En commençant je voudrais souligner que le projet du gouvernement, sur le mariage pour tous, a eu le mérite de déclencher dans le pays un large débat. Des positions divergentes mais motivées ont pu se confronter et pendant encore plusieurs semaines les positions vont s’affiner, se préciser, évoluer. Je me réjouis que le groupe « Dieu maintenant » participe à sa façon à ce débat.
En dehors des décisions à prendre je constate que le discours sur l’homosexualité a, substantiellement, progressé dans tout le pays, marqué par plus de respect, d’attention et de tolérance. Nous sommes en train de voir se répandre l’idée, finalement toute récente à l’échelle de l’histoire, que l’homosexualité n’est ni un mal ni une maladie, qu’il s’agit d’un fait qui s’impose à certains d’entre nous et qui les constitue.
Notre société est encore loin d’avoir maîtrisé ses peurs et l’homophobie est hélas encore bien réelle, mais si l’on regarde le chemin parcouru depuis une trentaine d’années on peut être encouragé à faire progresser la cause du respect et de la dignité de tous.
Le mariage pour tous
A la revendication du mariage pour tous il est opposé une union civile spécifique ouvrant aux couples homosexuels des droits équivalents aux couples hétérosexuels à l’exception de la filiation. Les organisations représentant les homosexuels dénoncent une discrimination; la société, en leur refusant le mariage, leur refuserait de reconnaître leurs couples avec la même solennité et la même bienveillance que les couples hétérosexuels.
La conférence des évêques constate, à juste titre, que le mariage civil, en France, ne concerne pas que la sincérité et l’authenticité du lien amoureux, ce qui serait une conception par trop individualiste, mais que le mariage est une institution construite pour transmettre la vie et assumer l’éducation des enfants.
Pour les jeunes générations le fait de s’aimer et le désir de s’afficher comme couple est un événement de première importance qui justifie d’être célébré. Il est incompréhensible, de ce point de vue, que la société réserve le mariage aux couples hétérosexuels. Il convient de considérer que le mariage des couples homosexuels qui le souhaitent leur donnerait une reconnaissance sociale, une dignité; une sécurité au fond bien légitime.
D’un point de vue patrimonial il est vrai que le régime d’indivision du PACS est le pire des systèmes. Les couples homosexuels doivent pouvoir organiser leur solidarité et leur patrimoine avec la souplesse des solutions que propose le mariage.
Concernant la filiation certains voudraient que le statut des couples homosexuels tende vers une stricte égalité avec les couples hétérosexuels. Cette revendication s’appuie sur l’idée, qu’avec la PMA (Protection Médicalement Assistée), l’adoption, les familles recomposées, la filiation n’aurait aujourd’hui plus aucun lien avec le biologique.
L'adoption simple
Si l’aménagement du mariage peut être envisagé sans que les us et les coutumes familiales soient substantiellement bouleversés, poser que les couples homosexuels sont, au regard de la filiation, comme des couples hétérosexuels suppose une déconstruction en profondeur de ce qu’est la famille aujourd’hui. Cela supposerait une négation de la réalité telle qu’elle est, une orientation idéologique dont il n’est pas certain que chacun ait pris la mesure enfin cela aboutirait à déstabiliser profondément de nombreux Français et notamment les plus fragiles d’entre eux.
Les enfants ont besoin d’accéder à leurs origines. Cet accès est le fruit du récit que les adultes leur font mais aussi des places dans lesquelles la société les institue. Tout non-dit, mensonge ou approximation se paye la plupart du temps au prix fort pour l’intéressé. Il est vraiment important que la loi veille à pouvoir, le plus possible, tenir compte de la réalité et du respect de tous.
Contrairement à ce que chacun semble penser il est tout à fait possible de réserver à chacun une place pertinente sans prendre le risque de la confusion. On peut, en droit français, avoir deux mamans et/ou deux papas. De nombreuses personnes ont fait ce choix. Certaines organisations de parents homosexuels n’en veulent pas; ils ont tort.
L’adoption est la création par jugement d’un lien de filiation entre deux personnes qui, sous le rapport du sang sont généralement étrangères l’une à l’autre. Il existe deux sortes d’adoption :
- l’adoption plénière qui met fin aux liens avec la famille biologique, qui n’a plus aucun droit sur l’enfant et disparaît de son état civil, seuls les adoptants sont légalement les parents
- l’adoption simple dans laquelle les enfants restent dans leur famille biologique mais rentrent dans la famille des parents adoptifs, bénéficiant ainsi d’une double appartenance.
En ce qui concerne les enfants élevés par des couples homosexuels, il s’agit en général d’enfants biologiques de l’un des membres du couple. Il peut s’agir d’enfants ne connaissant que l’un de leurs parents ou en lien aussi avec leur autre parent. Le compagnon ou la compagne du parent biologique pourrait demander l’adoption simple de l’enfant; ce qui laisserait subsister les liens de l’enfant avec ses parents biologiques tout en plaçant cet adulte dans une position parentale indiscutable.
Si l’enfant ne connaît pas son géniteur, il aura une mère biologique et une mère adoptive, la lignée paternelle restant vide. Cette configuration nous semble la plus adaptée, attentive au respect scrupuleux de la réalité, soucieuse que ces deux femmes qui sont responsables de l’éducation de l’enfant aient une place incontestable, tout en permettant à l’enfant de grandir avec son histoire.
L’accès au mariage des couples homosexuels rendrait le recours à l’adoption simple , pour le conjoint du parent biologique, beaucoup plus aisé au regard de l’exercice de l’autorité parentale et des règles spécifiques que le code civil prévoit déjà.
Le projet du gouvernement aménage les conséquences de l’adoption simple sur le nom de l’enfant, le texte actuel étant mal adapté a des enfants vivant avec un parent biologique et un parent adoptif.
La voie de l’adoption simple, outre qu’elle semble correspondre très concrètement aux revendications des familles homoparentales, a le mérite d’inscrire ses familles dans des règles très habituellement utilisées et communes à tous.
Les français souhaitent une société plus respectueuse des homosexuels et c’est tant mieux. Rien ne permet de penser qu’ils appellent de leurs vœux un bouleversement de leur façon de devenir parents dans des liens de filiation. C’est pourquoi nous sommes favorables à ouvrir aux couples homosexuels l’accès au mariage sans modification des règles actuelles sur la procréation et l’établissement de la filiation. C’est d’ailleurs pour l’essentiel la promesse électorale du président de la République et le texte de loi adopté en conseil des ministres.
Libéralisation de la PMA et des autres modes alternatifs de procréation
Il ne suffit pas d’affirmer; encore faut il rendre compte des raisons pour lesquelles nous entendons nous opposer fermement aux amendements qu’on nous annonce et qui sont probablement le vrai enjeu de ce débat.
Les Français, qui se passionnent pour ces questions , sont tiraillés entre l’adoption d ‘une opinion d’autant plus définitive qu’elle est parfois peu fondée et l’impression que les problèmes sont tellement complexes qu’ils ne peuvent que s’en remettre à des experts. Il faut raisonner simplement et concrètement. La procréation médicalement assistée avec donneur n’est pas la seule solution pour avoir des enfants, y compris pour des personnes homosexuelles.
Ce que la PMA apporterait c’est que l’institution médicale jouerait un rôle d’écran infranchissable entre le donneur et « l’assistée ». Dès lors que le contrat est exécuté, que le coût est payé, chacun reprend sa liberté. Personne ne doit rien à personne. C’est bien l’efficacité et la limite de l’acte marchand qui permet la circulation des biens et des services sans obliger les partenaires mais sans fonder le lien social. Les entreprises qui, en Amérique, proposent des gestations pour autrui invoquent cette même « sécurité » comme argument de vente.
Procréer par PMA est différent de procréer par donneur connu. Faire l’impasse totale sur le géniteur, connaître l’identité du géniteur qui reste entièrement étranger à la vie de l’enfant, situer le géniteur dans sa place de père, sont des montages radicalement différents qui dessinent pour les enfants des histoires qui ne peuvent se confondre les unes avec les autres.
Je constate que, dans les débats publics actuels, les questions du mariage et des familles homosexuelles sont instrumentalisées par ceux qui pensent que la procréation n’a aujourd’hui plus de lien avec le biologique et qu’il est temps de parvenir à une libéralisation de la procréation. Il ne s’agit pas, pour nous, d’agiter des peurs mais de prendre la mesure de la question telle qu’elle est posée afin d’y répondre complètement. Il apparaît en effet assez évident que de la réponse à cette question découle la position sur toutes ses déclinaisons. Défaire le lien entre la procréation et le biologique revient à réclamer les modes alternatifs de procréation pour tous. Comment se situer face à une telle revendication en vertu de quelles cohérences ?
Je propose d’essayer de raisonner à distance des considérations sur l’intime, les comportements ou la nature pour tenter d’argumenter politiquement, même si cela est particulièrement difficile dans un domaine ou gauche et droite sont à fronts renversés.
Les PMA sont aujourd’hui des actes médicaux réservés aux personnes frappées d’infertilité pathologique. (Art. L2141-2 du code de la santé publique).
Libéraliser les PMA avec ou sans donneur peut signifier de les rendre accessibles à tous. Dans une telle hypothèse les motivations des personnes y recourant seront innombrables et la Loi ne pourra bien évidemment pas demander d’en rendre compte. Une telle réforme s’alignerait sur la situation des pays les plus libéraux qui ont fait émerger des PMA comme prestation de services ordinaires. La création de ce nouveau marché implique nécessairement la liberté de concurrence, la communication sur les offres proposées et la maximisation des profits. (Voir les offres en provenance d’Amérique du nord circulant sur le Net.)
Comment la gauche qu’elle soit libérale ou centriste, qu’elle soit anticapitaliste ou alternative pourrait s’engager, sans se renier, à livrer la procréation aux forces du marché ? La question n’est pas seulement liée à la toute puissance de l’argent. En effet on peut imaginer que ces prestations soient gratuites pour les bénéficiaires par des mécanismes de tiers payeurs assurantiels ou publics. Afin d’aller au bout du raisonnement, considérons que la question de l’argent soit maîtrisée (ce qui est loin d’être acquis) Il demeure la question essentielle de la désindividuation (Adorno) : « L’individu est réduit à zéro par apport aux puissances économiques. L’individu disparaît devant l’appareil qui le sert, il est pris en charge mieux que jamais par cet appareil même. » Marx et Simondon ont, eux, parlé de prolétarisation généralisée : « Est prolétarisé celui qui perd son savoir : le producteur prolétaire perd son savoir-faire, passé dans la machine, et il devient pure force de travail ; le consommateur prolétaire perd son savoir-vivre, devenu mode d’emploi, et il n’est plus qu’un pouvoir d’achat. » (B. Stiegler in "Réenchanter le monde")
Ramené à la question de la procréation perdre ses savoir vivre c’est à dire perdre nos savoir inventer nos propres vies et celles de nos enfants. La gauche se trompe de combat. Entre ceux qui voient le coup politique et ceux qui cherchent l’affrontement idéologique ils ont perdu l’ambition de réfléchir à comment faire société avec tous.
Une partie de la gauche politique veut nous faire croire qu’il s’agirait de la mise en œuvre du progrès, alors que le « capitalisme du désastre » nous fait entrer dans une crise sans précédent qui est précisément la fin d’un système qui détruit les savoirs. C’est la répartition des rôles entre prestataires et consommateurs qui doit être repensée si l’on veut trouver les voies d’un avenir désirable et possible.
La libéralisation des modes alternatifs de procréation laissera, bien évidemment subsister pour l’essentiel la procréation hétérosexuelle. Mais un nombre important de personnes se laissera convaincre par des offres commerciales alléchantes. Les PMA banalisées imposeront à tous de faire un choix ce qui ne manquera pas de s’avérer particulièrement difficile pour beaucoup qui se trouveront profondément fragilisés. Souhaitons-nous vraiment semer le trouble chez ceux qui désirent des enfants ?
Certains refuseront de s’engager dans ce débat sur la place du biologique dans la filiation. Ils considèreront que le projet sur le mariage pour tous et les amendements que les députés nous annoncent n’ont comme objectif que les couples de femmes homosexuelles. Dans cette hypothèse il faudrait reprocher à la gauche politique de renoncer à l’ambition de faire une loi pour tous. Se seraient-ils mis à penser comme les néolibéraux que le droit civil n’est pas structurant mais constitue un simple procédé distributif répartissant équitablement les biens. Comment des républicains laïcs conséquents pourraient en arriver à construire un droit communautariste spécifique à chaque groupe de pression ? Il n’existe aucune raison d’accorder le bénéfice d’une PMA non médicale aux uns et pas aux autres. C’est pourquoi la PMA doit rester réservée aux personnes frappées d’infertilité pathologique.
En résumé je propose
- qu’au nom du respect que nous devons aux couples homosexuels d’hommes ou de femmes nous nous associions au projet tendant à la modification de la loi leur permettant d’accéder au mariage à la condition que ce droit nouveau n’ait pas d’effet sur les règles de la procréation et d’établissement de la filiation.
- De nous opposer à assouplir les règles d’accès à la PMA pour une population déterminée ou pour tous.
- Le maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui, les enfants qui en seraient issus ne devant être rejetés en aucun cas.
- Le maintien de la présomption de paternité pour les couples hétérosexuels.
- L’aménagement de l’adoption simple afin qu’elle puisse être utilisée par les conjoints homosexuels des parents biologiques
Que nous soyons homosexuels ou hétérosexuels pour nous opposer à ceux qui entendent défaire le lien existant entre filiation et biologie nous ne pouvons que mobiliser nos pauvres savoirs vivre faits de nos sentiments, de nos sexualités, de nos identités, de nos corps, de nos psychologies, de nos histoires familiales et personnelles, de nos places dans la société, toutes choses biens modestes mais qui malgré leurs insuffisances seront toujours mieux humanisantes que la meilleure des prestations de service.
L’altérité de l’enfant par apport à ses père et mère est une chose subtile et complexe. Emanuel LEVINAS disait dans « Ethique et infini » : « La paternité est une relation avec un étranger qui, tout en étant autrui, est moi. La relation du moi avec un moi-même qui est cependant étranger à moi. Le fils en effet n’est pas simplement mon œuvre, comme un poème ou comme un objet fabriqué, il n’est pas non plus ma propriété. » Puissions nous ne jamais oublier cette pensée au moment de décider.
Jean Luc RIVOIRE
Peintures de Dominique Doulain