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L'heure vient et c'est maintenant...
Christine Fontaine

A Pâques, chaque année, les chrétiens renouvellent leur « profession de foi ». « Mais c’est quoi la foi ? » telle était la question que posait un garçon de 18 ans à son père. Christine Fontaine, en suivant l’entretien de Jésus avec la Samaritaine, tente de répondre à cette question.

Ceux qui ne connaissent pas ou n’auraient pas en tête cette page d'Evangile peuvent la trouver en cliquant ici :
Jésus et la Samaritaine (Jean 4, 1-42).

Christine Fontaine est membre de l’équipe animatrice de « Dieu Maintenant ».

(3)Commentaires et débats

Quand le temps de Dieu croise celui des hommes

Il est midi, une femme sort du village pour aller puiser de l’eau au puits. Jésus est resté seul, fatigué par la route ; il se repose alors que ses disciples sont allés en ville trouver des provisions. Jésus parle avec une femme de Samarie. Cette rencontre ne se situe pas dans l’indistinction d’un monde sans loi. Le temps, mesuré à l’époque par le lever du soleil, est signalé : « C’était environ la sixième heure. » L’espace est découpé en provinces bien distinguées les unes des autres :« Jésus quitta la Judée et s’en retourna en Galilée. Or il lui fallait traverser la Samarie », dit l’Evangile. Jésus marche dans le monde des hommes et ce monde est marqué par les lois de l’espace et du temps. Jésus, au milieu des hommes, appartient à un peuple particulier. Il est Juif et ce peuple possède un lieu précis où il vient adorer Dieu : le Temple de Jérusalem. La Samaritaine appartient aussi à un peuple qui a ses propres traditions : ce puits auquel elle vient puiser est celui que « (leur) père Jacob,(leur) a donné et y a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses bêtes ». Ce peuple adore Dieu non pas au Temple comme les Juifs mais sur « cette montagne » que la femme indique. La rencontre de Jésus avec la Samaritaine se passe donc dans un monde fortement structuré. Entre le peuple juif et celui des Samaritains règne une rivalité. La femme n’ignore pas que les Juifs méprisent les Samaritains, au point qu’elle s’étonne qu’un Juif puisse lui demander quelque chose, fût-ce une simple gorgée d’eau à l’heure la plus chaude du jour. Jésus semble d’ailleurs confirmer cette supériorité : « Vous vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous nous adorons ce que nous connaissons car le salut vient des Juifs. » Il y a entre ces deux peuples, un code que ni Jésus ni la femme n’ignorent.

« Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. (…) L'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité. » Le temps des hommes, aux dires de Jésus, est pris dans un autre temps : une « heure » de Dieu rythmée par une autre loi que celle du lever du soleil. Et cette heure c’est « maintenant », au moment de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Dans cet entretien, le temps de Dieu croise celui des hommes. Dieu n’est plus à chercher à Jérusalem ou sur une Montagne sainte mais dans la rencontre entre un homme et une femme, un étranger et quelqu’un du pays, un Juif et une Samaritaine. Par delà tout ce qui les sépare, dans cette conversation qui les réunit, Dieu peut être reconnu et adoré « dans l’esprit et la vérité ». Il peut l’être mais il ne l’est pas nécessairement. La conversation de Jésus avec la Samaritaine va révéler ce qu’il faut pour que le Père trouve les vrais adorateurs qu’il cherche : « L'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité car tels sont les adorateurs que cherchent le Père. »

Le temps de la foi

Que se passe-t-il durant cet entretien ? Jésus, dès les premiers mots, se met en situation de demande : « Donne-moi à boire ». Il abandonne devant la femme toute situation dominante au point que la femme s’en étonne : « Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme Samaritaine ! ». Mais elle n’est pas au bout de son étonnement. En effet Jésus, l’instant d’après, inverse les positions. De celui qui demande de l’eau il passe à celui qui peut en donner : « Si tu savais… c'est toi qui (m’)aurais prié et (je) t'aurais donné de l'eau vive. » La Samaritaine a une cruche en mains, Jésus n’a aucun moyen pour puiser et c’est lui qui propose de l’abreuver. La femme, qui n’est pas démuni de bon sens, interroge : « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond. D'où l'as-tu donc, l'eau vive ? »

Ce que dit Jésus est insensé. La Samaritaine, aurait eu, à ce moment, toutes les raisons de tourner le dos à ce passant singulier. Pourtant elle est restée : « Seigneur, donne-la moi cette eau… » Pourquoi est-elle restée ? Le récit nous le dit : « Donne-moi cette eau, afin que je n'aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser. » Que la Samaritaine suive la voie du simple bon sens humain alors elle doit tourner le dos à Jésus. Elle renonce à tout bon sens. Ce que dit Jésus est invraisemblable mais si c’était quand même vrai… elle aurait tout à y gagner. La parole de Jésus a créé un écart entre un comportement raisonnable, de bon sens, d’une part et d’autre part l’intérêt que cette femme aurait peut-être à le suivre sans raison. La femme décide de faire confiance à Jésus. Cet accord repose sur un malentendu : la femme confond l’eau vive que lui propose Jésus avec celle du puits. Cet accord n’est pas désintéressé : la Samaritaine se dit que si cet homme peut, par impossible, lui donner de ne plus avoir à puiser au puits, c’est toujours bon à prendre. Mais Jésus ne s’en soucie pas du tout. Il reçoit le minimum d’accord – de confiance – nécessaire pour qu’il puisse agir en continuant à s’entretenir avec cette Samaritaine. C’est la naissance de la foi. Sans la parole de Jésus, l’espace nécessaire à la foi n’était pas possible. Sans la décision de cette femme de courir le risque de suivre sans raison, Jésus aurait été totalement impuissant.

Puisque nous savons maintenant que ce n’est pas de l’eau d’un puits mais de la foi dont il s’agit, reprenons sous ce jour l’entretien de Jésus avec la Samaritaine. Dans cet échange qui demande la confiance de l’autre ? Au début, c’est Jésus qui demande :
- « Donne-moi à boire, autrement dit : j’ai soif de ta confiance. »
- « Comment toi qui es Juif (et qui n’a aucune raison de me faire confiance puisque tu crois que je suis hérétique) tu demandes ma confiance à moi qui suis Samaritaine ! »
- « Si tu savais le don de Dieu… c’est toi qui m’aurais demandé de te donner la foi et je te l’aurais donnée à satiété. »
- « Malgré toutes les raisons que j’aurais de ne pas le faire, je décide de te faire confiance. », répond enfin la femme.
Au cours de ce dialogue, qui demande et qui donne sa foi (ou sa confiance) à l’autre ? Au début, c’est Jésus qui demande et la femme qui s’étonne qu’il lui adresse cette requête. L’instant d’après Jésus est en position de donner dans la mesure où la femme consent à recevoir. Enfin la femme décide de donner. Ils se renvoient la balle l’un à l’autre… sauf que, dans cet échange, il n’y a pas de balle mais un « esprit » de « vraie » confiance entre eux, par-delà toutes les raisons qu’ils auraient, de part et d’autre, de se tourner le dos. Entre Jésus et la femme un lien de confiance s’est créé.

En réalité Jésus, en suscitant ce lien, répond à l’attente d’un Autre invisible et pourtant présent au cours de cet entretien. Il répond à ce que « cherche » le Père : « Crois-moi, femme (…) l'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. » Par Jésus-Christ, l’homme juif, c’est Dieu lui-même qui cherchait la confiance de la Samaritaine. La foi est ce va-et-vient entre la demande de Dieu par Jésus-Christ et la réponse de l’homme, entre la demande de l’homme et la réponse de Dieu, dans un échange sans fin. Et le contenu de l’échange, par delà celui de chaque parole, c’est Dieu lui-même : « Si tu savais le don de Dieu », dit Jésus. La foi opère le passage, dans le temps et l’espace des hommes, d’un temps et d’un espace autres, ceux de Dieu.

Quand Dieu s’en mêle :
un comportement hors norme

Maintenant que ce lien de confiance entre le Dieu de Jésus-Christ et la Samaritaine est établit, l’entretien peut continuer. Leur conversation prend alors des allures surprenantes. Jésus n’a vraiment pas le comportement qui convient quand on s’adresse à quelqu’un, fût-il un familier a fortiori s’il est étranger. Il manifeste à la Samaritaine qu’il n’ignore pas ce qu’elle a vécu et il le lui dit : « Va chercher ton mari ». La femme répond « Je n’ai pas de mari. » Jésus lui dit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari, en cela tu dis vrai car tu as eu cinq hommes et celui avec qui tu vis aujourd’hui n’est pas ton mari. » Les paroles de Jésus opèrent un bouleversement total chez cette femme. Jésus, en mettant au jour ce qu’elle a fait et qui lui pesait - bien plus que d’aller chercher de l’eau au puits - l’en libère. Jésus tape juste. Il discerne ce qui empêchait la Samaritaine d’être libre et de vivre au grand jour ; d’être libre aussi dans les relations qu’elle entretenait avec les gens de son village. Il le lui dit et, par le fait même, il l’en libère. La suite de l’histoire va le manifester. En effet si le comportement de Jésus est « hors norme » selon nos codes de la bonne conduite, celui de la Samaritaine ne l’est pas moins.

Dans le monde des hommes entre eux, normalement - surtout au temps de Jésus - si une femme a eu cinq hommes dans sa vie et qu’un étranger le lui dit, elle ne se demande pas s’il est le messie. Elle se dit que sa réputation n’est pas seulement connue des gens de son village mais qu’elle a atteint jusqu’à cet étranger. Elle pense alors : « De quoi se mêle cet inconnu ! » et se révolte ou méprise, au moins intérieurement, cet homme au comportement malotru. Normalement, dans le monde de la religion, si elle croit que cet homme est peut-être l’envoyé de Dieu, elle adopte le comportement qui convient en cette circonstance : elle prend le temps de revêtir des vêtements de deuil avant d’appeler tout le voisinage ; elle baisse la tête humblement devant la population rassemblée et s’engage – devant Dieu et devant les hommes - à ne plus jamais recommencer… remerciant Jésus de ne pas l’avoir lapidée conformément à la Loi et en appelant à la pitié de tous pour ne pas l’être à l’avenir. Tout cela aurait été dans l’ordre des choses normales. Mais nous ne sommes plus dans l’ordre de ce qui est normal aux regards des hommes – fussent-ils des religieux – mais dans l’ordre de ce qui est normal aux yeux de Dieu quand il se mêle de l’histoire d’une pauvre femme malheureuse en amour.

Quand Dieu s’en mêle, la femme rentre au village et ameute tout le monde pour dire : « Venez voir un homme qui m’a dit TOUT ce que j’ai fait… »… comme si elle reconnaissait que ses relations multiples avec des hommes étaient le tout de sa vie. Quand le temps de Dieu rejoint celui des hommes, la Samaritaine ne s’attarde pas dans la honte ou dans le repentir. Elle n’y pense même pas aussi étrange que cela puisse paraître. Elle ne pense plus qu’à ameuter toute la population dont elle se cachait sûrement le matin… mais qui n’ignorait pour autant pas son comportement avec les hommes. « Venez voir, leur dit-elle, un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ! N’est-il pas le Christ ? » Le tout de ce qui, le matin-même, était une honte devant Dieu et devant les hommes devient le signe que celui qui le lui a dit est peut-être l’envoyé de Dieu, le Christ ou Messie.

Certes la Samaritaine attendait, comme tous les Juifs et les Samaritains, un libérateur. Mais elle ne pouvait vraiment pas s’attendre à ce que pour elle la délivrance passe par là. Cependant ce qui est sûr c’est qu’elle est libérée… tout son comportement le prouve. Mais ce qui vient de lui arriver est tellement inconcevable, qu’elle se demande encore si elle ne se trompe pas. Il faut que d’autres viennent confirmer l’expérience qu’elle a faite. Alors elle ameute tout le village. Le comportement de la Samaritaine est tellement inimaginable que son voisinage est bien obligé de croire qu’il s’est passé quelque chose d’incroyable… Ils sortent voir quel est cet inconnu, le retiennent deux jours chez eux et, au terme du récit, déclarent à la Samaritaine : « Ce n'est plus sur tes dires que nous croyons ; nous l'avons nous-mêmes entendu et nous savons que c'est vraiment lui le sauveur du monde. » Qu’ont-ils entendu pendant ces deux jours passés avec Jésus ? L’évangéliste ne le dit pas… comme si le contenu des paroles de Jésus était moins important que le fait de l’écouter lui Jésus… ou comme si l’entretien avec Jésus opérait chez ses auditeurs une libération aussi personnelle et forte que celle vécue par la Samaritaine, mais une libération dont on ne peut rien dire tant elle est simple mais en même temps inimaginable et inconcevable.

Maintenant : le temps de Dieu

L’heure vient et c’est maintenant où Dieu n’est plus à chercher dans un Temple ou sur une Montagne Sainte. Quand l’heure de Dieu croise celle des horloges, quand le lieu de Dieu rejoint l’espace des hommes, « le Père est adoré en esprit et en vérité » ; Dieu ne cherche pas refuge dans un bâtiment aussi sacré soit-il… mais on peut quand même l’y trouver puisqu’il se donne en tout lieu, à tout instant où que nous soyons maintenant. Là où nous sommes maintenant, Dieu ne peut agir que si nous décidons de lui faire confiance pour nous mener là où nous ne savons pas. Entrer dans la confiance, c’est accepter de le suivre en lâchant nos raisonnements, notre bon sens humain, toutes nos conventions et peut-être même nos peurs. Dans la vie de foi, il n’y a pas d’un côté Dieu qui donne et de l’autre quelqu’un qui reçoit. On se donne et on se reçoit mutuellement.

Dans ce va et vient, se noue un échange libérateur pour Dieu autant que pour les croyants. Libérateur pour nous car il sait mieux que nous ce qui nous bloque. Souvent il nous arrive de ressentir un malaise, un malheur de vivre mais nous ne voyons que confusément d’où il vient. Ou bien si nous le voyons, nous le refusons et nous accusons les autres ou nous même sans fin. Nous nous enfermons dans la culpabilité. « Dieu n’est pas nécessaire pour créer la culpabilité, ni pour punir. Nos semblables y suffisent, aidés par nous-mêmes. Vous parliez du jugement dernier. Permettez-moi d'en rire respectueusement. Je l’attends de pied ferme : j’ai connu ce qu’il y a de pire, qui est le jugement des hommes. Pour eux, pas de circonstances atténuantes, même la bonne intention est imputée à crime.(…) Ils n’ont pas eu besoin de Dieu pour ce petit chef-d’œuvre. », écrit Albert Camus
(1). Et il ajoute : « Je vais vous dire un grand secret, mon cher. N’attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours. » Dieu, par Jésus-Christ, discerne le poids qui nous écrase sans pour autant nous juger. Ou plutôt, comme il n'agit pas sans nous, il nous permet de discerner progressivement ce qui nous paralyse et par le fait même il nous en libère. Que de psychanalystes aujourd’hui rêvent de pouvoir agir ainsi ! Mais Dieu, à la différence d’un psychanalyste, ne demande pas à être payé. Il agit gratuitement, uniquement en toute amitié, et celui qui voudrait le payer se verrait repoussé. L’amour ne s’achète jamais !

Cet étrange et indicible entretien - qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer ou concevoir - entre Dieu et les hommes, n’est pas seulement libérateur pour les croyants mais également pour Dieu. On le faisait à notre image. On l’enfermait dans nos images. On pensait que, comme nous très souvent, il confondait "discernement" avec "jugement". On s’imaginait qu’il lui fallait des pénitents à genoux au tribunal de la Pénitence, s’accusant de leurs fautes et s’engageant à ne plus jamais recommencer. Dieu est enfin progressivement libéré de toutes les fausses images ou des fausses conceptions dont il se voyait affublé. Il peut se révéler pour ce qu’il est en vérité : notre Père. Pas le père qu’il faut tuer pour arriver à se dépêtrer de son autoritarisme. Pas le père qui détourne les yeux de son fils quand celui-ci lui fait honte. Mais le Père qui ne confond pas les forces de vie avec celles de mort et qui donne la force de combattre tout ce qui empêche que la vie jaillisse dans toute sa fraîcheur et sa nouveauté.

Le temps des « témoins »

L’heure vient et c’est maintenant… Cependant, entre le « maintenant » de l’entretien de Jésus avec la Samaritaine et le « maintenant » d’aujourd’hui, il y a une différence énorme : nous n’avons aucune chance de croiser Jésus et de nous entretenir avec lui comme ce fut possible pour la Samaritaine. Qu’est-ce qui nous assure aujourd’hui que c’est bien le Christ que nous suivons lorsque nous lâchons les « lumières de la raison » ? Plutôt que d’entrer dans la lumière de Dieu, ne risquons-nous pas de sombrer dans l’obscurité totale de la folie ? Ou bien encore ne risque-t-on pas de prendre n’importe quel gourou pour Jésus-Christ ? Ces risques sont bien réels. Mais ne l’étaient-ils pas déjà pour la Samaritaine ? Cette rencontre avec Jésus était tellement surprenante qu’elle ne pouvait pas vraiment croire qu’il était le Christ sans que sa foi soit confirmée par les gens du voisinage. Comme elle, nous ne pouvons pas recevoir l’assurance que c’est bien le Christ que nous suivons sans rencontrer des « témoins » de la foi.

Comment pouvons-nous distinguer les véritables témoins des non moins véritables charlatans ? On les reconnaît d’abord à ce que, à la suite de Jésus, ils vivent dans le temps des hommes et qu’ils ont bien les pieds sur terre. Sur cette terre, aucun d’entre eux ne risque de se prendre pour Jésus-Christ. Ils savent que lui seul connaît le cœur de l’homme et peut taper juste, au bon endroit et au bon moment, pour briser une entrave. Ils ont la sagesse de laisser la place de Jésus-Christ vide. Ils connaissent d’expérience que ce vide est plein d’amour pour chacun. Ils n’ignorent pas les lois de la religion mais, à la suite de Jésus-Christ, ils savent les relativiser. Pris dans l’obéissance de la foi, ils ne réduisent jamais ce qu’il faut faire à l’obéissance à des lois. On peut facilement s’entretenir avec eux, même du plus quotidien ou du plus intime. Ils acceptent de recevoir l’avis des autres et ne refusent pas de donner le leur. En général, ils sont même de bon conseil : vivant sous le regard de Dieu, ils sont habitués à discerner sans être portés à juger. Ils ne prétendent jamais posséder la vérité à eux tout seuls : ils croient que Dieu est adoré en esprit et en vérité dans l’entretien que poursuivent les croyants entre eux et avec tous les hommes. De ces gens qui aiment Dieu, on en trouve partout… « même parmi les chrétiens », comme l’écrit encore Camus.

Profondément incarnés dans l’histoire contemporaine, ces chrétiens ne prétendent pas que leur foi les rend supérieurs aux autres. Dans la société, ils travaillent avec tous ceux qui refusent de jouer le jeu de la concurrence entre les hommes. Ils croient même que ce jeu est profondément nuisible : il brise les relations d’amitié. Pour les même raisons, ils luttent avec beaucoup d’autres contre l’omnipotence des lois d’une économie inhumaine. Quand des athées, des agnostiques ou des gens de toute religion combattent contre tout ce qui écrase les hommes, ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître que, par eux, le temps de Dieu croise celui des hommes.

« Tout ceci ne repose sur rien. C’est de l’ordre d’un pur imaginaire et n’a aucun sens ! » diront sûrement des non-croyants. Nous ne pourrons que leur répondre qu’ils ont raison et que cela n’a pas de sens. Mais le bon sens et la raison à eux seuls sont-ils suffisants pour nous désaltérer vraiment ? Finalement, comme le disait Thérèse de Lisieux, même si par invraisemblable le Bon Dieu et le ciel n’existaient pas, je suis quand même bienheureuse de vivre avec lui sur la terre maintenant !

Christine Fontaine
Pastels de Pierre Meneval

1- Extrait de " La Chute ", Albert Camus. On peut trouver ce texte en cliquant ici : " On a craché sur lui! " / Retour au texte