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29ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 10, 35-45

Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchent de Jésus et lui disent : « Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande. » Il leur dit : « Que voudriez-vous que je fasse pour vous ? » Ils lui répondirent : « Accorde-nous de siéger, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ta gloire. » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » Ils lui disaient : « Nous le pouvons. » Il répond : « La coupe que je vais boire, vous y boirez ; et le baptême dans lequel je vais être plongé, vous le recevrez. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder, il y a ceux pour qui ces places sont préparées. »

Les dix autres avaient entendu, et ils s'indignaient contre Jacques et Jean. Jésus les appelle et leur dit : « Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous : car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Une Eglise contestée
Michel Jondot

La décharge du monde
Christine Fontaine

Dans sa gloire !
Michel Jondot


Une Eglise contestée

Trouver sa place

Il est bien normal de regarder l’avenir et de tenter de se faire une place, et si possible la meilleure, dans la société humaine. Pour cela, on n’hésite pas à subir des « épreuves », à préparer des examens et des concours, à passer des entretiens en courant le risque d’être mis à l’écart mais aussi en courant la chance d’atteindre les objectifs qu’on s’est fixés.

On n’a pas de mal à comprendre les réactions des deux frères Jacques et Jean, qui, en suivant Jésus, marchaient vers le but qu’ils avaient choisi. Ils avaient pris le chemin qui, selon eux, devait conduire à une société entièrement nouvelle. Ils avaient compris que Jésus était l’héritier du roi David, celui qui devait renverser les autorités en place et rétablir la royauté en Israël. Jésus leur parlait de cette nouvelle manière de vivre ensemble qu’il appelait le Royaume de Dieu. Il n’était pas encore possible de comprendre que son règne dépassait toutes les images qu’on pouvait en avoir. Même après la Résurrection, à l’heure où il allait les quitter, ils s’attendaient à le voir régner en maître sur leur pays écrasé sous la botte romaine et rempli de petits chefs, scribes ou Pharisiens, qui « faisaient sentir leur pouvoir » sur le peuple. Aux yeux de beaucoup cela ne pouvait plus durer ! Les disciples étaient encore pleins d’impatience, au moment même de l’Ascension ; les onze amis lui demandaient encore : « Est-ce bientôt que tu vas rétablir le royaume d’Israël ? » Jusqu’au bout, ils ont du mal à réaliser que ce Royaume dont leur maître parlait était, certes, de ce monde, mais à condition qu’on s’arrache à lui. « Je ne te demande pas de les ôter du monde mais de les garder du Mauvais. »

« Jacques et Jean … lui disent : Donne-nous de siéger, l’un à ta droite, l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Non seulement ils ne comprenaient pas de quelle gloire il s’agissait, mais ils ne voyaient pas encore que la gloire de leur maître n’avait rien à voir avec l’exercice d’un quelconque pouvoir : « Il ne m’appartient pas » de vous accorder ce que vous demandez.

Une nouvelle société

Le groupe des disciples s’indigne du comportement des frères mais Jésus ne donne pas raison aux dix autres. D’une certaine façon, il est d’accord avec Jacques et Jean. Il ne rejoint pas ceux qui s’indignent de leur prétention mais il s’adresse à tous pour les engager à ne pas avoir peur de viser « la gloire » qui sera la sienne et d’atteindre la grandeur. Qu’ils n’aient pas peur de leur soif de grandeur. Bien sûr, ils subiront des épreuves, ils feront face à des situations difficiles à avaler : « la coupe que je vais boire, vous la boirez ! » Mais la grandeur n’est pas là où le monde croit la voir. Elle n’est pas du côté où « les chefs des nations commandent en maîtres ». Les Onze la verront au jour de la Résurrection quand ils toucheront les marques des clous sur les mains et la marque d’un coup de lance à son côté. Ils découvriront les dimensions de cette vie « donnée pour la multitude ». Ils comprendront plus tard que la gloire qu’ils ambitionnent s’est affichée sous les yeux des foules au Golgotha. La porte est ouverte pour le rejoindre. « Les chefs de Nations commandent en maîtres » : rien ne sera changé si on prend leurs places. Le pouvoir reste le pouvoir, il ne peut se maintenir qu’en dominant ou en asservissant. La seule grandeur qui vaille c’est de se jeter aux pieds de tous ceux que l’on peut rencontrer comme devant une personne aimée, comme Jésus devant ses disciples et devant la multitude dont nous faisons partie.

Le danger du cléricalisme

Nous vivons une période de l’Eglise où ses chefs sont soumis à rude épreuve. La justice du pays incrimine les Evêques et les Archevêques et, par milliers, des prêtres et des laïcs signent des pétitions pour contraindre tel ou tel à démissionner. C’est, sans doute, une rude épreuve pour eux mais c’est peut-être une belle question qui nous est posée à tous. Il est vrai que, même s’ils accomplissent leur tâche avec un souci de fidélité évangélique, ils sont pris dans un système de pouvoir que conteste le texte de ce jour. Leurs titres connotent une grandeur que dénoncerait Jésus : excellence, éminence, monseigneur... D’aucuns, il est vrai, se font appeler « Père », comme les simples prêtres. Mais l’expression ne risque-t-elle pas d'infantiliser les baptisés, leur interdisant de voir en eux des frères ? On comprend le souci du Pape François qui, paradoxalement, rejoint les protestations des personnalités les plus laïques en dénonçant le cléricalisme : « Voilà l’ennemi », disait déjà Gambetta.

On se tromperait en croyant que le texte d’aujourd’hui est fait seulement pour les évêques. C’est oublier que certains baptisés risquent de se laisser enfermer dans un système fermé en se soumettant, sans discernement, à toutes les consignes ou tous les projets pastoraux. L’Esprit brise les clôtures et pousse à inventer les chemins de l’amour et du service dans une communion fraternelle entre tous. Faut-il en conclure que toutes les revendications, dans l’Eglise et ailleurs, sont justifiées ? Prenons garde. Ceux qui désirent être chefs à leur tour, sont soumis aux mêmes tentations que les prêtres ou les évêques ; là encore, il faut faire preuve de discernement. La recherche du pouvoir, dans l’Eglise ou dans la vie civile est dangereuse. A chacun de trouver sa place ; « il y a plusieurs demeures » dans le Royaume inauguré par Jésus mais chacun se doit de veiller, là où il est, à se décider de vivre dans la lignée de « celui qui est venu non pour être servi, mais pour servir ». Cherchons la meilleure place ; elle est là où l’amour commande !

Michel Jondot


La décharge du monde

La décharge publique

Qui voudra être la décharge publique de l’humanité tout entière ? Qui acceptera, par amour pour Dieu et pour les hommes de vivre au milieu d’ennemis et de leur pardonner tout le mal qu’ils lui font ? Qui consentira à vivre en ce lieu d’exclusion où l’on est victime de la calomnie, de la médisance, de l’ingratitude, de la jalousie, de l’orgueil, de l’hypocrisie et du mensonge pour y inscrire la douceur, la paix, la bienveillance, l’humilité, la justice et la vérité ? Qui consentira à cette vie infernale ?

« Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, dit Jésus, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? »

Qui acceptera de plonger en lui-même sans fuir ce qui s’y trouve de méchanceté, de mensonge et d’hypocrisie ? Qui consentira à descendre en lui-même et reconnaîtra – en toute vérité – non seulement la beauté qui lui vient de Dieu mais la misère qui l’habite ? Qui consentira à reconnaître qu’il est fils de cette humanité emportée par la médisance, la jalousie et la haine ? Qui pourra descendre dans son propre enfer sans désespérer ni de lui ni des autres mais en attendant tout de Dieu. « Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, dit Jésus, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? »

La place du serviteur

« Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous », dit Jésus.

Dieu désire que chaque baptisé – et l’Eglise dans son ensemble – consente à vivre à la dernière place. Celle du serviteur et celle de l’esclave. Dieu espère que, dans l’humanité, son Eglise demeurera là où il y a encore du travail à faire et non là où tout va bien.

Dieu veut expulser du cœur des hommes toute bêtise et toute haine, toute méchanceté et tout mensonge. Il a tout remis entre nos mains. Il faut descendre, il faut plonger en ces lieux privés d’amour pour que Dieu puisse assainir tous les recoins obscurs de l’humanité. Il dépend de nous désormais que la grâce de Dieu puisse rejoindre notre terre là où l’humanité en a réellement besoin.

Comme Jacques et Jean nous rêvons de régner dans la gloire à la droite ou à la gauche de Jésus, et nous aimons découvrir – dès cette terre – un reflet de la gloire qui nous attend aux cieux. Nous aimons les belles liturgies qui élèvent l’âme, nous apprécions les assemblées chrétiennes où l’unanimité s’exprime. Mais nous répugnons davantage à ces heures où le péché de notre Eglise autant que le nôtre nous apparaît dans sa vérité.

Chère dernière place

Dieu espère que nous consentions à vivre à la dernière place.
« Chère dernière place ! » disait Charles de Foucaud.
Chère dernière place qui est la place même de Dieu !
Chère dernière place où Dieu règne en nous donnant sa Vie, où il repousse la haine et brise les verrous de la mort !
Chère dernière place qui est aussi la première où l’on devient, à la suite de Jésus, fils de Dieu !

« Vous le savez, dit Jésus, ceux que l’on regarde comme chefs des nations païennes commandent en maîtres ; les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. » Parmi nous, les premiers ont le devoir de prendre sur eux le poids, la charge qui pèsent sur leurs frères en humanité. Ils doivent se charger de ce qui appesantit les autres. Ils doivent être la décharge du monde.

« Venez à moi vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau », dira Jésus dans l’Evangile.
« Venez à moi afin que je vous décharge de tout ce qui vous appesantit. »
Chère dernière place où Dieu décharge de tout poids et de tout souci celui qui peine pour lui !

Christine Fontaine

Dans sa gloire !

Une révolution spirituelle

Pendant de nombreuses années, voici plus d’un siècle, Péguy le poète, refusait la foi catholique ; il lui reprochait d’enfermer les damnés dans un désespoir éternel, à l’image de cette société industrielle qui maintenait les prolétaires dans une situation de misère sans issue. Il lui a fallu découvrir qu’en christianisme existait plus qu’une solidarité mais une véritable communion où le pécheur et le saint se tiennent la main dans une chaîne que rien ne pourra rompre.

Les disciples de Jésus dans cette scène d’Evangile sont encore bien loin de comprendre la révolution spirituelle qui se produit autour de Jésus. Ils voient dans le Nazaréen, sans doute, celui qu’annonçaient les prophètes, le Messie, l’héritier de David que tout un peuple attend. Ils n’ont pas compris que le règne de celui-ci dépasse ce qu’ils peuvent imaginer. Un royaume repose sur un système hiérarchique où le prince distribue les titres et les dignités en fonction d’une loi dont il doit faire respecter le fonctionnement. Ils sont une douzaine à avoir été mis à part et entre eux, s’amorce un jeu de rivalités que nous n’avons malheureusement pas de mal à comprendre : « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire ».

Elevé sur la croix

« Vous ne savez pas ce que vous demandez ! ». En effet, il faut attendre le jour où Jean verra de ses yeux la gloire de son maître. Celle-ci se manifeste un certain vendredi. Ce jour-là, il fut – c’est le jeu de mots de St Jean – « élevé » sur la croix. Il est effectivement entouré de deux personnages, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, mais ce sont deux brigands. Sa gloire, c’est d’abandonner tout privilège, à commencer par celui qui, comme dit Paul, l’égalait à Dieu. La révolution qu’il accomplit c’est que la loi du Royaume, celle qui fait les justes et les injustes, qui donne sa place aux grands du Royaume comme aux valets de ferme, est précisément la loi qui le condamne, lui le grand innocent de l’histoire. Noble est la loi qui vient de Dieu : elle fait un peuple saint. Mais, comme toute loi, elle fait des pécheurs. Quelle loi n’a jamais été transgressée ?

Quand elle condamne Jésus, elle montre ses limites. Elle englobe cette fois le pécheur avec le juste. Quand Jacques et Jean avaient adressé leur demande au Maître, celui-ci leur avait demandé : « Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? Ils lui disaient « Nous le pouvons ». Effectivement, comme chacun de nous le sera un jour, ils auront été plongés dans la mort. C’est jusqu’en ce point que s’étend « la gloire » de Jésus. Par sa mort, lui, le Fils du Père, lui la parole du commencement, lui sans qui rien ne fut de tout ce qui est, se met au rang de ce qui s’efface et disparaît. Le voilà qui fait corps avec la mort comme avec le péché. Mais s’il est vrai que le péché et la mort sont inséparables du Fils de Dieu, s’il épouse notre misère, celle-ci se change en gloire et nous n’avons plus qu’à accueillir la gloire qui est la sienne et que nous partageons avec lui.

La loi est dépassée

L’enfer dans tout cela ? L’enfer qui gênait Péguy ? Il est vrai que l’Eglise affirme qu’il existe mais il est vrai aussi qu’elle n’oblige personne à croire que quelqu’un y demeure. En réalité, quand on songe à la « gloire » de Jésus, est-il possible de concevoir que quiconque puisse jamais être séparé de Jésus ? Se laissant condamner par la loi qui fait des coupables, Jésus en supprime le pouvoir ; la loi est dépassée par celui qui, se soumettant à son pouvoir, la subvertit. La chair de Celui qui est Parole est broyée par la loi. La Parole qui a pris chair, rejoint la multitude des hommes qu’ils soient des saints ou qu’ils soient des pécheurs. Elle les rejoint là où chacun « boit à la coupe du vendredi et plonge dans la mort où lui-même, Jésus, est immergé comme dans un bain ». Elle les rejoint non seulement dans la mort physique mais dans la condamnation que mérite toute infraction. Elle les rejoint comme la parole des commencements, c’est-à-dire comme promesse de vie et de Résurrection. Jacques et Jean s’étaient approchés de Jésus pour être du côté des maîtres ! Ils n’avaient pas encore compris que la gloire de Jésus n’est pas de dominer mais de rejoindre la multitude pour partager la pauvreté de chacun, en particulier celle du pécheur, afin que la dignité et la gloire de Dieu lui-même soient partagées par tous. La vie de Jésus est la parole de la Création qui devient parole de résurrection non pour quelques privilégiés mais « pour la multitude ».

Serviteur de tous

Il n’est pas inutile d’avoir tenté d’entrer dans l’Evangile en commençant par faire allusion à l’expérience chrétienne de Péguy. C’est en regardant la condition faite aux hommes de son temps qu’il en est venu à repenser le mystère de la foi. Entre la communion des saints à laquelle nous croyons et la division des hommes dans le monde où nous vivons, quel contraste ! Il nous faut faire le chemin inverse du poète et repenser notre place dans la société à partir de ce que nous découvrons dans le mystère de Jésus. Si, en Lui, s’accomplit la communion humaine, comment supporter sans réagir les écarts entre les hommes et les peuples, entre les maîtres et les victimes des systèmes monétaires, par exemple ? Si « rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ », comme dit St Paul, comment supporter cette mise à l’écart de la parole, de la liberté, de la culture, du travail qui accable des millions et des millions de personnes ? Comment sortir de cet Evangile sans quitter l’invitation faite à chacun « d’être le serviteur de tous ? »

Michel Jondot