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L'enfant qui jouait avec la lune
Lucien (Père Duval)

Prénom officiel Lucien.
Appelé par ses frères et sœurs Aimé (Duval).
Un témoignage poignant sur l’alcoolisme, un chemin pour s’en sortir.

Éditions Salvator 2010 (9ème édition ; 1ère édition 1983)
Format papier


 
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Présentation

Les plus jeunes n’ont peut-être jamais entendu parler d’Aimé Duval, plus connu sous le nom du Père Duval. Il a été surnommé le « Brassens en soutane ». Ami de Georges Brassens, celui-ci lui fera un clin d'œil dans Les Trompettes de la renommée :

Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le père Duval, la calotte chantante
Lui, le catéchumène et moi, l'énergumène
Il me laisse dire « merde », je lui laisse dire « Amen »

Aimé Duval (Lucien) a souffert de l’alcoolisme pendant de nombreuses années. Pour présenter son témoignage, Il écrit :

« Le mystique c’est celui qui voit la face cachée de la lune… Ce que voit l’alcoolique, précisément. Et s’il devient méchant ou s’il devient triste, c’est qu’il ne peut mettre en accord ce qu’il rêve et ce qu’il fait. Ce qu’il rêve et ce qu’il voit. »

Ces paroles, je pense qu’un homme les écoutera (rien qu’un cela me suffit). Et si le désir lui vient, il finira sa bouteille, il mettra son manteau, il partira de chez lui sans dire bonsoir à sa femme. Si le courage lui manque en route, il pourra prendre encore un dernier verre.

Il frappera à la porte d’une association de lutte contre l’alcoolisme, et le groupe lui apprendra à vivre heureux.

On trouve, sur la toile, de nombreux liens avec des chansons du Père Duval. Vous en trouvez une liste non exhaustive en bas de page ainsi qu’un lien sur sa rencontre avec Georges Brassens.

Quelques extraits du livre

Je suis alcoolique. Ça veut dire que je ne bois plus de vin, ni de bière, ni d’alcool. Depuis quatorze ans (p 10).

La descente

Il y eut, dans ma maladie, une étape euphorique, qui va de 1958 à 1965 environ. L’alcool m’aida à rouler, à chanter, à réfléchir, à prier. (…) Le vin m’a aidé aussi à faire mes chansons, il leur a donné leur coloration de nostalgie ou de colère, de fatigue ou d’attente du ciel. Où nous boirons avec l’Humanité nouvelle des vins étonnants. (…) Lassitude, rêves incurables de bonheur, l’alcool accompagnait leur violence. (…) Quand il s’agit de sentir la maladie du temps (dureté, bêtise, orgueil), de sentir la douceur du monde futur où l’on s’aimera, quand il s’agit surtout de crier que ce hiatus me fait mal, l’alcool m’a aidé et je ne regrette rien. (…) Un sentiment très fort qui m’a aidé à boire, fut la tendresse pour les petites gens. Je ne pouvais me faire à la misère des autres, à la maladie des autres, à l’humiliation des autres, à la pauvreté des autres, à la solitude des autres. Pour ma misère à moi, pour ma solitude à moi, j’avais Jésus et je me débrouillais bien avec lui, merci, merci, merci, ne vous occupez pas de moi. Un appétit fringaleux pour l’amitié, un acharnement de bœuf à sortir les gens de la misère, une témérité imbécile à affronter le malheur sous toutes ses formes, crier partout que la violence est connard et le pardon des injures la seule noblesse du cœur, voilà ce qui m’a fait faire deux millions e kilomètres dans 40 pays. (…)

Et l’alcool dans tout cela ? Il est là, bien sage, accompagnant les mouvements de l’âme : la reconnaissance, la jubilation, l’angoisse des départs, la tristesse des retours. Le corps s’alcoolise lentement, bien sûr. Mais l’âme, très lentement, va se mettre en ménage avec l’alcool. Et le divorce ne sera pas facile. (…) Cette maladie alcoolique, je ne l’ai pas vu venir. Je sentais bien que quelque chose changeait dans mon esprit, dans mon comportement, vis-à-vis de l’alcool. Je souffrais de quelque chose mais je ne savais pas de quoi. La maladie se développe dans l’ombre, dans l’inconscience totale. (…)

Toutes les raisons étaient bonnes pour m’empêcher de voir clair en moi. Et je ne prendrai conscience de cette anomalie que dix ans plus tard. Celles-ci, entre autres :
- Tu peux boire beaucoup, Lucien, avec le travail que tu fais. Tu transpires tellement pendant les concerts.
- Tu ne dois pas te soucier de ta petite personne. Tu as à rendre heureux les autres. Ne t’occupe pas de toi. Je ne savais pas que le désintérêt de moi (santé, réputation, etc.) était le signe d’un grave déséquilibre spirituel.
Je me répète, mais comprenez, s’il vous plaît, que de 1957 à 1968, j’ai supporté à la limite de mes forces la vie chagrinée des pauvres, des malades, des déprimés, des prisonniers (centrale de Poissy, de Fresnes, de Clairvaux, de Saint-Etienne), des veufs, des orphelins, des divorcés, des vieillards, des malades mentaux, des prêtres défroqués (quel sal mot ! Je respecte tant mon ami René P.), des maris trompés.

C’est la cause de votre alcoolisme ?
- Non. Cette fatigue est une des conditions de sa venue.
Bref, est-ce la bêtise, est-ce la malhonnêteté, est-ce la fatigue qui m’ont fait boire ? Non. Les raisons de boire sont beaucoup plus profondes. Mais il faudra des années pour s’en apercevoir. (…)

J’avais un bon ami qui s’appelle Noir. (…) Je crois qu’il devinait, à juste raison, la particularité de cette maladie : tant que je n’avais pas atteint le « fond » de la détresse physique et morale, il ne pouvait rien faire pour moi. Toute contrainte, tout conseil, toute parlotte étaient inutiles. Il fallait que je descende encore, avant de toucher le fond et enfin désirer (mot capital) en sortir. (…) Les gens disent souvent : " S’il avait eu un bon ami, ça ne serait pas arrivé. " C’est faux, j’avais mon ami Noir. Ça ne m’a pas empêché de boire (pp 16-30).

Le fond

Lucien, quand il n’est pas en tournées, habite dans une communauté de Jésuites. Il s’enferme dans sa chambre. Il n’en sort que plusieurs fois par nuit, lorsque la maisonnée dort, pour aller boire au goulot dans la réserve.

Ceux qui sont passés par là comprennent facilement. Ceux qui sont intelligents (sans ête malades) comprennent vaguement. Les autres ne comprennent pas et nous jugent mal. J’avoue que je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait. Les autres non plus ne comprenaient rien. Je ne comprenais pas que les autres ne comprennent pas… Sales moments. (…)

Ce fut une époque où je priais comme un damné. Nuit et jour, mais surtout la nuit. Il y a, à la tête de mon lit, le crucifix de cuivre que les Jésuites m’ont donné pour mes 20 ans. Ce crucifix m’a accompagné partout et je l’avais pendant la guerre dans la poche de ma vareuse. Eh bien, ce crucifix, ne haussez pas les épaules, cent fois, mille fois, j’ai mis la main sur lui. Ma main sur lui, comme ça, sans raison, par compagnonnage, par réflexe d’un malheureux devant un autre malheureux, sans rien demander, sans rien dire. (…)

Je ne mangeais presque plus, je ne parlais presque plus, je ne me lavais plus, je dormais à coup d’Imménoctal. Je n’avais plus la force de décider quoi que ce soit. (…) Arrivé à ce stade de désolation, on ne peut plus entrer en contact avec personne. On voit les gens marcher dans la rue, ce sont des ombres. Une petite fille s’est retournée sur moi dans la rue, une ombre. Le téléphone sonne, une ombre vous cause d’un autre pays. Ma porte s’ouvre, une ombre me regarde, souriante et inamicale, je ne comprends rien à ce qu’elle dit. (…) J’attendais en vain la personne neutre, objective et compétente qui me crie très fort à l’oreille : « Vous êtes malade d’alcool. » En vain, car le mot fait peur aux bien-portants et les rend muets. Quant aux malades, le mot est si terrifiant, qu’il les rend sourds. Je passais mes journées hors du lieu, hors du temps, attaché à la seule amitié qui me semblait fidèle : le monsieur cloué au laiton croisé, à la tête de mon lit. (…)

Vous autres, fiers à bras, conseilleurs sentencieux et sûrs de votre bonne conscience, je vous prie de fermer votre bouche devant un alcoolique. Vous êtes d’un monde spirituel qui n’est pas le nôtre. Vos mains sont trop gourdes et votre esprit trop peu fûté pour démêler l’écheveau de nos esprits embrouillés (pp 34-40).

Connaissance de la maladie

Après une tentative de suicide, Lucien est hospitalisé puis emmené par deux de ses amis dans la clinique du Docteur Fouquet à Versailles. Ce médecin communique souvent avec Lucien en lui écrivant et en mettant les pages sur son plateau du déjeuner.

Au bout de ces trois semaines que dura mon séjour chez Fouquet (je voudrais l’appeler mon ami mais la seule reconnaissance m’en empêche), je n’avais en fait compris qu’une seule chose : je suis un malade alcoolique. Je suis un malade. Pas un salaud, pas un pauvre type. Un malade, vous entendez ? Vous qui me regardez de travers, qui me jugez, qui détournez la tête dans la rue, vous qui me reniflez ostensiblement sous le nez quand je vous dis bonjour, vous qui me méprisez quand mes mots s’emmêlent et que mes pattes trébuchent. Je suis un malade, c’est vrai, mais j’avais envie de dire à la cantonade : Vous, vous êtes malhonnête de me mépriser, de ne pas essayer de comprendre, de me rayer de la liste des vivants. L’alcoolisme est une maladie, pas une tare. C’est une souffrance, pas un plaisir. C’est un esclavage, pas une rigolade.

Quand, au bout de trois semaines de travail chez Fouquet, je commençais à me juger sainement, je commençais à trouver, pour la première fois, une certaine cohérence à ma vie et j’en eus beaucoup de joie. Et aussi un peu de honte à trouver des vomissures sur mon manteau de Noé. (…) Les dernières pages que je trouvais sur le plateau du déjeuner étaient parfaites de clairvoyance et d’amitié : « En aucun cas, écrivait Fouquet, vous ne devez avoir l’impression d’être seul à lutter. C’est dans une atmosphère de sympathie et de cordialité qu’ensemble nous trouverons les moyens propres à nous permettre de triompher. Bonne route et à bientôt. » (…)

Il s’agissait de beaucoup plus que de rompre avec une habitude. L’alcool était plus qu’une habitude, c’était une nécessité psychologique. Je sentais vaguement qu’on ne devenait pas alcoolique par hasard mais par nécessité. Nécessité biologique, peut-être, mais aussi psychologique, sûrement. Quoi faire, comment faire, quoi changer dans ma tête pour n’avoir plus besoin d’alcool ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les mêmes désirs, les mêmes peurs, les mêmes colères allaient me pousser vers la même bouteille. C’est ce qui arriva (pp 44-48).

Les Alcooliques Anonymes (A.A.) et la suite

Après une rechute et au cours d’une seconde hospitalisation, on parle à Lucien pour la première fois des A.A. En un premier temps, il résiste.

Ah ! si Fouquet m’avait dit : « Allez les consoler, ça leur fera du bien », j’y serai allé, c’est mon métier de faire du bien (!!). Et je me voyais déjà au milieu d’eux, leur demander un instant de silence et leur faire un petit topo bien senti. (…)

Christiane, une alcoolique, vient le chercher pour une première réunion.

On arriva à la salle de réunion. Une vingtaine de personnes étaient déjà là, qui se présentaient tranquillement, sans me dévisager. Juste un mot en passant : « Je m’appelle Jean, je suis alcoolique », « Je m’appelle Louise, je suis alcoolique. » Et tous firent de même sans honte, sans fanfaronnade. Pas un ne s’avisa de me dévisager ou de me consoler. Ce mot « alcoolique » qui tirait sa violence terrifiante de l’obscurité et du chuchotement, comme les monstres de mes nuits d’enfant, ce mot devenait aussi ordinaire que « je suis Vosgien » - « Je suis musicien », le mot prenait gentiment sa place sous la galerie des titres. (…) Quelque chose de monumental se fissurait dans ma tête. La Honte. Et puis la Raideur. Et puis le Désespoir, qui vivait alors ses dernières minutes, pour toujours. (…)

J’ai encore remarqué chez les A.A., on ne parle que de soi. On ne parle pas de politique, pas de médecine, pas de la santé, pas du coût de l’alcoolisme, pas de carence des Pouvoirs Publics, pas des méfaits du pastis, pas de propagande antialcoolique. Parce que le travail sur soi est déjà suffisamment colossal pour ne pas éparpiller nos énergies. Et il est aussi difficile, sans doute, de se changer que de changer le monde. Et vouloir changer le monde est parfois un alibi pour ne pas se changer soi-même (pp 52-68).

(…) Eh oui, les A.A., comme Thomas, nous ne croyons que ce que nous touchons. Nous avons touché du doigt le désespoir. La Force qui nous en a sortis, nous l’avons aussi touchée du doigt. Dieu n’est pas ce qu’on croit, Dieu n’est pas là où on le cherche. Dieu n’est pas dans les nuages. (…) Je n’ai jamais parlé de Dieu en réunion. Pas besoin, il était là. « Quiconque aime, comme Bob ou Jeannette m’aiment, comme j’aime René et Paulette, quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. » Quiconque… c’est du français ou du fuégien ? Ça vaut tous les Manifestes du monde (p 130).

Contrairement aux apparences, l’alcoolique est un être profondément moral. S’il devient malfaisant, pour lui et pour les autres, c’est par colère. S’il devient sombre, c’est par tristesse. Colère et tristesse de ne pas pouvoir mettre en accord ce qu’il rêve et ce qu’il fait. Ce qu’il rêve et ce qu’il voit. La nature de la maladie est bien celle que je dis. Elle est mystique. Je le sais maintenant. Faute de le savoir (comment le pourraient-ils ?) les médecins ne pouvaient qu’échouer avec moi. Cette nature, commune aux alcooliques, fonde la qualité unique de leur amitié entre eux. (…) Parce que l’alcoolique a une confiance inguérissable dans les autres. Parce que son idéal lui dit que les autres sont des enfants de la Terre (ou de Dieu, s’il est croyant). (…) La mystique, c’est-à-dire la faculté de voir la face cachée de la lune, la face cachée des choses (p 136).

Lucien
Aimé Duval

Liens sur la toile

Rencontre avec Georges Brassens : rencontre-georges-brassens-et-le-pere-duval-video.html

Chansons du Père Duval
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Ce qu’il faut de temps (dernière chanson du Père Duval) : https://www.youtube.com/watch?v=-tibxD4l2_I
La paix si douce : https://www.youtube.com/watch?v=EgLIAcJ359g
Fils de la terre : https://www.youtube.com/watch?v=HCjS_nrv-eM
L’enfant de nuit : https://www.youtube.com/watch?v=sqI_WnT_p2k
La mer est profonde : https://www.youtube.com/watch?v=ynSrC7qNtzY

Album du Père Duval : https://www.youtube.com/watch?v=6btV394grok
Cet album contient les titres suivants :

00:00:00 « Le seigneur reviendra »
00:03:24 « Vieux Jo (Version 1) »
00:05:19 « Vieux Jo (Version 2) »
00:10:21 « Seigneur mon ami »
00:15:05 « J'ai joué de la flûte »
00:20:34 « Par la main »
00:28:43 « La nuit »
00:33:28 « Il y avait beaucoup de monde »
00:37:24 « Le ciel est rouge »
00:41:03 « Au clair de la lune »
00:43:36 « Marie-Thérèse »
00:47:54 « La petite tête »
00:51:47 « L'espérance morte »
00:55:22 « Il n'a pas eu, bonnes gens »
01:00:34 « Rue des longues haies »
01:04:24 « Il n'y a pas de monde heureux »
01:08:18 « Pourquoi viens-tu si tard »
01:10:43 « Comme un grand »
01:13:55 « C'est bien mon Dieu »
01:16:47 « Rien ne pourrait empêcher »