ils descendaient de la montagne »). En revanche, « A Jérusalem », l’immobilisation de Jésus sur la croix est soulignée à travers les railleries dont il est l’objet, avec le même verbe (« Qu’il descende maintenant de sa croix » !).

Malgré ce contraste, un même rythme semble scander les deux textes. On passe, dans l’un et l’autre ensemble, d’un espace qu’on peut considérer comme privé à un autre espace manifestement public.


« En route »

Dès les premiers mots, le texte met en scène trois disciples qui, ensemble, furent sur « la montagne » témoins de la Transfiguration et la conversation se déroule sur le ton de la confidence. Ils ont pour ordre de « ne raconter à personne » ce dont ils ont été témoins. Ils rejoignent ensuite non seulement le groupe des disciples mais ils font face à la foule et aux scribes et, au vu de tous, Jésus guérit le possédé.

A l’écart de la foule

Cette scène publique est suivie de trois épisodes qui se déroulent en des lieux différents mais, chaque fois, à l’écart de la foule. Une fois rentrés « dans la maison », ses disciples lui posent une question « dans le privé » et lorsqu’ensemble ils traversent la Galilée, Jésus se tenait à distance (« Il ne voulait pas qu’on le sût ») ; la raison de cette prudence est qu’il ne veut pas que ses paroles dépassent le cercle de ses disciples. C’est encore à l’intérieur de la maison, loin de la foule, à Capharnaüm, qu’il interroge ses disciples sur les propos qu’ils échangeaient sur la même route mais à l’écart de lui ; ils ne peuvent les rapporter (« Eux se taisaient »).


La foule et les amis

La deuxième moitié de l’ensemble est presque entièrement face aux foules sur la route. Pourtant, à deux reprises, il s’entretient en privé avec ses amis. La réponse apportée par Jésus aux Pharisiens qui l’interrogeaient sur le problème de la répudiation appelle, de la part des disciples, des explications que Jésus ne manque pas d’apporter lorsqu’ils sont à l’écart des foules. En fin, au terme de cette liste d’événements, lorsqu’ils montent à Jérusalem, le climat est étrange. Certes, ils sont dans un espace public et on les suit. Mais l’atmosphère est troublée (« Ceux qui suivaient étaient effrayés »). Dans ce contexte, Jésus prend « de nouveau les Douze avec lui ». Il leur raconte, par prolepse, ce qui l’attend à Jérusalem (« La coupe dont je vais boire, le baptême dont je vais être baptisé »).


« A Jérusalem » : L’intimité et l’institutionnel


En réalité, là où se produisent les événements qui clôturent ce deuxième versant, le texte alterne, tout comme dans ce que nous avons intitulé «En route », les scènes qui se déroulent à l’écart et celles où l’environnement est élargi. Il semble cependant que les deux termes que nous avions retenus pour faire apparaître l’opposition ne sont pas absolument adéquats. A ceux de « privé » et « public », mieux vaut substituer les termes « intimité » et « institutionnel ».

« A Jérusalem » tout comme en descendant de la montagne après la Transfiguration, Jésus est à l’écart ; cette fois encore, il « prend avec lui Pierre, Jacques et Jean ». Cette prise de distance, en l’occurrence, est une plongée intérieure au plus profond de l’âme. Elle ne s’accompagne plus de la parole d’un maître avertissant des disciples mais gémissement. Rempli d’ « effroi » et d’« angoisse », il leur adresse un appel venant du plus profond de son être : « Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez ».


Le silence du Père et le sommeil des amis

A l’intérieur de cette intimité avec ses plus familiers s’opère une double prise de distance tragique. D’abord il s’écarte et cherche le point à partir duquel il trouvera une relation autre : « Il priait ».Mais son imploration se perd dans le silence de Celui qu’il appelle « Abba ».

Ensuite et par deux fois, il opère un double mouvement d’approche et de prise de distance ; il vient vers ses disciples, les appelant à veiller et à prier avant de se mettre une autre fois à l’écart. Il se retourne encore vers le Père puis revient et trouve endormis ceux qu’il avait invités à veiller. Au silence du ciel s’ajoute celui de Simon Pierre et des autres. On leur a demandé de rester éveillés ; Jésus les trouve étendus à terre, endormis ; Jésus les interroge mais ils ne savent « que lui répondre ». Peut-on distinguer la surdité de Dieu et la surdité humaine ? Quand l’homme reste sourd, peut-on dire que Dieu entend ? Pour formuler la question autrement et pour rester à l’intérieur de cette opposition entre public et privé ou entre institution et intimité, à s’en tenir à cet épisode de Gethsémani, on peut se demander si la relation entre Dieu et l’homme est possible quand la relation entre personnes humaines est inexistante.


Au croisement de l’intimité et de l’institutionnel : le baiser de Judas

Le passage entre l’intimité et l’institutionnel est bien marqué et bien figuré. La rupture avec l’intimité vécue avec les disciples est désignée clairement par Jésus : « C’en est fait. L’heure est venue : voici que le Fils de l’Homme va être livré aux mains des pécheurs ». Ce dernier mot donne à réfléchir. Les pécheurs dont parle Jésus ne sont pas, comme dans la conscience commune juive de l’époque, les publicains et les prostituées mais le Grand Prêtre et ses valets, anciens et scribes et, secondairement, le gouverneur romain, Pilate et ses soldats. L’heure où Jésus est livré est un beau croisement que figure le baiser. Le corps de Judas est un mixte : le personnage est un des intimes et en même temps, il est de connivence avec l’institution. Le baiser est à la fois le signe de son appartenance au cercle des proches et le signal convenu avec la caste des grands prêtres et du Grand Prêtre, des anciens et des scribes !

Ce moment de rupture est passage entre un type de communication et un autre, entre les paroles librement échangées, mal reçues ou refusées mais personnellement proférées et la parole conventionnelle dans laquelle la religion d’abord, la romanité ensuite, vont l’enfermer. Jésus vient de faire l’expérience d’une surdité tragique. Sa parole n’atteignait ni le Père ni les intimes. Dans ce contexte un détail est à souligner. « Un des assistants, dégainant son glaive, frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille ». Qui est cet assistant ? Pourquoi n’est-il pas nommé ? Ces questions ne sont pas de mise. L’important est l’amputation elle-même. L’instrument de l’écoute (l’oreille) disparaît.


Le danger des regards

Cette sortie de l’intimité connaît trois mises en scène , sans que, pour autant soit oubliée l’opposition qui travaille le texte : l’opposition du public et du privé. Deux situations, en effet, prennent place dans le récit pour maintenir le passage d’un terme à l’autre. Toutes deux ont rapport avec les yeux.

Entre l’arrestation qui marque un moment important dans le déroulement du texte (« L’heure est venue ») et la mise en accusation de Jésus, à l’intérieur du palais du Grand Prêtre, en présence de tout le Sanhédrin, s’insère une scène pittoresque. Alors que toutes les personnes présentes à l’arrestation s’enfuient lâchement, un jeune homme a le courage de rester ; en mettant la main sur lui on lui arrache le drap qui lui enveloppait le corps. Pour échapper aux regards et cacher sa nudité il lui faut se réfugier quelque part, loin de toute société.

La comparution devant le Sanhédrin, l’écoute des témoins, l’accusation de blasphème, la condamnation à mort, les crachats, les gifles et les coups, ou, pour le dire brièvement, la cruauté de l’institution est suivie d’une conversation privée, dans la cour du palais, entre Pierre et une servante du Grand Prêtre. Elle se conclut par les larmes de l’apôtre, « Il éclata en sanglots ». Ces pleurs sont autre chose qu’un détail pittoresque.

En vous laissez ainsi le torrent déborder la source, Qu'œil et larme soient un : Alors chacun porte la différence de l'autre ; Les yeux pleurant, ces larmes voient.

Ces vers d’un poète anglais du XVIIème siècle sont cités par Derrida ; ils illustrent la conviction de ce dernier que voir empêche de penser. Verser des larmes conduit à faire l’expérience que pleurer n’est pas voir et que dans cet écart on peut faire jouer ce que le philosophe appelle « la différance » qui échappe au regard mais permet la pensée. Autrement dit, la pensée serait incompatible avec la vue et Derrida, le philosophe aride, se rapproche de Musset, le poète romantique : « Le seul bien qui me reste au monde / est d’avoir quelquefois pleuré ! »

Ces remarques sont importantes. Elles nous acheminent vers les toutes dernières lignes de l’ensemble. Après la comparution devant Pilate et les institutions romaines, après les réactions hystériques des foules manipulées par les grands prêtres et hurlant à la mort comme une meute de chiens, Jésus est étalé nu sur la croix avant d’être exposé aux regards d’une foule qui, loin de pleurer, l’injurie et se gausse de lui. L’institution a jugé ; ils voient, ils croient savoir !



En secret


Foules ou groupes écartés

L’opposition entre les foules informes ou institutionnalisées et, par ailleurs, les ensembles de personnes ou les groupes qui se mettent à l’écart, fait fonctionner les deux textes. On désigne, en latin, un ensemble mis à part par le mot « secretum » dont le mot français « secret » est dérivé.Il peut nous servir comme fil pour relire les deux fragments : « En route » et « A Jérusalem ».

D’emblée, on constate que plusieurs registres de signification se mêlent dans ce mot. On peut appeler secrète cette mise à part de Jésus et de trois disciples sur le chemin qui va de la montagne à la plaine. Qu’on demande aux autres membres du groupe : « Où sont Jésus et vos trois amis ? », on risque de s’entendre répondre : « C’est un secret, nous ne le savons pas ». La route où ils sont comme la montagne qu’ils quittent sont des lieux secrets en ceci qu’ils ne sont connus que de ceux qui y passent. Mais ce qu’ils ont vécu et ce que Jésus leur dit n’a rien à voir avec la connaissance du lieu où ils se trouvent. Or ce qu’ils viennent de vivre sur la montagne ne doit être raconté à personne. Là encore leur aventure commune est un secret. Le secret est une connaissance à laquelle n’ont accès qu’un nombre de personnes limité (« Il leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, si ce n’est quand le Fils de l’Homme serait ressuscité d’entre les morts »).

Le second membre de cette phrase ouvre une troisième direction. Les mots prononcés par Jésus ne sont pas compris. Ils se demandaient « ce que signifiait ressusciter d’entre les morts. » Ces mots sans doute véhiculent un sens mais celui-ci leur échappe : un sens caché, secret. Il semble que cette dernière dimension soit la plus importante. Pierre, Jacques et Jean, au lieu de demander des éclaircissements, dirigent la conversation dans un autre...sens : « Pourquoi les scribes disent-ils qu’Elie doit venir d’abord ? » Avouons que la réponse de Jésus est assez déconcertante. Ceux à qui elle s’adresse semblent s’en satisfaire mais sont-ils convaincus ? Réussissent-ils à convaincre ? Mieux vaut reconnaître, peut-être, qu’à nous aussi, en fin de compte, la signification échappe : le texte garde son secret. Si nous le reconnaissons, notre lecture nous rend proches de l’entourage de Jésus. Nous partageons leur tâche : tenter de percer le mystère, d’approcher du sens caché et secret, avancer dans le texte comme les amis de Jésus avancent dans la vie ; avancer comme eux mais aussi avec eux.

Sur la route des secrets

Les lieux où se réunissent ceux qui prennent leur distance, les messages reçus qu’il ne faut transmettre à personne, le sens caché des mots reçus : trois fils de signification que nous prenons l’un après l’autre.

Nous tentons de les tenir d’abord dans le premier des deux textes que nous appelons « En route ».


Les lieux secrets

En ce qui concerne les lieux, constatons, entre le début et la fin, une symétrie qui n’est sans doute pas insignifiante. En quittant les lieux où s’était déroulée la rencontre avec Moïse et Elie, Jésus et ses compagnons descendaient de la montagne. Au terme de l’ensemble, il s’agit d’une montée (« Ils étaient en route, montant à Jérusalem »). Dans la descente, Jésus est accompagné des trois disciples qu’il avait mis à part. Dans la montée, « Il prend les Douze avec lui ». Entre le début et la fin, au milieu de l’ensemble, on est encore sur la route ; en l’occurrence ni montée ni descente mais toujours le secret ; « Ils faisaient route à travers la Galilée et il ne voulait pas qu’on le sût ».Sur la route, chaque fois la mise à distance s’accompagne du même message concernant sa résurrection.

L’espace du secret est aussi « la maison », par trois fois, comme sur la route. Mais la manière dont se comportent les disciples et le maître, lorsqu’ils sont cloisonnés entre les murs qui les cachent, n’est pas la même que sur la route. Alors que dans ce dernier cas, Jésus avait l’initiative de la parole, l’intimité d’une demeure est le lieu d’un échange entre les uns et les autres ; on s’interpelle, on se répond. La première et la troisième fois, les disciples prennent l’initiative d’interroger, loin de ce que la foule peut entendre ou voir. Pourquoi n’ont-ils pu expulser le démon qui malmenait l’enfant sur la route ? Qu’en est-il de l’union de l’homme et de la femme : « Les disciples l’interrogeaient sur ce point ». En revanche, dans l’entre-deux, lorsqu’ayant traversé la Galilée ils se retrouvent à Capharnaüm, c’est Jésus qui s’enquiert, qui cherche à percer leur secret : « De quoi discutiez-vous en chemin ? »

Le message secret et l’enfance

A première vue, le contraste est grand entre le contenu des messages secrets que Jésus confie à ses disciples lorsqu’ils avancent sur la route (sa résurrection) et celui des propos échangés entre les murs d’une maison : le pouvoir de la prière dans l’expulsion des forces du mal, le grotesque des rivalités entre les disciples, l’importance du lien conjugal. Apparemment, dans la maison, ce qui se communique n’est guère difficile à comprendre :

Pourtant, à regarder de plus près les propos tenus dans le secret de la maison, on est intrigué. Dans les trois cas il est fait allusion à l’enfance. Lorsqu’ils l’interrogent pour comprendre ses réactions concernant le mariage, les disciples rabrouent les enfants qui viennent briser leur intimité. Ceci leur vaut de vifs reproches de la part de Jésus qui veut le contact avec eux : « Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas... Il les bénit en leur imposant les mains ». Dans la maison de Capharnaüm, prenant conscience des soucis des disciples qui cherchaient à savoir lequel d’entre eux était le plus grand, dans un discours qui ne manque pas de violence et où est évoquée un dramatique combat entre mort et vie (« Si ton œil te scandalise et t’empêche de marcher, arrache-le… » Jésus prend un petit enfant et le place au milieu d’eux. La phrase très forte qu’il prononce dans ce contexte est présente dans toutes les consciences chrétiennes : « Si quelqu’un doit scandaliser un de ces petits qui croient, il serait mieux pour lui de se voir passer autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être jeté à la mer ». Comment mieux faire entendre que cette présence de l’enfance n’a rien de mièvre ? Pour en percevoir la dimension proprement évangélique, il convient de relire la première des mentions rapportant les propos échangés dans le privé. On interroge Jésus sur l’expulsion qu’ils ont été incapables de réaliser. La guérison dont il s’agit est celle d’un garçon qui nous est rapportée en des termes où joue l’opposition entre mort et résurrection. Il s’agit d’un enfant et ceci est souligné avec force. On nous dit que « l’esprit secoua violemment l’enfant qui tomba à terre ». Lorsque Jésus demande depuis combien de temps le phénomène se produit, le père répond « depuis son enfance » : l’enfance de l’enfance. Autrement dit, la naissance, l’apparition de la vie ! Dans ce contexte, le vocabulaire pour décrire l’événement donne à penser. « L’enfant devint comme mort, si bien que la plupart disaient : ‘il a trépassé !’ Mais Jésus, le prenant par la main le releva ». Ce dernier mot (êgueïrei en grec) fait partie du vocabulaire du Nouveau Testament pour dire la résurrection de Jésus. Mieux vaudrait d’ailleurs traduire, il est utile de le signaler au passage, en disant « il le réveilla ».

Ces derniers mots qui suggèrent la notion de résurrection empêchent de durcir l’opposition apparente entre les propos tenus dans le secret de la maison et les secrets communiqués pendant la marche. Ce recours à l’enfance est un chemin que prend le texte pour nous maintenir proches du contenu très explicite affirmé par trois fois sur la route : l’annonce de sa résurrection. La première fois, celle-ci est exprimée très sobrement : Il leur recommanda de ne rien dire de ce qu’ils avaient vécu « si ce n’est quand le Fils de l’Homme serait ressuscité d’entre les morts ». Les deux occasions de reprendre cette annonce sont chaque fois présentées de façon plus dramatique que la précédente. En traversant la Galilée, il ne se contente pas d’affirmer la résurrection mais il précise le passage qu’il lui faut franchir : « Le Fils de l’Homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et quand il aura été tué, après trois jours il ressuscitera ». La troisième fois est plus qu’une annonce ; il s’agit d’une véritable description des événements qui vont se succéder : « Il se mit à leur dire ce qui allait lui arriver : Le Fils de l’Homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, et quand il aura été tué, après trois jours il ressuscitera ». Pourquoi cette insistance croissante ? Pourquoi cet accent de plus en plus marqué sur la mort ?


Le secret du message

Les propos adressés par Jésus ne sont pas seulement secrets parce qu’ils ne doivent pas sortir du cercle de ceux à qui ils sont adressés. Ils sont secrets en ceci que les destinataires ne savent pas les déchiffrer. Leur incapacité, elle aussi, va croissant au fur et à mesure que Jésus formule son annonce et la précise. Lorsqu’ils descendent de la montagne et que, pour la première fois, Jésus parle d’un temps mystérieux où « le Fils de l’homme serait ressuscité d’entre les morts », ils ne comprennent pas et, plutôt que d’interroger, ils changent de sujet en posant une question sur Elie. Lorsque Jésus précise que le moment où il ressuscitera sera précédé de la mort, ils ne comprennent pas davantage et on nous en indique la raison ; à l’incompréhension s’ajoute la crainte : « Ils ne comprenaient pas cette parole et ils craignaient de l’interroger ». Le comble est atteint lorsque les circonstances de la mort sont indiquées en détail : arrestation, injures, crachat, flagellation. Apparemment ceci est trop difficile à entendre, tellement qu’il semble que les Douze à qui l’information est donnée ne l’ont absolument pas perçue. Ils sont ailleurs ; ils refoulent et se réfugient dans l’imaginaire, préférant penser à une gloire qu’ils se représentent : « Accorde-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » !

Il est vrai que ce que dit Jésus est insensé. Tout « entretien » en humanité, Guy Lafon a su le montrer, suppose un combat contre la mort. La mort survenue, aucun entretien n’est possible et tout sens est aboli. Et quand le sens est aboli, que reste-t-il à comprendre ? La réponse à la question est sans doute le secret à découvrir au fil de la lecture.




3. L’indéchiffrable


Entre sommeil et veille


A l’opposition entre le privé et le public qui parcourt l’ensemble « en route », nous avons substitué une autre opposition qui lui est homologue lorsque la lecture nous conduit « A Jérusalem » (L’intimité et le relationnel). La mise à l’écart n’est pas seulement la familiarité qui regroupe Jésus et les siens. Elle pousse les acteurs dans leur dernier retranchement : elle met Jésus face à son Père et plonge les apôtres au plus profond de l’inconscient et du sommeil. Chacun est comme repoussé dans son « intimité » ; c’est le mot qui semble le mieux traduire la mise à distance des personnages à l’intérieur du groupe lui-même autant que dans son rapport au reste de la société. Quant à celle-ci, elle n’a pas le même visage que celui des foules qui venaient à Jésus sur les routes de Galilée à l’affût d’une parole qui guérit et qui éclaire. La société se manifeste sous le visage institutionnel du judaïsme autour du Grand Prêtre et du Sanhédrin ou sous le visage de la romanité en la personne de Pilate et de ses soldats.

D’un ensemble à l’autre, la correspondance est évidente. La fin de la marche « en route », était l’occasion de prédire les événements qu’ils auraient à vivre « à Jérusalem » où ils montaient. Ceux-ci se déroulent dans l’ordre même que Jésus avait laissé entendre : livré aux grands prêtres d’abord et aux païens – les Romains - il est condamné à mort après avoir été, comme il l’avait annoncé, bafoué, flagellé, après avoir reçu des crachats et avoir été exécuté.

La correspondance apparaît aussi dans le fait que l’impossibilité de déchiffrer le secret contenu dans le mot résurrection se retrouve ici non seulement rappelé mais mis en scène. Un film israélien présente quelque analogie avec la façon dont est présentée l’histoire qui conduit de la scène de Gethsémani à la mise en croix.

« Valse avec Bachir », un film d’Ari Folman, raconte la longue remontée, du fin fond de l’inconscient, d’un soldat de l’armée israélienne. Les événements qu’il a vécus et auxquels il a participé près de vingt ans plus tôt furent tellement violents qu’il lui est impossible de se les rappeler. Oubliés, ils ne cessent pas pour autant de le tourmenter. Les souvenirs remontent par bribes jusqu’à ce qu’émerge clairement à sa conscience la tuerie tragique de Sabra et Chatila à laquelle il a participé. Le film a ceci de particulier qu’il s’agit d’un film d’animation ; pendant la plus grande partie de son déroulement, le réalisateur s’est appliqué à composer ses images en les éclairant d’une façon assez curieuse, à la limite de l’ombre et de la lumière. Mais arrive le moment où les événements particulièrement sauvages, sont remontés jusqu’à la conscience. Disparaissent alors les dessins artificiels ; la réalité est filmée en direct et en pleine lumière à partir des reportages de l’époque retrouvés en archives. Ce que cet ancien soldat ne réussissait pas à faire émerger des brumes de l’inconscient lui apparaît brutalement mais en pleine lumière. Une vision d’Apocalypse !

On trouve un déroulement de ce genre dans les événements « à Jérusalem ». On a déjà eu à constater les larmes de Pierre ; en réalité le jeu des yeux fonctionne d’un bout à l’autre. Jusqu’au moment où Jésus sera pris dans les bras de Judas, Pierre, Jacques et Jean sont présents lorsque se réalisent les prédictions de Jésus mais ils ont des yeux pour ne pas voir.

D’abord tout commence dans la nuit. Un tournant se prendra lorsqu’on conduira Jésus à Pilate. « Aussitôt, le matin, les grands prêtres préparèrent un conseil... après avoir ligoté Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate ». Les événements qui précèdent « le matin » sont nécessairement dans la nuit. Ils commencent dans l’ombre du jardin de Gethsémani, dans un conflit entre veille et sommeil. Certes Jésus est éveillé mais le va-et-vient entre lui et ses disciples est un appel formulé par Jésus à garder les yeux ouverts. Peine perdue ! Par deux fois il les trouve endormis, « leurs yeux étaient alourdis ». Ce moment du clignement des yeux, entre sommeil et veille, à la seule clarté des étoiles, c’est-à-dire entre lumière et ténèbres, est celui où Jésus tombe dans l’abîme qui le conduira à la mort. Désormais « l’heure est venue », ils peuvent fermer les yeux ; ils ne sont plus capables de voir (« Vous pouvez dormir et vous reposer. C’en est fait. L’heure est venue »). Il n’est pas insensé de corréler cette invitation au sommeil avec la guérison, dans l’ensemble précédent (« En route »), de l’enfant que Jésus sort du mal en le « réveillant ». La plongée de ses amis dans l’inconscience va de pair avec l’entrée dans le procès dont l’issue est fatale.

Ce moment du texte, l’occasion de s’en apercevoir en a déjà été donnée, est un tournant que marque le baiser de Judas. De l’intimité vécue entre Jésus et quelques amis, on passe dans le champ des représentants de l’institution. Le voici, comme un brigand, aux mains des gardiens de l’ordre, les gendarmes du Grand Prêtre, armés « de glaives et de bâton ». Le voici plongé dans cette réalité mystérieuse dont ses amis n’ont pas voulu ou n’ont pas pu percer le secret. Ce passage a quelque rapport avec la visibilité et avec l’acte de voir. A ce propos, un détail est à souligner. Alors que tous s’enfuient pour ne pas voir, un jeune homme, nous dit-on, a le courage de rester et de résister. Comme on lui arrache le drap qui cachait sa nudité, le voilà obligé de s’enfuir. Visibilité et non visibilité se croisent. Les parties intimes de son corps sont livrées aux regards de l’entourage. La décence le contraint à se cacher et se rendre invisible.

Ce détail n’est pas insignifiant ; il est pris dans ce jeu qui depuis les yeux alourdis dans le jardin où Jésus se met à l’écart, dans la nuit, pour prier, aboutit à la scène de la fin où le corps de Jésus est exposé aux regards de tous sur la croix. Le mot « apocalypse » signifie « enlever le voile ». Il en vient également à désigner la fin de tout, la folie absolue. Un sens caché, semblait-il, était véhiculé dans les messages que Jésus adressait en secret à ses amis. En fin de compte, avec le corps exposé sur la croix tout sens n’est-il pas aboli ?

Il convient de revenir sur le jeu des regards. D’abord pour se souvenir des larmes de Pierre qui, dans le texte de Marc, est le seul compagnon dont on nous dit qu’il fut proche des événements. Ne convenait-il pas que les pleurs lui bouchent les yeux pour que, par-delà « voir » ou « ne pas voir », sa conscience s’ouvre ? D’autre part on peut se demander si le fait que tous s’enfuient, au moment de cette plongée dans le mystère, n’est pas nécessaire pour que l’accès au sens de cet événement insensé soit possible. Nous sommes partis du film d’Ari Folman pour évoquer ce jeu entre l’ombre et la clarté. En réalité, le moment est venu de nous en détacher. Le héros du film passant par les ténèbres de l’inconscient s’engage dans une quête qui aboutit à la conscience claire d’un souvenir. Au contraire, les compagnons de Jésus, dans le cours des événements que nous rapporte le récit, ne se sont pas lancés dans une recherche du sens qui leur échappait. Peut-être était-il nécessaire qu’ils ne voient pas les scènes qui nous sont rapportées, devant le Grand Prêtre, le Gouverneur et sur la croix. Peut-être qu’il ne suffit pas de voir pour accéder au sens secret des événements que nous livre le récit. Peut-être que pour déchiffrer ce que pouvait signifier l’expression « Ressusciter d’entre les morts », il fallait dépasser l’opposition « voir » ou « ne pas voir ».


En dernière instance


En quoi consisterait le dépassement de cette opposition ?

Peut-être serons-nous capables de répondre si nous commençons par nous interroger sur la manière dont le texte, à l’extrémité du récit qui nous est fait de la crucifixion, souligne l’impuissance totale à laquelle Jésus est réduit. Tout mouvement lui est interdit et cela fait rire ceux qui regardent: « Qu’il descende maintenant de sa croix !», dit-on, autour de lui, pour se moquer. « Le champ du possible » est totalement « épuisé ».

Cette situation fait contraste avec une des scènes de l’ensemble « En route ». En effet, au terme du chemin qui conduit Jésus et ses trois amis jusqu’aux disciples et à la foule qui les entoure, un homme s’approche et le prie de guérir son fils ; celui-ci ne cesse de tomber à terre, raide et en grinçant des dents. Cet homme a fait l’expérience des limites des disciples qui n’ont pas été capables d’expulser le mal (« l’esprit muet ») qui l’habite. Il en appelle au « Maître » : « Si tu peux quelque chose, viens à notre aide, par pitié pour nous ». Et Jésus, avant de manifester ses capacités de thérapeute, affirme que tout est possible lorsqu’on croit. Aux disciples qui demandent pourquoi ils n’ont pas été capables eux-mêmes, malgré leur foi, de guérir l’enfant, Jésus répond qu’il aurait fallu passer par la prière. Nous voici, à première vue, face à une certaine conception évangélique de l’histoire. Il est traditionnel de s’interroger sur le sens de l’existence lorsque, comme c’est le cas ici, on rencontre la souffrance d’un enfant innocent qui risque, d’un moment à l’autre, de mourir noyé ou carbonisé. Comment comprendre le mal ? Comment comprendre l’histoire sans passer par une instance supérieure à laquelle la prière donne accès ? Yahvé n’est-il pas le Seigneur Tout-Puissant ? « Il a jeté à l’eau cheval et cavalier ». Il conduit le peuple juif à son salut et il saura l’introduire dans les temps messianiques que Jésus inaugure en annonçant « Le Royaume de Dieu ». Dès maintenant on peut recourir à celui que Jésus appelle « Père ». Dès maintenant « tout est possible à celui qui croit ».

Le fil du texte confirme ces impressions du début : l’histoire du salut prend sens grâce à une instance suprême à laquelle la foi permet d’accéder. A la scène où un père s’approche de Jésus en l’implorant en correspond une autre ; un homme encore, sur la route, accourt en suppliant. Mais, à la satisfaction du père s’oppose la déception de l’homme : « Il s’en alla contristé car il avait de grands biens ». L’événement déclenche les commentaires de Jésus ; l’image du chameau qui ne peut passer par le chas d’une aiguille lui permet d’évoquer l’incompatibilité des richesses avec l’entrée « dans le Royaume de Dieu ». Sur quoi s’appuyer dans l’humanité si la richesse elle-même n’est pas instrument et promesse de salut ? « Qui donc sera sauvé ? » La réponse de Jésus fait écho aux propos qu’il tenait devant le souci d’un père pour son enfant : « Tout est possible pour Dieu » comme « tout est possible à celui qui croit ».

Dans ce contexte d’un univers et d’une histoire qui trouvent en fin de compte leur sens et leur salut en Dieu, dans un monde où Jésus montre que le recours à Dieu permet de reconnaître que tout est possible à partir de la prière, on est étonné lorsqu’on arrive au terme de l’ensemble qui conduit à Jérusalem. Le Maître, en effet, assigne des limites à ses propres possibilités. Aux fils de Zébédée qui lui demandent d’avoir une place de choix dans ce fameux royaume où, grâce à Dieu, tout est possible, on leur répond : « Il ne m’appartient pas de l’accorder, mais c’est pour ceux à qui cela a été destiné ».

Cet étonnement redouble lorsque nous lisons, à Jérusalem, l’épisode de Gethsémani. A l’affirmation du « Tout est possible », succède l’affrontement du Maître à l’impossible. Le contraste est saisissant entre l’expérience qu’on nous rapporte en cet endroit et la réponse faite d’abord au père de l’enfant possédé et ensuite aux questions des disciples. « Si tu peux quelque chose, viens à notre aide, par pitié pour nous » : à cette supplication d’un père éprouvé correspond l’imploration filiale que nous rapporte l’Evangile, lorsque, tombant à terre, Jésus demande que « si c’est possible », l’heure du drame s’éloigne de lui. A ses proches qui l’interrogeaient, après la guérison de l’enfant, sur les raisons de leur impuissance, Jésus répondait qu’en l’occurrence il fallait passer par la prière. A Gethsémani la prière est intense : « Il priait... et il disait « Abba (Père) ».

A-t-on assez réfléchi sur ce qui, dans ce contexte, est pire qu’un contraste : une contradiction. Au monde du « tout est possible » dans lequel Jésus a marché, au temps de l’histoire qui se déroule et qui semble s’avancer vers une heure où tout s’éclairera et qu’on est tenté d’appeler à la suite de Jésus « le Royaume », l’entrée de nuit, dans ce que Jésus appelle « l’heure », dit la jonction avec l’autre du temps et l’autre du monde. Le monde du « tout est possible » ne va pas sans celui de l’impossible. Le passage d’une langue à l’autre (« Abba » /« Père ») est peut-être l’indice de cette altérité entre un univers et son autre. Jésus, semble-t-il, fait à Gethsémani l’expérience de ce passage impossible mais qui pourtant permet à la vie de surgir.

Peut-on trouver le mot qui désigne ce point mystérieux où le « tout est possible » rencontre l’impossible absolu ?
« Désir » est peut-être le terme qui convient pour désigner l’accès à ce Dieu au nom imprononçable. Le désir est interne au vouloir et le vouloir est inséparable du pouvoir. Le texte semble l’insinuer.

A plusieurs reprises, la manière de parler de cette instance à laquelle la prière donne accès laisse entendre la volonté d’un autre à laquelle il convient de s’ajuster. Lorsqu’on l’interroge sur le lien conjugal, il renvoie à ce qui précède l’histoire en cours, la volonté du Créateur : « Dès l’origine de la Création Il les fit homme et femme ».Arrive le jour où Jacques et Jean, enfermés dans leurs images, demandent une place de choix dans ce fameux Royaume auquel leur maître se réfère tant de fois ; Jésus fait alors allusion à la décision et donc à la volonté d’un autre (« Il ne m’appartient pas »). Enfin et surtout, à Gethsémani, lorsque les limites du possible sont atteintes, l’autre du possible s’avère très explicitement la volonté de celui qu’il appelle Père : « Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Le mot « Dieu », à plusieurs reprises attaché au mot Royaume, circule à travers le texte. Sa véritable portée se manifeste lorsque « l’heure » de l’absurdité est venue, lorsque le sens paraît aboli, lorsque l’innocent « va être livré aux mains des pécheurs ».

Efforçons-nous de comprendre. Jésus avance humainement dans la vie et l’histoire de son temps. Il se laisse prendre au jeu du langage que le désir rend possible et qui nous tourne les uns vers les autres. Par le langage, on s’accroche à des objets (demandes, questions, réponses) qu’on se communique. Le désir de voir son fils guéri tourne un père vers Jésus, celui d’acquérir le salut promis par la Loi pousse un riche à l’interroger ; inversement Jésus réclame la compagnie de ses amis à l’heure où le sol se dérobe sous ses pieds et où le ciel se ferme à sa prière (« Demeurez ici et veillez »). Désirer et être désiré permet de vivre et donne saveur et joie à l’existence. Mais ceci fait courir un risque ; Jésus y fait allusion dans la rencontre de ce Juif qui vient l’interroger sur les moyens de posséder la vie éternelle. « Il s’en alla tout triste car il avait de grands biens ». Cet homme ne manquait de rien : ni de vertus ni de moyens de vivre. Jésus lui montre qu’il lui faut trouver un manque pour en venir à désirer et à trouver une société: « Une seule chose te manque !....Viens et suis-moi ». Le mot « Dieu » désigne l’instance non seulement à partir de laquelle tout est possible mais où le désir peut être sauvé. Quand plus rien n’est à attendre, quand plus rien n’est à demander, la source de la rencontre et de la joie est tarie. Le mot « Dieu » peut être prononcé pour faire entendre que s’ouvre le cœur ; il ouvre sur ce qui est plus grand que ce qu’il pourra jamais atteindre. Il donne à la vie une dimension incommensurable, interdisant toute prétention à tenir ce qui semble combler. Il est l’Autre, toujours Autre, dans le désir duquel il convient de rester, à l’intérieur duquel il est possible de rester. Jamais atteint, toujours plus loin que nos attentes, on ne peut le considérer comme présent. Inséparable du sens que véhicule le langage où nous disons nos manques et où nous écoutons ceux d’autrui, on ne peut le dire absent. Par-delà présence et absence, le mot « Dieu »permet d’ouvrir le champ où le sens et la vie peuvent jaillir.

On voit bien, dans cette scène de Gethsémani, cette jonction vécue au cœur même de l’histoire humaine de Jésus. Jésus ne tient plus dans le désir de son entourage (ses amis ne peuvent veiller avec lui), aux bords de la trahison et de la livraison aux mains des institutions ; pourtant il ne peut tenir hors du désir qu’un Autre a de Lui. Il vit le désir du désir, si l’on peut dire : « Non pas ce que je veux mais ce que tu veux ! ». Se révèle ainsi, à qui veut bien entendre, cette dernière instance à partir de laquelle le monde et l’histoire prennent sens. « Instance » : le mot est impropre pour désigner cet « instant » ; étymologiquement il désigne un lieu à l’intérieur duquel on se tient. En réalité en cette instance, en cet instant, tout est instable. La dernière instance est impossible à situer : pur passage de ce monde au Père.

L’instant est bien indiqué pour traduire la situation. Le temps court, comme on dit : « Le temps s’en va ! Madame ! ». Le présent est intenable : il est autre que le passé qu’il quitte et pas encore celui qui vient. On comprend la parole de Jésus disant, pour traduire cette plongée dans le désir à l’état pur,le désir que l’Autre a de lui, sans personne d’autre à qui recourir : « L’heure est venue ». Le baiser de Judas, nous l’avons dit, figure ce passage d’un monde où l’on parle en toute intimité – la compagnie des apôtres – à l’univers des institutions qui est clos et qui repose sur le pouvoir de dignitaires dûment accrédités. Là où, dans l’histoire, le désir ne peut plus se déployer, le silence est de règle. Désormais Jésus n’ouvrira pratiquement plus la bouche : « Mais lui se taisait et ne répondait rien ». Les quelques mots qu’il prononce ne sont pas de son crû ; ils reprennent des propos dont le représentant de l’institution a l’initiative (« Es-tu ? » « ...Je suis ! ») Une exception notable est à relever. Au Grand Prêtre qui lui fait face, Jésus prononce cette phrase dont chaque mot est emprunté aux Ecrits d’un prophète évoquant « le Fils de l’Homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel ». Phrase qui dit l’arrivée des temps messianiques, certes, mais pas seulement. A l’instant du passage, quand « l’heure est venue », Jésus avait déjà fait cette déclaration mystérieuse : « C’est pour que les Ecritures s’accomplissent ».


L’accomplissement des Ecritures


C’est peut-être ce recours qui nous permet de comprendre le départ des disciples au moment du passage de Jésus à l’univers du Grand Prêtre. Peut-être convient-il d’épouser la façon dont Jésus entend les Ecritures pour en venir à la question que nous avons laissée en suspens à propos des disciples qui s’enfuient au moment décisif ? Pourquoi les yeux des disciples n’arrivaient-ils pas à s’ouvrir ? Pourquoi cette plongée dans le sommeil ? Pourquoi cette impossibilité de percevoir ce que signifie « Ressusciter d’entre les morts » ? Les larmes de Pierre nous avaient déjà alertés. Il faut que les pleurs lui bouchent les yeux pour qu’il commence à sortir de l’inconscience. Nous nous demandions si pour comprendre les propos de Jésus, il ne fallait pas dépasser l’alternative voir ou ne pas voir. L’intelligence qu’a Jésus du Livre nous rend peut-être capables de répondre.

Il est deux manières de s’appuyer sur les textes que vénéraient les contemporains de Jésus et qui nourrissaient sa propre réflexion et sa propre prière. Elles correspondent aux deux manières d’envisager l’existence.

- De même qu’on peut envisager l’histoire comme un tout qui se comprend à partir d’un centre inaccessible que désignent les quatre lettres YHWH, de même on peut lire les livres attribués à Moïse comme constituant un tout à partir duquel chacun des gestes ou des événements de la vie prend sens.
- Par ailleurs, de même que l’histoire, à Gethsémani, débouche sur un univers autre qui la dépasse, de même, pour Jésus, l’Ecriture est inachevée et en appelle à autre qu’elle-même pour être entendue.

Ces deux manières de comprendre sont mises en scène dans le premier de nos deux ensembles. Pour prendre au piège celui que les foules, à certains moments, adulent, les Pharisiens l’interrogent sur un texte du Deutéronome concernant la répudiation. Ils sont enfermés dans leur interprétation ; on ne doit pas modifier les impératifs de l’Ecriture. Ils disent le bon comportement. Jésus refuse de se laisser prendre dans cette clôture. Il renvoie à ce qui précède l’Ecriture et ce qui la suit. Elle n’est pas le tout ; la création précède (« à l’origine, Dieu les créa ») et le temps qui vient dépasse celui de Moïse. Il ouvre le désir et en appelle à une nouvelle loi achevant la première. A la « dureté du cœur » dont parle Jésus et qui exclut, succède le temps de l’union et de la communion, autrement dit le temps du désir où vient se nicher le mot « Dieu »: « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas le séparer ». L’Ecriture n’est pas donnée pour enfermer dans le passé mais ouvrir l’avenir. L’Ecriture donne à entendre ; elle appelle, elle ouvre le désir. Elle n’est pas le tout ; l’ensemble qu’elle constitue demeure nécessairement inachevé : elle appelle, pour s’accomplir, un supplément.

Ainsi l’entend Jésus lorsqu’il lui faut basculer vers son procès et sa condamnation : « C’est pour que les Ecritures s’accomplissent ». Un appel est une incitation à l’éveil et à l’attention. Afin de répondre il convient d’être aux aguets, de veiller afin de percevoir le signal qui met en route. Jésus en est bien conscient. Judas s’approcha, on prend la peine de le souligner, en l’appelant ‘Rabbi’. Voilà Jésus « appelé » ; Plutôt que d’enfermer le sens, l’Ecriture le suspend et permet ainsi son débordement. Puisqu’elle appelle il faut répondre et la réponse est le franchissement d’un mur... « Mais c’est pour que les Ecritures s’accomplissent » ; le sens ne peut se trouver qu’en franchissant la barrière de l’absurde pour accéder à l’intelligence, en passant de l’ancien au nouveau, de la mort à la vie.

Voir, au contraire d’entendre, ne met pas en route ; le regard « fixe » : on fixe du regard. Ne parle-t-on pas aujourd’hui d’ « Arrêt sur image ». « Voir » n’ouvre pas le désir mais la convoitise : on se repaît du regard et on qualifie volontiers celui-ci de gourmand. Nous avons eu déjà l’occasion, en lisant le récit du tombeau vide, de citer la phrase de Maurice Blanchot : « Voir n’est pas parler ». Le récit de la découverte du tombeau multiplie les mentions signalant le détail de ce que voient les femmes venues embaumer le corps et le silence dans lequel elles s’enferment : « Elles ne dirent rien ce jour-là ». Le sens qui franchit les frontières de l’Ecriture ne parviendra que lorsque des mots le véhiculeront pour le faire entendre. S’arrêter à ce qui touche les regards, à en croire le récit que nous lisons, ne permet pas de découvrir l’Ecriture qui s’accomplit lors du procès et sur la croix. Les spectateurs, au Golgotha, en font l’expérience. Ils voient et ils injurient. Non seulement ils voient mais ils ne comprennent pas que, dans la cohérence du message de Jésus, voir ne peut conduire à la foi. « Que le Christ, le Roi d’Israël, descende maintenant de la croix pour que nous voyions et que nous croyions ». Belle illusion ! Paul le comprendra plus tard, au terme de l’aveuglement qui l’avait saisi sur la route de Damas : la foi est inséparable du langage, c’est-à-dire de l’appel et de l’écoute (« Fides ex auditu ») ! L’acte de voir fixe sur un terme ; « La valse avec Bachir » dont nous sommes partis débouche sur la vue claire des événements dont un citoyen cherche le souvenir. Une fois celle-ci atteinte, l’histoire peut s’arrêter. Il ne pouvait en être ainsi pour les apôtres dans leur avancée ; les paroles de Jésus étaient message et annonce. Pour les décrypter il n’était pas question de voir mais d’entendre au double sens du mot.




4. Le Dépassement


L’autre n'est pas un ennemi


« Ils se demandaient ce que signifiait ‘Ressusciter d’entre les morts’ ».

L’insistance de Jésus à répéter ce secret était vaine. Il fallait, pour comprendre, qu’ils fassent la même expérience que leur maître ; il fallait qu’ils touchent les limites de l’univers à l’intérieur duquel ils se mouvaient. Il leur fallait vivre l’expérience du dépassement. Un épisode, dans le texte « en route », vaut d’être repris ; il montre qu’ils n’étaient pas spontanément disposés à percevoir que leur rassemblement ne pouvait tenir sans être dépassé. « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom, quelqu’un qui ne nous suit pas, et nous avons voulu l’en empêcherparce qu’il ne nous suivait pas. » Ils prenaient le groupe dont ils étaient membres comme un tout constitué autour du nom de Jésus pris comme un centre. Ils ne comprennent pas que le centre (le nom de Jésus) est hors du groupe. Le Maître les invite à comprendre l’intérêt de cette altérité : l’autre n’est pas l’ennemi. A Gethsémani, lorsque Jésus sort de sa propre volonté pour entrer dans le désir de celui qu’il appelle Père, le groupe implose : « ils s’enfuirent tous ». Leur monde est détruit. Peut-être s’ouvriront-ils à l’autre du monde sans lequel il ne peut y avoir de sens. L’autre du monde ? On ne peut l’attendre sans dépasser celui où l’on se meut.

Par-delà la fin de leur marche et de leur compagnonnage, ils peuvent entrer dans l’espace où la Résurrection prend sens. Par-delà voir ou ne pas voir, ils peuvent croire, c’est-à-dire entrer dans un langage où gît et surgit la nouveauté du sens. Au terme de son récit, Marc signale que les femmes ne dirent rien. Mais entre leur silence et le début de l’Evangile, manifestement une nouvelle a circulé, une « Bonne nouvelle » : c’est le titre même du texte de Marc (« Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ »). Dans ce laps de temps, ont-ils vu Jésus ressuscité? On peut le croire. Le croire seulement ? Croire est préférable à savoir, si l’on s’en tient à Marc. Croire suppose et l’écoute et l’appel et la réponse. Croire est pris dans le langage et par suite dans le désir. Croire apporte à l’Ecriture le supplément qu’elle attend pour s’accomplir. L’Evangile que nous lisons le manifeste. L’Eglise croit que Jésus a rencontré ses amis, qu’il a mangé et marché avec eux. Elle l’annonce et le baptisé le croit. Ce faisant elle a à retrouver le chemin qui s’ouvre à Gethsémani lorsque Jésus disait « L’heure est venue... C’est pour que les Ecritures s’accomplissent ! ». A cette condition elle peut confesser en vérité : « Le troisième jour Il est ressuscité des morts, selon les Ecritures. »

Ce chemin est celui où l’on passe au monde du Père qui n’est pas un autre monde mais l’autre du monde. Eliminer ou oublier ce point de jonction qu’indique la croix pour le chrétien, risque de réduire la vie humaine à sa dimension institutionnelle qui parfois prend un visage de cruauté. L’Eglise elle-même n’échappe pas à ce danger ; le Pape François a tenu à l’affirmer dès la première occasion qui lui fut donnée de prendre la parole :

Quand nous marchons sans la croix, quand on construit sans la croix et quand nous confessons le Christ sans croix, nous ne sommes pas les disciples du Seigneur mais des serviteurs de ce monde. Nous sommes des évêques et des prêtres, des cardinaux et des papes, mais pas les disciples du Seigneur ! Je voudrais qu’après ces jours de grâce nous ayons tous le courage, simplement le courage, de marcher en présence du Seigneur, avec la croix du Seigneur, d’édifier l’Église sur le sang du Seigneur, qui a été versé sur la croix, et de confesser la gloire du Christ crucifié. Ainsi seulement l’Église ira de l’avant.

Avec ces mots du Pape François, nous sommes au cœur de l’Evangile.

La foule a un rôle particulier dans ce texte. Au milieu du livre, en ce lieu que nous avons considéré comme un des trois pivots de l’Evangile de Marc, Jésus s’adressait à elle : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et passe derrière moi! ».L’invitation laissait entendre l’arrivée des temps messianiques : « Il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance. »

Cette foule a une importance particulière dans le déroulement de ces deux ensembles corrélés.

Contrairement aux autres Evangiles, celui de Marc utilise le mot « ochlos » pour la désigner et non pas « laos ». Ce dernier terme est plus apte que le premier à désigner un peuple. La multitude autour de Jésus est un ensemble informe : une « populace » dirait Hannah Arendt. Elle oscille entre deux visions du monde et de l’histoire. Au début elle accourt pour entourer Jésus et le saluer ; au terme, elle hurle avec les loups pour refuser que Pilate le relâche : « Crucifie-le ! ». Entre cette masse humaine prête à suivre n’importe quel leader et, d’autre part, les scribes et les prêtres qui sont les représentants dûment accrédités pour encadrer la société, Jésus montre à ceux qui le suivent une autre manière de vivre en société qu’il appelle Royaume de Dieu.

Le chemin qui y conduit passe par la Loi.


La loi et la grâce


La foule apparaît, au départ, accompagnée des scribes ; il s’agit de spécialistes de la Torah qui fait le peuple juif. Ils savent préciser les limites du bien-vivre et la distinction entre les « brigands », comme dira Jésus au moment de son arrestation, et les honnêtes gens. On les retrouve, après l’arrestation, en compagnie, cette fois, des autorités qui sont autant civiles que religieuses : le Grand Prêtre et les prêtres ainsi que les anciens. Ceux-ci ont pouvoir de décider mais ils ont besoin des scribes ; il leur faut des juristes pour étayer leur jugement ! Ces « légistes » seront encore avec la foule lorsque, sans doute conformément à la Loi, celle-ci hurlera pour refuser la grâce proposée pour Jésus.

Entre ces deux moments, on voit Jésus se situer par rapport à la foule et par rapport à la Loi. Ne revenons pas sur la réponse faite aux Pharisiens l’interrogeant sur la répudiation; Jésus refuse d’être enfermé dans un carcan moral. Il ouvre, il invente. La loi est faite pour libérer : l’accomplir c’est assouplir et attendrir le cœur.

En revanche il est intéressant de regarder d’un peu près le récit de cet homme quittant la foule non pour solliciter une guérison mais pour acquérir l’héritage spirituel qu’il appelle « la vie éternelle ». Jésus ne conteste pas la loi du Décalogue à laquelle il renvoie son interlocuteur. Mieux encore, « fixant son regard sur lui il l’aima ». Nous voilà au point où conduit la loi. Les préceptes qui s’imposent font place à la simple invitation que Jésus propose : « Viens ! Suis-moi ! ». Aux commandements dont la liste est relativement longue et dont le texte nous épargne la liste, Jésus substitue une façon de vivre bien plus facile que deux verbes suffisent à exprimer : donner et recevoir. « Va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres ; puis viens, suis-moi ». Au régime de la Loi, Jésus oppose celui de la grâce. Pour affiner notre intelligence de ce passage, il convient de mettre en série les mots qui concernent la richesse. Le dialogue commence par une question qui parle d’héritage (« avoir en héritage la vie éternelle »). Les réactions de Jésus ne lâchent pas la demande qui lui est adressée ; en fin de compte, les derniers mots y répondent, exprimant l’acte de recevoir : « Tu auras un trésor dans le ciel. »

L’entretien entre cet homme qui s’en va tout triste est suivi d’une discussion entre Jésus et ses amis. Parmi les propos échangés surgit l’expression « Royaume de Dieu ». Ce terme nous permet de préciser l’orientation du chemin où Jésus est engagé avec ceux qui acceptent de le suivre. Les réponses apportées aux disciples permettent de détailler cette manière de vivre en commun qu’il tente de promouvoir et qu’il propose à son interlocuteur. Chacun des détails de la rencontre est repris et détaillé au moment dramatique de son procès.

D’abord, la vie dans le Royaume est telle que le lien entre les membres n’est pas anonyme ni administratif. L’affectivité y a sa part (« Jésus fixa sur lui son regard et l’aima »). Lorsque les disciples l’interrogent sur leur sort, faisant valoir que contrairement au personnage qui s’est dérobé, ils ont tout quitté, Jésus définit les relations nouvelles, dans ce qu’il appelle le Royaume, en des termes qui expriment une réelle proximité. L’autre n’est pas l’étranger ou le concitoyen dont les droits sont précisés par un code civil; l’autre devient aussi proche qu’on peut l’être dans une famille vivant sous le même toit : « frères, sœurs, mères, enfants ». Curieusement nul, à s’en tenir à cette liste, ne peut être tenu pour père. Cette omission a peut-être un sens plus subversif qu’il n’y paraît lorsqu’on songe au contexte patriarcal dans lequel parle Jésus.

On ne peut se suffire de l’air du temps. Comment vivre et de quoi vivre quand on a tout quitté ? « Vends ce que tu as ; donne-le aux pauvres...et tu auras un trésor ». On comprend la réaction de Pierre qui se tourne vers Jésus pour savoir à quoi s’attendre, lui qui a quitté sa barque et son métier. La réponse de Jésus n’est pas idéaliste. Il sait bien qu’il faut une maison pour s’abriter et dormir. Il ne nie pas la nécessité de disposer d’un terrain où l’on sème et où l’on récolte. Que celui qui en dispose ne considère pas que c’est un bien qu’il a gagné. Gagner ou perdre n’ont plus de sens dans le Royaume ; il s’agit de reconnaître que ce qui nous permet de vivre est reçu et peut être donné dans la mesure où l’on est assuré qu’on ne cessera pas de recevoir. Manque de réalisme ? Jésus ne nie pas qu’en guise de maison ou de frère on risque d’avoir à faire face à la méchanceté. Ce qu’il faut attendre, ce ne sont pas seulement des frères et des maisons mais des ennemis et des persécutions. En réalité tout change de couleur lorsque ce qui vient est reconnu comme un don.

Quitte à jouer sur les mots, disons enfin qu’entrer dans le Royaume est une façon de vivre le temps et de reconnaître que chaque instant qui vient est « présent » ; il est donné et nous avons à le recevoir. Mais quand il s’agit des persécutions, peut-on parler de cadeau ? On a peut-être la réponse si l’on prend soin de noter que Jésus reprend un dernier point de son entretien avec cet homme qui avait de grands biens. En le soulignant, on demeure dans une façon de vivre le temps inhérente à la vie du Royaume que Jésus développe. Le personnage qui vient à Jésus désire hériter de la vie éternelle. Jésus lui annonce un trésor dans le ciel. ». « Ciel » et « Vie éternelle » : les deux expressions s’appellent ; l’une et l’autre ont la même saveur spirituelle. L’évocation du ciel pourrait laisser entendre un autre monde aussi éloigné de l’histoire que peuvent l’être les étoiles du firmament par rapport au fond des océans et la vie éternelle est souvent comprise comme une existence fantomatique coupée de la vie quotidienne ; on la rencontrera dans un « au-delà » inaccessible. En réalité, ce que Jésus appelle « ciel », ce qu’il désigne comme le lieu où l’on acquiert un trésor en héritage, se manifeste au cœur même du drame. Jésus, au moment tragique de son procès, s’affirme l’héritier de David, celui qui préside aux destinées du Royaume attendu. On lui demande s’il est « le Christ, le Fils du béni ». Cette expression désigne le successeur de David, celui qui doit rétablir la royauté en Israël. Pour bien marquer que sa réponse coïncide avec son intronisation, Jésus précise que désormais « Il siège à la droite de la Puissance, venant avec les nuées du ciel ! » Le « ciel » est le mot désignant le lieu où, sur terre, s’affirme son Royaume. Il n’est pas un autre monde mais, au cœur du monde, l’autre du monde qui lui fait face en la personne des grands prêtres et des faux témoins dans le cadre très officiel du Sanhédrin.

Quant à « la vie éternelle », manifestement corrélée au « ciel », elle n’est pas une autre vie à atteindre dans un temps autre ; elle est l’autre de ce temps qui se déroule. La manière de traduire est souvent trompeuse ; on nous dit : « dans le monde à venir la vie éternelle ». A s’en tenir au grec, cette traduction est contestable. Le texte dit : « Le temps en train de venir », « le temps qui vient » et se déroule. On oserait presque dire : « le temps qui court ». Le temps ne tient pas ; le présent n’est que passage entre l’instant passé qui n’est plus et l’instant futur qui n’est pas encore. L’éternité serait peut-être l’autre de cette fuite du temps sans lequel elle ne serait pas, le passage intenable mais inséparable des jours qui se succèdent. Si la loi du Royaume est grâce ; si le présent est cadeau, cela signifie qu’on ne peut le retenir sans le briser. Si le temps est « présent » on ne peut qu’accueillir ce qui vient. Si le présent est passage et s’il est bon de l’accueillir, on ne peut vivre sans lâcher tout pour recevoir et en cessant de se crisper sur le passé. Belle est la page de Bernanos dans le « Journal d’un curé de campagne » ; le prêtre est face à cette femme de l’aristocratie crispée sur le passé mort d’un bébé ; elle ne lâche pas le médaillon qui contient symboliquement une mèche du petit disparu. Au terme d’un échange d’une grande beauté, sans que le prêtre l’ait demandé, « Elle a lancé le médaillon au milieu des bûches en flammes ». Le mot « paix » désigne alors ce qu’elle peut accueillir avec la bénédiction du prêtre.

Lâcher pour accueillir ou pour donner. Telle est sans doute la loi nouvelle, celle de la grâce, qui permet d’entrer dans le Royaume. A bien y réfléchir et à bien lire le texte de Marc, on voit à quel point l’Eglise a risqué de se leurrer à certaines périodes de son histoire. Une certaine conception de l’ascèse, par exemple, n’est-elle pas étrangère à l’esprit du Royaume ? N’insiste-t-on pas trop sur la dimension négative et moraliste : l’abstinence sous toutes ses formes ? S’abs-tenir consiste à refuser de tenir. Donner et recevoir consistent au contraire à se servir de ses mains non pour tenir ou retenir mais pour recevoir quitte ensuite à lâcher pour recevoir encore. Retenir empêche de désirer : on préfère garder plutôt qu’attendre ou demander. S’abstenir revient à réprimer tout désir. « Suivre Jésus », comme l’homme riche y est invité, conduit à lâcher les biens qu’on a pour se tourner vers les trésors qui s’annoncent, qu’il faut savoir déceler et accueillir. Après avoir entendu les explications de Jésus devant sa description du Royaume, on comprend mieux certains autres propos dont la violence étonne. Est-ce pour préparer à entendre les scènes de la Passion où le corps du Christ sera torturé et écartelé sur la croix ? Toujours est-il que cette opposition entre l’acte de lâcher et celui d’accueillir s’exprime en termes d’amputation (« Si ta main est occasion de péché, coupe-la!...). Les psychanalystes parlent parfois du « corps morcelé ». L’expression peut être reprise pour évoquer le discours de Jésus s’efforçant de définir les conditions d’entrée dans le Royaume. Impossible d’y pénétrer sans aller de l’avant, sans se tourner vers ce qui vient. Gare à celui qui trébuche et s’arrête ! Faire trébucher est la meilleure manière de traduire le mot « scandaliser ». Suivre Jésus sans se laisser faire de croche-pied, entrer dans le Royaume, c’est sauver un désir qui attend mieux que de conserver ses membres indemnes. Mieux vaut perdre sa main et devenir manchot, perdre un pied et marcher en boitant, devenir borgne plutôt que de cesser d’aller de l’avant. « Si ton œil te scandalise, arrache-le ; mieux vaut pour toi entrer borgne dans le Royaume de Dieu que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne ». Pour donner plus de poids à ses propos, Jésus se sert des métaphores du sel et du feu : « Tous seront salés par le feu...ayez du sel en vous-mêmes ! » Le sel dit le goût que prend la vie lorsque le cœur est brûlant. Et pour qu’on entende bien la portée sociale attachée à ses propos, Jésus termine en disant : « Vivez en paix les uns avec les autres ».


Enfance


Ces derniers développements permettent de décrypter le message de l’enfance qui surgit dans les propos qu’ « en route » Jésus adresse à ses disciples lorsqu’ils s’entretiennent en « privé ». Cette façon récurrente de parler de l’enfance s’ajuste à l’enseignement concernant le Royaume de Dieu. Elle s’articule sur une vision politique de ses amis que Jésus s’efforce de déplacer pour les rendre enfin capables de comprendre ce que pouvait bien signifier « Ressusciter d’entre les morts ».

Ce que nous pouvons appeler « la parabole de l’amputation » suit la fameuse phrase terriblement menaçante à l’égard de ceux qui empêchent d’avancer – qui scandalisent – « ces petits qui croient » : « Mieux vaudrait qu’on leur attache une meule au cou et qu’on les précipite dans la mort ». Qui sont ces « petits » ? On hésite : s’agit-il d’enfants ? Sans doute faut-il comprendre ceux qui, parce qu’ils croient, se trouvent dans une situation non pas infantile mais révolutionnaire si l’on veut bien ôter de ce terme toute résonance violente. Une révolution est point de départ : une entrée dans un temps nouveau et des relations nouvelles comme l’enfance est entrée dans la vie.

Par deux fois, les apôtres se méprennent sur l’enseignement de Jésus concernant le Royaume. A l’intérieur d’un ensemble politique qui s’annonce et prend forme dans leur imagination, autour de celui qu’ils considèrent comme l’héritier de David, ils s’interrogent pour savoir qui est le plus grand. C’est alors que Jésus bouleverse les images du pouvoir que leur offre l’expérience mondaine. Qu’ils considèrent le serviteur comme supérieur au maître. « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous ». Plus tard, le groupe s’approche de Jérusalem ; Jacques et Jean n’hésitent pas à briguer une place de choix lorsque Jésus aura atteint la gloire qu’ils espèrent. La réponse de Jésus reprend les mêmes oppositions: « premier », « serviteur ». « Celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur et celui qui voudra être le premier sera l’esclave de tous !» Ce point d’effacement, en réalité, est promesse d’avenir. Celui qui ne se laisse pas enfermer dans un système où s’opposent dominants et dominés est au point où l’on sort des frontières qui emprisonnent ; il ouvre l’horizon comme l’enfant qui naît annonce l’avenir. Pour joindre le geste à la parole, « Il prend un petit enfant et le place au milieu d’eux ». « Malheur à la ville dont le prince est un enfant » disait l’Ecriture. Le discours de Jésus modifie celui de l’Ecclésiaste : « Heureuse la ville dont le prince se fait enfant », heureuse la ville (ou l’Eglise ?) qui ne mise pas sur le maintien d’un système mais où le pouvoir modifie une cohésion sociale reposant sur la soumission des uns aux autres et où les puissants s’effacent pour ouvrir l’avenir.

Par-delà cette foule informe, errante comme un troupeau sans berger, et d’autre part, un système de scribes et de grands prêtres qui asservit le peuple comme le paysan domine l’animal en l’écrasant sous le joug, Jésus inaugure un temps où chacun pourrait se considérer pour ce qu’il est en vérité, livré à tous. Là est le fin mot de l’histoire, aux toutes dernières lignes : « Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ». En lisant ce fragment de l’Evangile qui, en bout de course, oriente vers Jérusalem, Jésus donne chair au commandement nouveau qu’il exprime en s’adressant à ce juif en quête de vie éternelle. « Donne ce que tu as...donne-le aux pauvres ». A l’heure où Jésus n’a plus rien, pas même un vêtement, le peu de vie qui lui reste est donné « en rançon pour la multitude ». On comprend mal ces mots lorsqu’on s’en sert pour exprimer en termes commerciaux ce que l’Evangile nous dit du salut. Cette rançon ne peut être un prix à payer pour racheter la faute de tous. A la suite de Jésus, dans le Royaume – lieu du salut- on n’achète pas, on ne rachète pas. On donne et on est donné. On reçoit et on est accueilli. Jésus, soit dit en passant, revendique cet accueil (« Qui vous accueille m’accueille et accueille Celui qui m’a envoyé ».

Il est à remarquer que les deux fois où Jésus s’en prend aux images de succès politique dans lesquelles s’enferment ses amis, c’est après qu’il a annoncé sa mort et sa Résurrection. Quand il nous est dit qu’ils ne comprennent pas ce qu’il annonce, ils réagissent en termes politiques. Ils ne comprennent pas encore que lorsqu’on entre dans la cohérence du Royaume, on peut bien buter sur un mur (celui d’une frontière ou celui de la mort), on ne touche pas le bout si tant est qu’on demeure au point où tout est à attendre. Par-delà la mort vécue dans l’Esprit du Royaume, la vie surgit encore, ressurgit. Les propos de Jésus n’avaient pas de sens au moment où ils étaient prononcés. Il y eut un jour où ceux qui les avaient entendus brisèrent le mur du non-sens et firent l’expérience d’un accès au-delà du sens (« Leurs yeux s’ouvrirent... »). La reconnaissance du Christ ressuscité n’est pas seulement le fait de retrouver un ami qui avait expiré, de partager avec lui du pain et du poisson sur la grève au petit matin. C’est aussi et en même temps briser les frontières de l’absurde et de l’incompréhension. « L’espace de la résurrection, celui qui la définit et qui la rend possible, est l’espace hors du sens qui précède le sens et qui lui succède » (Maurice Blanchot cité par J.L. Nancy).

Ces réflexions sur le Royaume que suscite la lecture de l’Evangile de Marc nous donnent à penser que la foi en la Résurrection bouscule de fond en comble les images que Pierre Jacques et Jean peuvent se faire non seulement du monde ou de l’histoire mais du Dieu d’Abraham, de la Loi et des Prophètes.

Au risque de commettre un anachronisme, suggérons que les remarques d’un philosophe comme Derrida peuvent nous aider à comprendre. On s’interroge sur le concept de « Démocratie à venir » attaché à la pensée politique du philosophe. Nous pouvons sans doute considérer, à sa suite, que tout régime, pour démocratique qu’il soit, ne peut être enfermé dans une définition. S’il tient en lui-même c’est qu’il repose sur quelques principes auxquels il se réfère pour donner sens à son fonctionnement et il demeure un système centré. Le souci de déconstruction inséparable de la pensée du philosophe empêche de se maintenir à l’intérieur d’un ensemble fermé dépendant de principes – qu’il s’agisse d’un système métaphysique ou d’un système politique. Aucun système ne peut sans violence se maintenir s’il s’accroche à des principes à partir desquels tout prend sens. S’accrocher à des principes conduit à s’enfermer à l’intérieur d’un système particulier. Parlons de démocratie si l’on veut mais reconnaissons qu’elle appelle un « supplément ». Elle ne tient pas sans l’avenir qui la déborde et la déplace. Autrement dit, elle est toujours « à venir ».

Cette façon séculière de penser la vie en politique ne présente-t-elle pas quelque analogie avec ce que laisse entendre l’enseignement de Jésus sur le Royaume ? Vivre dans un système où tout prend sens à partir de la loi ne laisse aucune place ni à l’imprévu ni à l’accueil. En réalité, à en croire l’Evangile, le Royaume surgit de ce qui vient et qui ne peut être reçu lorsqu’on est satisfait de ce que l’on tient. Dans la mesure où la loi du Royaume est l’accueil et le don, on ne peut y entrer sans que l’on soit habité par le désir de recevoir et par conséquent de rencontrer. On ne peut y demeurer sans prêter l’oreille à celui qui appelle et qui vient. Vivre dans le Royaume et y entrer ouvre sur ce qui le dépasse, sur ce qui vient et qui surgit. Le Royaume naît lorsque, dans l’humanité, on se tourne les uns vers les autres et lorsque ce mouvement fait jaillir la vie. L’enfance, il convient d’y insister, est la figure de ce surgissement, de cette « surrection », de cette promesse.

Si l’on peut recourir à un philosophe séculier pour comprendre les intuitions de l’Evangile parlant du Royaume, qu’avons-nous encore besoin de recourir à Dieu ?

Ne nous contentons pas d’un Dieu dont on aurait besoin. La lecture des deux ensembles que nous venons de lire nous en empêche. Incontestablement Pierre, Jacques et Jean sont, jusqu’à la Passion, prisonniers des images que Jésus vient contester. Ils font de Dieu le Seigneur de l’histoire ; mais Celui-ci n’est pas le principe à partir duquel la religion juive peut trouver le sens des événements qui font son devenir et celui du monde, comme le pensaient Jacques et Jean au moment où ils ambitionnaient de partager la maîtrise (« Ordonne que nous soyons l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ton royaume »). Si Dieu est ainsi le principe à partir duquel tout s’explique, ceux qui se réclament de Lui, certes ont de quoi répondre à leurs besoins de comprendre l’insensé. En réalité, ils échappent à cette dimension d’ouverture infinie véhiculée par la notion de Royaume.

Dieu n’est pas la réponse à nos besoins. Jésus en a fait l’expérience à Gethsémani.Il échappe à tout système qui enferme et explique. Pascal l’avait compris, il n’est pas le Dieu des philosophes et des savants et il dépasse toute vision du monde que la raison peut élaborer. Loin de répondre à nos attentes imaginaires, il reste à désirer et sera toujours à chercher plus loin que ce que nous pouvons accueillir. Au coude à coude avec l’incroyant capable d’échapper à tout système qui enferme, le chrétien affirme le travail d’un Autre sans infirmer la rencontre de l’autre, de tout autre qui vient et à qui on accepte de faire face. Certes, nous n’avons pas besoin de Dieu puisqu’il est l’objet d’un désir qui – et il faut s’en réjouir – ne sera jamais comblé : l’avenir restera toujours ouvert. La possibilité pourtant nous est proposée de reconnaître son passage. Y adhérer revient à recevoir la foi et à reconnaître qu’un don nous est fait. Il est cohérent, dans ce contexte de gratuité, de le recevoir pour ce qu’il est et de chanter le nom dont on se réclame.

On a déjà eu l’occasion, en lisant d’autres passages de cet Evangile de Marc, de faire allusion au philosophe Levinas. Au risque de nous répéter, il est bon de se tourner une fois de plus vers lui pour comprendre ces événements qui se sont produits à Jérusalem et aboutirent à la mise en croix. Certes, Levinas est juif et ne croit pas à la Résurrection. Mais qui, mieux que lui, pourrait nous aider à comprendre cette parole de l’Ecriture que Jésus prononce devant Pilate ? Le moment de la détresse de Jésus la plus extrême est celui où il affirme sa victoire (« Vous verrez le Fils de l’Homme siégeant à la droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel»). Voyant ce moment approcher, sur la route conduisant à Jérusalem, Jacques et Jean parlent de sa « gloire ». Celle-ci se manifestera au comble de l’abaissement, sur la croix. Ceci suppose, pour être compris, que la vérité humaine, celle de l’histoire et du monde que l’homme habite, n’est pas celle où les effets sont soumis aux causes comme les sujets sont soumis à ceux qui les gouvernent. Voyant la violence qu’engendre une certaine conception du monde, imprégné de l’enseignement des Prophètes, Levinas prétend qu’avant de se déployer dans le monde de l’être, l’individu est pris dans ce qu’il appelle « autrement qu’être » : « le dire » précède l’être. « Dire » consiste à être tourné vers autrui, livré à lui avant d’être considéré comme un sujet autonome. Comment vivre avec ce qui dépasse l’être, l’« Autrement qu’être » ? La réponse est dans le fait de vivre pour autrui ; il dépasse le fait de se déployer dans le monde de l’existence qu’on appelle Métaphysique : « Avant la métaphysique l’éthique ».

A l’intérieur de cette démarche très complexe, Levinas recourt à ce mot qu’on cueille sur les lèvres de Jacques et Jean : « gloire ». « La gloire de Dieu, c’est cela : l’autrement qu’être ». A l’intérieur de cette cohérence, il y a sens à relire la Passion. Jésus face à un système où tout est en ordre, tant du côté juif que du côté romain, dépasse les frontières de la politique et de la métaphysique. La « gloire » qu’il manifeste et révèle est cet espace qui n’est pas l’être mais inséparable de lui avec lequel il faut vivre pour demeurer humain. Vivre « autrement qu’être » c’est, à la lettre, « donner sa vie en rançon pour la multitude ».

« Ils se demandaient entre eux ce que signifiait « ressusciter d’entre les morts ». Et nous-mêmes qui recevons le message attaché au récit qui nous est fait de leur expérience, sommes-nous en meilleure position pour entendre? Tentons une réponse. Par-delà naissance et mort qui circonscrivent toute existence humaine, ceux qui avaient suivi Jésus ont fait l’expérience d’un troisième terme. Il ne s’agit pas d’une naissance puisque le trajet de la vie est accompli ; la Résurrection n’est pas non plus négation de la mort puisqu’elle vient après celle-ci. Inséparable de l’existence humaine, le mot Résurrection indique un passage à cet univers de l’autrement qu’être qui ne peut être saisi par l’intelligence mais sans lequel l’univers ni la vie ne pourraient être conçus sans danger. Ce passage est aussi une invitation à penser autrement. Le sens n’est pas à chercher dans un enchaînement de causes et d’effets s’exprimant dans une langue où les propositions principales commandent les subordonnées. Le sens est dans le franchissement de toutes les limites, dans l’enchainement des mots que l’on s’adresse pour se rejoindre et se parler. Le chapitre 6 de l’épitre aux Romains serait à relire ici. Comprendre la résurrection revient à plonger dans ce passage de la fin au commencement, de la mort à une vie nouvelle. Il s’agit de devenir des « hommes neufs » qui changent de regard et de vie. C’est ce qu’on appelle conversion !



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