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Questions d'écologie
2- Quand l'écologie se fait politique
Julien Lecomte

Ce second article sur les questions d’écologie aborde la problématique sous l’angle des réflexions politiques et des actions pouvant en découler. Le format de cet article imposera une présentation brève de ces questions, et nous nous en excusons par avance auprès des lecteurs. Les propos n’engagent que leur auteur.

Rappel : Julien Lecomte est professionnel de l’aménagement du territoire. Il exerçe depuis une quinzaine d’années en indépendant. Cet article fait suite à :
Questions d'écologie : 1- Comment mieux s'y retrouver

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De la science à l’éthique

À la naissance de l’écologie comme branche des sciences de la Nature au XIXe siècle s’est articulée une réflexion éthique sur la place qu’y occupe l’Homme. L’être humain devient un animal paradoxal, faisant partie de la Nature mais aussi capable de la détruire, entraînant à terme sa propre perte. Ces réflexions naissent durant la période de la Révolution industrielle, car transformant par une radicalité totalement inédite jusque-là les milieux naturels. Dans les jeunes États-Unis d’Amérique, on retrouve la figure de Thoreau, véritable pionnier d’une réconciliation entre l’Homme et la Nature. La destruction de pans entiers de la nature sauvage américaine par l’avidité mercantile sera, plus d’un siècle après, un fil rouge dans les romans de Jim Harrison, et elle continue de préoccuper des auteurs contemporains comme Jonathan Franzen. En France, c’est le géographe Élisée Reclus qui fait figure de précurseur sur ces questions. Peut-être conviendrait-il d’ajouter le courant romantique qui rompit avec la vision terrifiée des grands espaces naturels forgée aux siècles précédents. Le XIXe siècle, en effet, est celui qui invente le littoral ou la montagne comme lieux de contemplation, de loisirs et d’expéditions, alors qu’ils suscitaient auparavant l’effroi ou l’indifférence.

Esquissée à grands traits, cette généalogie pose l’articulation liant écologie et écologisme. D’une nouvelle forme d’observation scientifique de la Nature ont émergé des considérations éthiques sur les actions humaines s’y portant, puis la volonté de les réorienter dans une manière plus vertueuse, et in fine à fonder une pensée politique pour agir en conséquence sur la société.

Nos contemporains confondent souvent un écologue avec un écologiste, car le terme d’écologie recouvre désormais tant la discipline scientifique que la posture politique. S’il reste difficile d’imaginer un(e) écologue qui n’aurait aucune position écologiste, nous constatons, hélas, que la réciproque n’est pas toujours vraie.


Une des premières ascensions du Mont-Blanc, celle de M. Saussure en 1787,
représentée par François Aloys Müller (estampe conservée au Musée alpin de Chamonix)

L’écologie peut-elle être apolitique ?

L’idée est répandue : l’écologie est transpartisane, et devrait concerner toutes les tendances politiques, tel un déterminant neutre et universel. Apolitique, donc, l’écologie ? Notre réponse est clairement : non ! Au contraire, l’écologie ne peut pas être neutre politiquement, selon nous. Elle s’oppose, au nom de considérations éthiques, à toute forme de système productiviste, exploitant les ressources naturelles autant que l’être humain. Par définition, il s’agit là d’une pensée politique.

Ainsi, l’écologie est souvent considérée, dans nos sociétés dominées par le paradigme du marché libéral, comme un nouvel anti-capitalisme. Cette considération s’avère d’ailleurs partagée autant positivement que négativement. C’est oublier que le productivisme n’a, historiquement, pas été le seul fait du capitalisme. Il le fut également dans le système soviétique. Alain Supiot rappelle ainsi que la gouvernance par les nombres (1), réduisant l’économie comme la vie humaine à de froids indicateurs chiffrés, est propre aux deux systèmes. Les gigantesques dégâts causés à la nature dans l’ex-empire soviétique en témoignent, dont l’assèchement de la mer d’Aral en est l’un des exemples les plus frappants. L’écologie fut d’ailleurs déclarée « fausse-science » en URSS tandis que le prétendu agronome Lyssenko substitua entièrement l’idéologie à la science, avec des conséquences catastrophiques.

L’écologie est politique, en ce sens, quand elle propose un nouveau modèle pour transformer les rapports économiques et sociaux. Selon notre opinion, elle ne doit pas être réduite à un seul contre-modèle du capitalisme, mais doit au-delà proposer une perspective anti-productiviste et démocratique, tout en s’appuyant sur une rationalité scientifique indépendante.


La Mer d’Aral asséchée, l’une des catastrophes écologiques majeures du XXe siècle (source : Novastan)

Prémices de l’écologie politique

L’émergence d’une pensée politique écologiste apparaît, dans sa forme moderne, à partir de la fin des années 60. Au début des années 70, elle se concrétisera, en France du moins, dans le champ électoral. En effet, en 1974, l’ingénieur agronome René Dumont présente la toute première candidature écologiste à l’élection présidentielle. Deux ans auparavant a été publié le rapport Meadows qui écorne pour la première fois, dans une étude commandée par le Club de Rome, le mythe d’une croissance économique infinie (2). Précisons que le concept de décroissance n’a d’ailleurs pas été inspiré par une bande de hippies écolos mais principalement par l’économiste et brillant mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), fondateur visionnaire de la bioéconomie. Trente ans après la parution du rapport Meadows, alors que la situation de l’environnement n’a cessé de se détériorer à l’échelle mondiale, le IVe Sommet de la Terre, tenu à Johannesburg, entendit Jacques Chirac déclarer : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », sans que cela ne soit suivi d’effet. Néanmoins, dans les années 80, le parti politique des Grünen (les Verts) remporta ses premières victoires électorales dans l’Allemagne fédérale.

L’exemple de la pensée d’André Gorz

Arrêtons-nous quelques instants sur l’un des penseurs précurseurs de l’écologie politique en France : André Gorz (1923 - 2007) (3). Issu de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre et du marxisme, André Gorz était journaliste de profession et fut l’auteur de nombreux ouvrages et articles. Il développa une pensée novatrice critiquant le productivisme et l’économicisme. Voyant dans l’écologie politique un renouvellement de la critique du capitalisme, il tourna également le dos au socialisme orthodoxe. En effet, les deux systèmes ne sortent pas du régime productiviste, qu’il soit privatisé ou collectivisé. Fordisme et stakhanovisme tracent les deux revers d’une même médaille. André Gorz défendit l’idée d’une réduction de nos relations de production-consommation, tout en assumant le suffisant. L’enjeu est la libération de notre dépendance à des besoins matériels superflus, instrumentalisés par d’autres, pour reconquérir notre autonomie. Ainsi libéré, chaque individu peut alors se consacrer à des activités immatérielles en vue de son propre épanouissement.

Toutefois, les connaisseurs de son œuvre soulignent qu’André Gorz ne se préoccupait pas d’écologie scientifique, et l’opposait même à l’écologie politique. Les actions de protection et de restauration des milieux naturels lui apparaissaient réactionnaires. Il voyait dans la science écologique une expertise de plus parmi les outils de récupération du capitalisme. Nous sommes ici en désaccord avec sa vision. Le système capitaliste s’est depuis répandu de manière globalisée, avec l’émergence de nouvelles puissances productivistes comme la Chine, et n’a absolument pas résolu le problème de la destruction des milieux naturels : au contraire, il l’a aggravé. Par ailleurs, les tentatives d’instrumentalisation de l’écologie par les grands groupes industriels sont régulièrement dénoncées sous le terme anglais de greenwashing, traduit en français par écoblanchiment (4). Il nous semble au contraire important de lier ces deux faces, politique et scientifique, de l’écologie, non pas pour fonder une sorte d’expertocratie, mais pour guider de manière éclairée des choix démocratiques. L’enjeu fondamental reste que la recherche scientifique soit entièrement indépendante, comme nous l’avons rappelé dans le premier article.


André Gorz et son épouse Dorine, dans les années 50 (photo : DR)

Nous n’avons ici ni le temps ni les connaissances suffisantes pour évoquer d’autres courants de la pensée écologiste. Certaines, comme celles issues de la deep ecology américaine, sont assez inquiétantes par l’extrémisme de leurs positions. On l’aura compris, l’écologie politique est traversée de courants diversifiés, voire antagonistes, comme toute pensée politique en général.

L’écologie politique et les élections en France

En France, ce sont d’abord des candidats aux conceptions différentes qui se présentèrent aux élections présidentielles. Suite à René Dumont en 1974, succédèrent Brice Lalonde en 1981, puis Antoine Waechter en 1988, ce dernier défendant l’indépendance totale de l’écologie à l’égard du clivage gauche-droite, dans un apolitisme sans lendemain. Ni l’un ni l’autre n’ont réussi à créer un mouvement politique de masse. Les différents courants écologistes parvinrent à se réunir au sein du parti Les Verts en 1994 – créé dix ans plus tôt - en proposant un pacte d’alliance avec la gauche. Dominique Voynet portera les couleurs du parti aux présidentielles de 1995, puis sera ministre de l’écologie du gouvernement Lionel Jospin entre 1997 et 2001. Lors de l’élection présidentielle de 2002, le candidat des Verts, Alain Lipietz, mène une campagne tellement calamiteuse qu’il est remplacé en dernière minute par Noël Mamère. Le parti écologiste deviendra Europe Écologie Les Verts (EELV) en 2010. Des candidatures écologistes l’emportent dans des élections particulières : les Européennes et les élections territoriales. Pourtant, à l’exception de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, sous la présidence verte de Marie-Christine Blandin entre 1992 et 1998, aucun département ni région n’a encore été dirigée par des écologistes. La récente « vague verte » des dernières élections municipales est un terme médiatique. Ce suffrage à l’abstention record a révélé que l’électorat du parti écologiste reste urbain, métropolitain, et surtout de catégorie socio-professionnelle supérieure. Il s’étiole dans les quartiers populaires, les villes petites et moyennes, et la ruralité (5).


Brice Lalonde, devant son affiche électorale, en 1981 (photo : DR

Le positionnement idéologique du parti écologiste français apparaît brouillé. Ses innombrables querelles internes firent même dire de lui qu’il contenait un courant par militant ! Reste d’ailleurs que sa base militante semble désormais très faible, et qu’il a connu de nombreuses défections parmi ses dirigeant(e)s historiques. Ainsi, depuis sa création, ce parti achoppe à gagner un électorat populaire, pourtant le plus touché par les problèmes d’écologie : précarité énergétique, exposition multiple aux pollutions, cadre de vie dégradé, accès plus difficile à une alimentation de qualité etc. Les engagements du parti écologiste sur des sujets dits « sociétaux » semblent éloignés des réelles préoccupations écologiques de nos concitoyennes et concitoyens. Les actions écologistes d’envergure furent menées en dehors de son contrôle, comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par exemple, celle-ci renouant avec deux grandes luttes similaires des années 70 : le plateau du Larzac et Plogoff.

Pourtant, nous considérons que ces luttes réactives ne peuvent suffire si l’on souhaite réorienter les rapports économiques et sociaux vers davantage de respect de la Nature et de l’Homme. La capacité à produire un droit écologique reste fondamentale, et pour cela, il faut gouverner. Jusqu’à présent, le poste de ministre de l’écologie semble intenable, et la démission de Nicolas Hulot, personnalité pourtant très appréciée, n’a fait que renforcer ce sentiment. En un mot, l’écologie politique est encore loin d’être parvenue aux sphères du pouvoir décisionnel, tout comme elle semble loin d’être parvenue à une maturité idéologique apte à mobiliser un électorat massif.

Julien Lecomte
Nov. 2020

1- SUPIOT, Alain, La gouvernance par les nombres, leçons au Collège de France (2012-2014), Paris, Fayard, 2015 / Retour au texte
2- Commandé par le Club de Rome à un groupe de chercheurs du MIT en 1971 (Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Rander et William W. Behrens), le titre exact de cette étude est « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». Publié un an plus tard, il fit l’objet d’une violente opposition de la part des économistes néo-libéraux comme Hayek. / Retour au texte
3- De son vrai nom Gérard Horst, né Gerhart Hirsch en Autriche, il obtint la nationalité française en 1957. / Retour au texte
4- Voir à ce sujet le « Guide anti-greenwashing » disponible en ligne sur le site de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie ADEME : http://www.ademe.fr / Retour au texte
5- Voir l’article sur Slate : « Et si le " tsunami " vert des municipales n’en était pas un ? » - 24 septembre 2020, se basant sur une enquête de la Fondation pour l’innovation politique sur l’origine du vote écologiste de juillet 2020. Le rapport complet : http://www.fondapol.org/etude/tsunami-dans-un-verre-deau/ / Retour au texte