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Il dansera pour toi (1)
Madeleine Delbrel

Madeleine Delbrel (1904-1964), décide de servir Dieu dans le monde et devient une des premières assistantes sociales. Elle s'installe avec quelques amies et travaille dans la banlieue ouvrière, à Ivry-sur-Seine, municipalité communiste où elle nourrit un dialogue avec eux. Elle écrit : « Seigneur, je pense que vous en avez peut-être assez des gens qui toujours parlent de vous servir avec des airs de capitaines ; de vous connaître avec des airs de professeurs… »

C’est le 14 juillet.
Tout le monde va danser. Partout, depuis des mois, des années, le monde danse. Plus on y meurt, plus on y danse : vagues de guerres, vagues de bals.
Il y a vraiment beaucoup de bruit. Les gens sérieux sont couchés. Les religieux récitent Matines de saint Henri, roi.
Et moi je pense à l’autre roi, au roi David, qui dansait devant l’Arche.
Car, s’il y a beaucoup de saintes gens qui n’aiment pas danser, il y a beaucoup de saints qui ont eu besoin de danser, tant ils étaient heureux de vivre : sainte Thérèse avec ses castagnettes, saint Jean de la Croix avec un Enfant Jésus dans les bras, et saint François devant le Pape.

Si nous étions contents de vous, Seigneur, nous ne pourrions pas résister à ce besoin de danser qui déferle sur le monde. Et nous arriverions à deviner quelle danse il vous plaît de nous faire danser en épousant les pas de votre Providence.
Car je pense que vous en avez peut-être assez des gens qui toujours parlent de vous servir avec des airs de capitaines ; de vous connaître avec des airs de professeurs ; de vous atteindre avec des règles de sport ; de vous aimer comme on s’aime dans un vieux ménage.
Un jour, où vous aviez un peu envie d’autre chose, vous avez inventé saint François et vous en avez fait votre jongleur. À nous de nous laisser inventer pour être des gens joyeux qui dansent leur vie avec vous.

Seigneur, venez nous inviter.
Nous sommes prêts à vous danser la danse du travail, celle de la chaleur, plus tard celle du froid.
Seigneur, enseignez-nous la place que, dans ce roman éternel entre vous et nous, tient le bal singulier de notre obéissance.
Révélez-nous le grand orchestre de vos desseins, où ce que vous permettez jette des notes étranges dans la sérénité de ce que vous voulez.
Faites-nous vivre notre vie, non comme un jeu d’échecs où tout est calculé, non comme un match où tout est difficile, non comme un théorème qui nous casse la tête, mais comme la fête sans fin où votre rencontre se renouvelle.
Seigneur, venez nous inviter.

Madeleine Delbrel
Peinture de Bernard Vincent

1- Extrait de La vie spirituelle, 1949, p. 195-197 / Retour au texte