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Saint Jean Damascène

2- Chemin de liberté

Jean Mansour, le Damascène, ne pouvait guère entrer dans la vie adulte sans espérer une carrière brillante. Ses relations familiales, sa culture lui ouvraient les portes de l’administration. Il a 20 ou 25 ans lorsqu’à la fin du califat d’Abd-El-Malik (le second des ommayades) il est, comme son père, au service des finances publiques. Vraisemblablement il perçoit, pour les reverser au Trésor, les impôts de tous les chrétiens de la ville, c'est-à-dire de la majorité de la population ; les sommes qui passent entre ses mains sont considérables.

Pouvait-il se maintenir longtemps au service du pouvoir ? Très vite, la dynastie des ommayades eut du sang sur les mains. La succession de Muawiya s’est accompagnée du martyre d’Hussayn, le fils d’Ali, qui risquait de prétendre au pouvoir. Par ailleurs l’injustice sociale grandissait dans la ville de Damas au rythme même de son développement. Quand une ville prend de l’extension, les campagnes se dépeuplent alors qu’elles devraient pouvoir faire face aux besoins croissants des populations urbaines. On fit donc venir de la main d’œuvre servile recrutée au hasard des conquêtes musulmanes. Ainsi s’effaçait l’idéal de justice sociale de la première communauté de Médine : désormais l’esclavage va de soi.

Très libérale au départ à l’égard des chrétiens, la politique de l’islam en vint à se durcir. Cette fermeture, sans doute, était le fruit de la guerre contre l’empereur chrétien de Byzance. Le massacre des chrétiens faits prisonniers n’est pas rare. Il arrive qu’on fasse pression sur certaines familles pour qu’elles embrassent l’islam. C’est à cette époque, le début du VIIIème siècle, que l’église Saint Jean-Baptiste de Damas est confisquée pour devenir la fameuse mosquée qu’on admire encore aujourd’hui.

Cette vague d’islamisation touche les rouages de l’Etat ; la langue grecque a disparu et l’arabe est devenu la langue officielle. Malgré vents et marées, l’Eglise de Syrie tient debout. La liberté de culte y est respectée et le calife lui-même, Walid 1er, désigne un patriarche pour Jérusalem. La Syrie-Palestine survivait sans patriarche depuis la mort de Sophrone (646), celui qui avait ouvert les portes de la ville et négocié avec l’islam le statut des chrétiens. Jean V lui succède en 706. L’Eglise tient debout : elle sait s’adapter aux temps nouveaux et elle adopte l’arabe comme langue liturgique. On peut vivre dans la foi chrétienne mais pour demeurer en Eglise, il faut faire un choix de vie. Demeurer en Eglise c’est décider de ne jamais faire une brillante carrière et accepter d’être exclu de la richesse et des responsabilités du pouvoir. Pour échapper à l’impôt ou, si l’on est fonctionnaire, pour garder son poste et faire carrière, il faut se convertir.

Un récit du 10ème siècle nous rapporte une histoire qui, pour être légendaire, laisse deviner ce que pouvait être la situation du Damascène à cette époque. On raconte que l’empereur byzantin aurait fait circuler une lettre fausse attribuée à Jean Mansour, selon laquelle l’auteur aurait été compromis dans un complot contre l’islam. Le calife aurait alors donné l’ordre qu’on lui coupât la main droite. Marie aurait entendu les prières de l’homme amputé ; le calife constatant le miracle aurait été émerveillé et, convaincu de la fidélité de son serviteur chrétien, l’aurait confirmé dans ses fonctions. Cette histoire est invraisemblable, moins à cause du miracle que de la réaction du calife. Un pareil soupçon n’aurait pas entraîné une amputation mais la mort. Cependant cette histoire évoque bien le tiraillement auquel le percepteur de Damas était soumis, coincé entre Byzance, l’ennemi de l’islam, les maîtres de la Syrie dont il était le fonctionnaire et l’Eglise de son baptême. Il était promis à une brillante carrière. Les promesses de sa jeunesse ne pouvaient être tenues sans qu’un jour ou l’autre il soit contraint de passer à l’islam, et de toute façon sans qu’il se fasse complice des violences et des injustices de l’histoire en cours.

Il posa alors un acte de vraie liberté spirituelle et, plutôt que de s’asservir à un pouvoir humain, il renvoie ses serviteurs, se débarrasse de tous ses biens pour en distribuer le prix et se retire à Saint Saba, un monastère de Jérusalem. Il a sans doute environ 40 ans. Désormais ses ambitions sont plus hautes. Il s’enfonce dans le silence et la prière. Son sermon sur la Transfiguration dit l’idéal de vie qu’il se fixe désormais :

Mt 17,1 : « Il les emmena sur une haute montagne. »
« Au figuré, la divine Ecriture appelle « montagnes » les vertus. Mais comme sommet et rempart de toutes les vertus apparaît l’amour puisqu’en lui se définit la perfection… Après avoir laissé le terrestre à la terre, après avoir surmonté le corps de misère, et après avoir été mené vers le sommet suprême et divin de l’amour, il faut donc contempler ainsi les choses qu’on ne peut contempler. »

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