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Le synode romain sur la famille
Nicodème
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« La vocation de la famille dans l’Eglise et dans le monde contemporain » : tel est le thème du prochain synode qui se tiendra à Rome du 4 au 25 octobre prochain. Ses travaux seront la suite de ceux de l’an dernier. Ils auront été préparés par une large consultation : un questionnaire avait été envoyé par Rome sur le sujet dans tous les diocèses. A partir des réponses des catholiques et du rapport des travaux de l’an dernier, a été rédigé un texte sur lequel travailleront les évêques.
Ce document intitulé « Instrumentum laboris » (Instrument de travail) est disponible. Nicodème l’a lu et tente de vous en donner un compte-rendu.
Malgré la présentation typographique, il est difficile de faire la distinction entre les propos tenus par les évêques et ceux qui sont retenus de la consultation des autres baptisés. Par souci de clarté, notre présentation n’en tient pas toujours compte.

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Le Mariage dans un monde en mutation

Face à une mutation culturelle

La famille, les évêques le reconnaissent, est un lieu où les mutations culturelles sont frappantes. Il faut, selon eux, à la fois s’en réjouir et s’en inquiéter. S’en réjouir : les droits des personnes sont davantage reconnus en particulier ceux de la femme et de l’enfant. S’en inquiéter : l’individualisme de notre époque peut conduire chacun à s’isoler au sein de la famille et à se construire par lui-même.

Cette mutation anthropologique et ces contradictions culturelles entraînent bien des réactions de la part de la communauté chrétienne qui a réagi à la consultation demandée par le Pape.
- Le rôle de la maternité paraît souvent comme un obstacle à l’épanouissement de la femme.
- L’immigration est une épreuve : elle sépare souvent les époux et les pères de leurs enfants.
- Les conflits armés ébranlent la sécurité que les familles devraient procurer à leurs membres.
- Le système économique auquel le monde est soumis crée des écarts entre ceux qui bénéficient des richesses et la masse des pauvres qui en sont écartés. Ces derniers ne disposent pas des moyens d’accueillir des enfants si une véritable politique des familles ne se met pas en place.
- L’écologie a sa place dans ces difficultés. Le problème de l’eau, particulièrement, en bien des points du globe empêche de créer les conditions élémentaires pour que vivent des familles.

Dans ce contexte de mutation les relations affectives s’affirment désormais de façon détachée de la diversité biologique. De difficiles questions surgissent à propos de ces couples homosexuels qui naissent tout en souhaitant être parents.

Face aux exclusions

Aux évêques qui reconnaissent les difficultés entrainées par la pauvreté, les Eglises consultées n’hésitent pas à affirmer leur accord et à relever le défi de l’exclusion sociale. On s’attarde sur la situation des personnes menacées de solitude mais qui pourraient avoir une place privilégiée comme grand-parents pour transmettre aux jeunes générations un héritage de sagesse. Certes, les personnes âgées sont éprouvées par la maladie. Certes elles sont exposées à laisser leurs proches dans la tristesse d’un deuil. Ces familles éprouvées, dans ces conditions, doivent être entourées. L’Eglise se doit aussi d’inventer la façon d’intégrer les veufs et les veuves, les handicapés, les migrants.

Face à la diversité

Les évêques font allusion aux diverses façons, selon les régions et les religions, de fonder une famille. Même en Occident les manières de se rencontrer et de vivre la relation entre l’homme et la femme sont diverses : vie précaire en couple, concubinage, mariages civils ou religieux, divorce et remariage. Certes, les mariages mixtes peuvent être occasion de rencontre œcuménique intéressante. Reste que les mœurs des uns et des autres appellent un regard à la fois bienveillant et critique.

Evêques et chrétiens de tous horizons semblent d’accord, au moins sur deux points. D’une part la situation faite aux enfants appelle une extrême vigilance. Cette remarque est l’occasion de déplorer l’exploitation sexuelle qu’on constate dans certaines régions du monde. D’autre part la dignité de la femme n’est pas toujours respectée. Elle est souvent victime de violences ou de discrimination, exposée en bien des points à de graves mutilations, objet de mépris lorsqu’elle s’avère stérile.

L’Eglise face au mariage

L’indissolubilité : le mariage, un sacrement

L’Eglise, le texte nous le rappelle par la voix des évêques, conçoit le mariage comme un accomplissement de la nature. On peut comprendre cette affirmation à partir de la foi aux sacrements. Ceux-ci conduisent la nature à son sommet manifesté dans la vie, la mort et la Résurrection de Jésus. L’amour entre un homme et une femme est le lieu où se manifeste le don de Dieu, sa grâce. L’amour conjugal, selon l’Eglise, est une réalité de la nature. Par la grâce, la nature trouve son accomplissement c’est-à-dire rejoint la volonté du Créateur lorsqu’il les fit homme et femme. Briser ce lien revient à refuser la grâce et se mettre hors du lieu où le Baptême fait entrer. L’Instrumentum laboris a soin de développer cette dimension théologique du mariage.

Pendant des siècles l’Eglise a vécu dans des sociétés qui n’ont pas contesté cette vision. Face aux mutations en cours, la vie en couple jusqu’à la mort paraît pour beaucoup une aberration. Peut-on restaurer cette mystique de l’amour conjugal ? Le document s’y efforce en rappelant que vivre de la grâce consiste à vivre de l’accueil, du don et du pardon.

Quelle place faire aux croyants en situation particulière ?

A noter qu’il est très peu fait allusion aux couples homosexuels, sinon pour dire que rien, dans l’Evangile, ne permet de considérer que leur union est sacramentelle.

En revanche, il est fait allusion aux chrétiens ayant épousé un conjoint appartenant à une religion non catholique. La pratique orthodoxe tenant compte de la faiblesse humaine, autorise éventuellement une deuxième union. Le souci œcuménique de l’Eglise oblige à réfléchir.

Le texte, ni par la voix des évêques ni par celle du peuple de Dieu, ne précise les problèmes auxquels ont à faire face ceux et celles dont le conjoint appartient à une religion non-chrétienne mais on laisse deviner qu’ils rencontrent des difficultés. Que faire ? Ne peut-il il y avoir, entre les religions, un code commun pour permettre l’accord entre époux sur certains points épineux ? La question est posée.

Le document s’interroge surtout sur la place que l’Eglise peut faire aux croyants qui ne suivent pas ses normes d’indissolubilité. Malgré la volonté de ne pas condamner, il apparaît que des jeunes ou des personnes vivant en concubinage ne peuvent être admis aux sacrements. Le même interdit pèse sur les couples mariés simplement civilement : il s’agit de les accueillir pourtant dans les communautés en reconnaissant ce qu’il peut y avoir de beau dans leur amour mais en leur faisant comprendre qu’ils se doivent d’aller au bout de leur démarche en se préparant à vivre le sacrement comme l’Eglise le demande.

La question la plus délicate concerne les divorcés remariés. L’accord est loin de se faire sur ce point. Bien sûr, on rappelle que des divorcés veufs ou d’autres remariés mais vivant en frères et sœurs ont leur place à la table eucharistique. Une certaine ouverture semble se faire en atténuant quelques interdits. En principe les divorcés croyants devraient désormais être autorisés à assumer certaines tâches : leur permettre de faire des lectures dans les célébrations, de s’engager dans les associations caritatives et de prendre part à la catéchèse des enfants.

Des accords difficiles

Le texte manifeste deux accords difficiles.

Le premier se manifeste à propos des procès en nullité. Quand les conditions d’un mariage ne sont pas respectées, on peut, par un tribunal romain, faire reconnaître qu’ils n’était pas valide. Certains souhaiteraient que ces procès soient gratuits et que les procédures soient allégées. Les causes seraient défendues au niveau diocésain et, parmi les motifs à invoquer, on pourrait se référer au degré de foi des époux au moment des échanges.

Une forte division se manifeste entre les évêques en ce qui concerne l’accès à la communion sacramentelle de tous les divorcés, quels qu’ils soient. Les uns insistent pour qu’on ne change rien à la discipline en cours. D’autres seraient prêts à les accueillir à condition qu’ils suivent un parcours spirituel qui serait mis en place dans les diocèses.

Face à ces oppositions, les résultats de la consultation sont un peu décevants. Si l’itinéraire de réconciliation est largement approuvé, en revanche certaines propositions sont discutables et, avouons-le, peu réalistes. Demander aux époux de vivre dans la continence ne peut guère s’adresser qu’à une minorité de personnes. On pourrait, disent certains, promouvoir ce qu’on appelle « la communion spirituelle » telle que peuvent la vivre des chrétiens loin d’un lieu où une célébration est possible. Mais ceci suppose, disent les théologiens, qu’on vive en « état de grâce ». Dans la mesure où cet état de grâce est reconnu pour la communion spirituelle, il n’y a plus de raison d’exclure quiconque de la communion sacramentelle.

La limitation des naissances

Depuis 1968, date de la parution d’Humanae Vitae, l’Eglise est troublée par les interdits concernant les moyens de limiter les naissances. Le Pape François, interrogé sur le sujet, tentait sans doute de rassurer les consciences en déclarant avec humour que les humains ne se reproduisaient pas « comme les lapins » !

L’instrumentum laboris revient sur le sujet en soulignant l’importance de la recherche sur la natalité. Il faut créer et soutenir des centres de recherche où se rencontrent des spécialistes de la fertilité et des bios techniciens catholiques. On se réfère, bien sûr, à Humanae Vitae moins pour rappeler les consignes de Paul VI que pour évoquer l’amour de la vie qui conduit l’homme et la femme à engendrer. L’adoption est aussi un moyen d’honorer cette « ouverture inconditionnelle à la vie » dont parle la fameuse encyclique. Il faut reconnaître que, sur ce sujet précis, notre document ne s’enferme pas dans une morale rigide.

Les réactions de Nicodème

Un texte qui donne à espérer

Il faut reconnaître que ce document de travail laisse espérer quelques ouvertures.
- Il n’est pas sûr que les divorcés croyants soient définitivement exclus du repas eucharistique.
- La prise de conscience des mutations culturelles de notre temps altère quelques évidences séculaires. Bien sûr, on est étonné que l’accord sur ce point ne soit pas unanime mais il faut se réjouir qu’une brèche soit ouverte dans un système ressemblant à une forteresse imprenable.
- On peut se réjouir également que le problème de la limitation des naissances paraisse s’assouplir ; on peut aussi espérer que l’Eglise trouvera d’autres arguments que des interdits pour inviter ceux qui s’aiment à ne pas se replier sur eux-mêmes.
- Approuvons la discrétion avec laquelle est abordée la présence des homosexuels.

L’ambiguité de la miséricorde

Mais, d’une façon plus globale, ce document fait naître quelques regrets. Certes, il se garde bien de condamner les couples en situation irrégulière. Il prétend comprendre les difficultés des uns et des autres mais ses réactions demeurent très moralisantes. Le synode affirme qu’il comprend que bien des divorces sont le fruit d’une blessure. Pourtant il considère toutes les souffrances comme des appels au pardon. En effet, le mot « miséricorde » (« Le grand fleuve de la miséricorde ! ») émaille l’instrument de travail du synode. En se référant au texte de Paul VI (Humanae vitae) on fait allusion, à propos de couples, au message chrétien qui est « culture de vie ». Des couples meurtris par l’existence refusent d’être écrasés par les coups reçus tentent de regarder l’avenir sans se laisser écraser. Faut-il les aider à se redresser ou leur accorder la miséricorde dont la hiérarchie veut faire preuve ? Nous connaissons tous des unions fort légitimes qui se sont nouées pour des raisons financières. Malgré leur amour de l’argent, ces époux-là n’auraient pas besoin d’être réconciliés ! Nous connaissons tous également des situations où une maman se sépare d’un époux violent pour sauver ses enfants. Si elle se remarie, elle ne pourra rester dans l’Eglise, dans les cas où s’imposerait la solution la plus ouverte, qu’en entrant dans un chemin de « réconciliation » comme autrefois les apostats, les assassins et les adultères. Demandera-t-on à des financiers malhonnêtes qui s’enrichissent sur le dos des pauvres, de s’engager eux aussi « sur une voie pénitentielle » ?

Inventer la fraternité

Par ailleurs, devant ce texte préparatoire, on serait tenté de parler de « morale totalisante ». Ce qui conduit à le dire est le fameux recours aux « semences de vérité ». Le terme est emprunté à la théologie des époques patristiques. S’apercevant que bien des comportements évangéliques se découvraient dans les religions païennes, les Pères y voyaient des préparations à la Révélation. Il s’agissait de vérités partielles conduisant à la vérité totale, comme des semences de blé conduisent à la maturation d’un épi. Cette expression a été employée par le Concile à propos des religions non-chrétiennes. On trouve en elles des expressions de foi qui sont, par rapport aux dogmes de l’Eglise comme des semences. Par rapport à celles-ci la vérité de l’Eglise est considérée comme « le tout ». Au lieu de se considérer comme une autre religion particulière et d’inventer la façon de vivre à ses côtés, l’Eglise ne peut la considérer qu’avec condescendance. De même, en ce qui concerne la morale conjugale, les diverses manières de vivre l’amour humain sont classées dans un ordre de grandeur. Un couple marié légitimement vit la totalité du mystère chrétien. On veut bien considérer ceux qui gèrent leur vie autrement mais avec miséricorde. Mieux que la miséricorde nous avons à inventer un respect fraternel dont l’Eucharistie est le sacrement.

Nicodème
Peintures de Hélène Schjerfbeck

1) Les articles signés de Nicodème sont travaillés par plusieurs membres de l'équipe d'animation. / Retour au texte