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3ème dimanche du carême

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 13, 1-9

Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l'affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu'ils offraient un sacrifice. Jésus leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. Et ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé, pensez-vous qu'elles étaient plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »

Jésus leur disait encore cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint chercher du fruit sur ce figuier, et n'en trouva pas. Il dit alors à son vigneron : 'Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier, et je n'en trouve pas. Coupe-le. À quoi bon le laisser épuiser le sol ?' Mais le vigneron lui répondit : 'Seigneur, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir. Sinon, tu le couperas.' »

La conversion ou la mort ?
Christine Fontaine

Choisis la vie !
Christine Fontaine

Enracinés dans l'espérance
Michel Jondot


La conversion ou la mort ?

La conversion de Térèse d’Avila

Depuis plusieurs années déjà, Térèse est entrée au couvent de l’incarnation à Avila. Ce monastère n’était pas cloîtré. Les religieuses avaient le droit de sortir et de recevoir des visites. Si certaines jeunes-filles y entraient pour des motivations spirituelles, toutes n’avaient pas forcément une vocation religieuse très prononcée. Pour certaines c’était une bonne solution quand on était issu d’une famille parfois noble mais désargentée. Térèse d’Avila n’appartenait pas à cette catégorie de religieuses que par ailleurs elle ne condamnait pas. Elle y était rentrée pour Dieu. Elle ne sortait pas la nuit, comme certaines, pour rejoindre un beau galant dans le parc mais elle appréciait ces temps passé au parloir où des jeunes gens de la ville venaient écouter des religieuses leur parler de Dieu. C’est d’ailleurs bien de Dieu dont elle leur parlait même si elle n’était pas insensible au fait qu’on l’apprécie. Elle ne faisait rien qui ne soit non seulement admis dans son couvent mais recommandé. D’autant qu’à l’incarnation d’Avila ces parloirs étaient également indispensables à la survie matérielle du couvent : ceux qui étaient contents de leur visite n’hésitaient pas à faire des offrandes sans lesquelles cette communauté n’aurait pas pu subsister. Ainsi tout le monde apprécie Térèse.

Tout devrait aller bien pour elle et pourtant elle se sent mal. Elle éprouve un malaise aussi bien physique que spirituel. Elle n’a plus d’appétit, perd ses forces et n’a plus de goût pour rien. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Il lui semble que ce sont les parloirs qui la minent bien qu’elle y trouve aussi du plaisir. Elle en parle autour d’elle en particulier au confesseur du couvent. Tout le monde lui dit que ces parloirs non seulement ne sont pas un péché mais qu’elle se rendrait coupable de les refuser : ils font le bien des visiteurs autant que de la communauté. Et c’est vrai. Et pourtant Térèse va de plus en plus mal. Elle s’étiole jusqu’au jour où, durant l’un de ces parloirs, elle est vraiment prise de panique. Malgré les conseils de tous, elle décide de ne plus participer à ces pieux entretiens. Elle retrouve la santé, ses forces reviennent en même temps que le goût de la prière. Ce qui n’était pas un péché pour les autres en était un pour elle. Ce qui était un bien pour les autres était mauvais pour elle. Cette conversion du regard lui permit de devenir la grande réformatrice du Carmel !

« Si vous ne vous convertissez pas… »

« ‘Je vous le dis, si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » que ces Galiléens massacrés par Pilate ou que ces habitants de Jérusalem tués par la chute d’une tour’. » Jésus essaye de nous faire comprendre que le péché n’est pas une faute morale par rapport à une règle de vie. Le péché est ce jeu de massacre qui emporte l’humanité dans la mort. Que ce massacre soit commis par Pilate ou par la chute d’une tour, peu importe. La seule chose qui compte pour Jésus est d’arrêter ce massacre de l’humanité par elle-même. Le péché, dit Jésus, vous êtes tous dedans et il vous conduit tous à la mort. Autrement dit la conversion à laquelle Jésus nous invite est celle qu’a effectuée Térèse d’Avila. Elle a été libérée quand elle a cessé de se situer par rapport à la règle de son carmel. Elle a été libérée quand elle a découvert ce qui en sa propre existence lui faisait perdre le goût de Dieu, la joie de vivre. Le péché est ce qui empêche la vie de circuler entre Dieu et nous ou entre nous. C’est ce qui nous bloque et nous sépare ou nous éloigne de la Source de vie. Le péché ce n’est pas une faute par rapport à une loi morale, c’est une affaire de vie ou de mort, de santé ou de maladie. Térèse se sentait très mal sans comprendre d’où venait ce malaise. Se convertir c’est désirer découvrir ce qui bloque la communication avec Dieu ou entre les hommes. Se convertir c’est tourner le dos à la honte qui nous pousse à nier le mal commis. C’est considérer la grâce que Dieu nous fait quand nous pouvons discerner nos propres blocages. C’est croire qu’il ne nous révèle pas nos errances sans nous donner la force de progressivement en sortir.

Ce qui était un blocage – une faute - pour Térèse ne l’était pas pour ses sœurs. Le péché, le vrai, celui qui nous aliène en profondeur, est toujours à considérer en fonction d’une histoire personnelle. On n’en découvre pas un nouveau tous les jours. La plupart du temps on se sent mal, comme Térèse, sans savoir d’où ça vient. Il nous reste alors à supplier Dieu de nous donner la force de prendre notre mal en patience ! Le vigneron dont parle Jésus demande au propriétaire de la vigne de ne pas désespérer du figuier qui depuis trois ans est stérile. Peut-être sommes-nous comme ce propriétaire qui serait porté à désespérer d’être depuis si longtemps dans un blocage inexplicable. Ayez de la patience, nous dit Jésus. « Convertissez-vous » c’est-à-dire tournez-vous vers moi, croyez en moi. Je sais mieux que vous ce qui vous empêche de vivre et je suis venu chez vous pour vous en délivrer, pour vous en guérir ! Faites-moi confiance même si au bout de trois ans vous n’en savourez toujours pas les fruits. Térèse d’Avila, qui sait de quoi elle parle, écrit : « (…) La patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit. »

Christine Fontaine


Choisis la vie !

Les victimes du Bataclan

Des centaines de morts et de blessés lors des attentats de novembre 2015. Nous avons peut-être entendu parler de ce prêtre qui a déclaré que les morts du Bataclan n’étaient pas d’abord des victimes mais surtout responsables de ce qui leur était arrivé. En effet, les terroristes sont entrés dans la salle lorsque le groupe chantait une sorte d’hymne à Satan. Pour ce prêtre, les spectateurs pactisaient avec le démon qui les mena à la mort.

Cette interprétation des faits fit scandale. On s’insurgea de ce que ce prêtre, au lieu de dénoncer la folie mortifère des terroristes, transforme les victimes en coupables. On lui intima l’ordre de se taire et d’aller retrouver un certain bon sens en se retirant dans un monastère. Son interprétation des attentats était effectivement scandaleuse.

Imaginons maintenant une autre interprétation. Des personnes ayant entendu parler des victimes du Bataclan viennent trouver quelqu’un dont la parole passe pour véhiculer de la sagesse. Elles lui racontent les faits que probablement il ignorait encore. Et le « sage » leur répond : « Pensez-vous que ces spectateurs étaient de plus grands pécheurs que tous les autres habitants de la région parisienne ? En vérité, ils l’étaient tout autant. Vous êtes autant coupables qu’eux et si vous continuez à suivre ce chemin vous mourrez comme eux ! » Quant aux auteurs des attentats ce sage n’en dit absolument rien. Comme s’ils n’étaient pas la cause de ces morts et de ces blessés ! Cette attitude ne nous paraît-elle pas tout autant scandaleuse que celle du prêtre transformant les victimes en coupables ? Ce « sage » ne nous paraîtrait-il pas complètement fou ?

Tous voués à la même mort !

Pourtant, alors que la réaction du prêtre n’est pas du tout celle de Jésus, celle du sage que nous prenons pour un fou est bien la sienne. « Des gens vinrent rapporter à Jésus l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice. » Et Jésus ne dénonça pas la folie meurtrière de Pilate mais déclara : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis : et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. » Rien sur l’auteur réel du massacre et toutes les victimes sont déclarées coupables. Certes pas plus que n’importe qui d’autre comme le prétendait le prêtre, mais pas moins non plus !

Où veut en venir Jésus ?
En fait lorsque nous sommes témoins d’un attentat ou de tout autre événement qui nous semble causer une mort injuste – tel que l’effondrement d’une tour – nous cherchons à définir d’où vient la faute et à en dénoncer les auteurs. Nous sommes unis dans la même réprobation des coupables et la même compassion pour les victimes. Jésus ne se situe pas sur ce terrain. Il déplace nos manières de penser. Il ne parle pas de faute mais de péché. Il nous dit que le péché, nous sommes tous dedans et que c’est ce péché commun à l’humanité entière qui la plonge dans la mort. Autrement dit, nous sommes tous à la fois coupables et victimes de la mort que nous ne voulons pas mais que sèment nos actes.

Qu’est-ce que le péché pour Jésus ? Ce n’est pas d’abord une faute contre la loi ou la morale. Ce n’est pas d’abord une faute contre Dieu. Le péché, pour Jésus, est ce qui conduit à la mort. Autrement dit c’est un acte que nous commettons d’abord contre nous-mêmes : alors que chacun désire la vie, il prend un chemin de mort.

« Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux ! » Se convertir, c’est rebrousser chemin. C’est apprendre à discerner les actes que nous commettons tous et qui conduisent à la mort : ceux qui nous poussent à prétendre que l’on peut être ou devenir soi-même sans les autres. Pour Jésus, l’humanité compose un seul corps. Nous sommes tous de faux-frères les uns pour les autres, faux-frères dans notre pauvreté à nous aimer mutuellement, à nous prétendre seulement victimes et à faire reposer toute la faute sur les autres. Nous pouvons devenir de vrais frères en reconnaissant que nous sommes tous en partie coupables et en partie victimes du péché qui conduit l’humanité à la mort. Nous sommes vraiment frères lorsque, au lieu de nous accuser mutuellement, nous nous aidons à discerner nos torts et à trouver le pas à faire sur le chemin de la vie.

Tous appelés à la Vie !

Reste qu’au bout du compte, nous pouvons douter de la pertinence des paroles de Jésus : il semble dire que, si nous nous convertissons, nous échapperons à la mort. Or nous le savons bien, quoi que nous fassions, nous mourrons tous ! C’est même à cause de cela que certains prétendent qu’il faut profiter le plus possible de la vie tant que nous l’avons, fût-ce au détriment des autres !

En fait, il y a pour Jésus, deux manières de vivre et de mourir. Il dit que si nous ne nous convertissons pas nous mourrons tous comme ces Galiléens massacrés par Pilate. On peut vivre et mourir enfermés en soi-même, enfermés dans le péché. C’est mourir comme ces Galiléens. Mais on peut vivre et mourir d’amour pour les autres, et c’est la mort de Jésus. Jésus est mort pour nous sauver de la mort. On peut vivre en souffrant, comme François d’Assise qui pleurait parce que l’Amour n’est pas aimé. On peut vivre en souffrant que les autres existent et risquent de mettre en péril notre toute puissance.

Lors de l’hommage rendu aux victimes des attentats de novembre, on a repris le chant de Jacques Brel « Quand on n’a que l’amour » :

« Quand on n’a que l’amour, pour unique raison, pour unique chanson et unique secours…
Quand on a que l'amour à offrir en prière pour les maux de la terre en simple troubadour
Quand on a que l'amour pour tracer un chemin et forcer le destin à chaque carrefour
Quand on a que l'amour pour parler aux canons…
Alors sans avoir rien que la force d'aimer, nous aurons dans nos mains Amis le monde entier !

Quand on n’a que l’amour, la mort elle-même devient source de vie pour chacun et pour l’humanité entière ! C’est à cette source de vie que l’évangile d’aujourd’hui nous conduit !

Christine Fontaine

Enracinés dans l'espérance

Le désespoir

Une personne dans l’épreuve confiait un jour à des amis croyants : « La prière s’éteint sur mes lèvres quand je dis le « Notre Père… Que ta volonté soit faite ! » Je ne peux pas prononcer ces mots-là… Je ne veux pas que Dieu veuille le mal qui m’arrive. »

Si tout ce qui nous arrive manifeste la volonté de Dieu, comment vouloir la volonté du Père si elle fait obstacle à mes attentes ? Au cours d’une grave maladie dont l’issue est incertaine, faut-il se résigner au pire en y décelant la volonté de Dieu, en se soumettant à cette volonté de malheur ! A la veille d’une grande épreuve dont on peut tout craindre et tout espérer, comment vouloir la volonté du Père si ce qu’il veut c’est ce que je crains ?

Nous voulons la vie. Nous voulons que la vie produise son fruit… Mais il y a de quoi désespérer… Ne vaut-il pas mieux se séparer du Père ? Ne vaut-il pas mieux, de nos propres forces, tenter d’arracher à la terre le peu qu’on est capable d’en tirer ?

L'arbre de la Croix

Jésus montait à Jérusalem. Il devinait l’issue. Il la laissait deviner. Au milieu du chemin il avait réuni les Douze pour dissiper les illusions – les illusions de la vie.

« Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, être rejeté par les grands-prêtres et scribes, être tué… »

Et Jésus entra dans Jérusalem… Il n’y avait plus d’issue, tous le voyaient bien. Au terme du chemin, Jésus réunit les Douze pour un dernier repas. Pour dissiper les illusions – les illusions de la mort – il prit le fruit de la terre et le fruit de la vigne, pour les donner à ses disciples. Il les leur donna comme nourriture avant la route.

Jésus montait à Jérusalem… C’est alors qu’il leur racontait cette parabole… Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. S’approchant de l’arbre, il devinait l’issue de la récolte. Au terme de trois années de déception, les illusions étaient dissipées… Aujourd’hui ou l’an prochain, qu’importe, l’arbre sera coupé !

Jésus était entré dans Jérusalem… C’était lui le plus beau fruit que l’humanité ait jamais porté. Comme le figuier au milieu de la vigne, l’arbre était planté au milieu de l’histoire des hommes, entre les soldats de Rome, les brigands de la ville et la foule ahurie… Après le coup de lance, on descendit Jésus de la Croix, l’arbre de vie n’avait plus de fruit.

L'arbre de la Vie

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague » sans avenir et sans fruits. Au commencement était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était la volonté de Dieu et la Parole criait la volonté de Dieu : « Que la lumière soit et que la vie jaillisse »… « Dieu planta un jardin et l’arbre de vie au milieu du jardin. » Il y plaça l’homme et la femme, les plus beaux fruits de sa Parole.

Mais quand ils furent l’un et l’autre coupés de l’arbre et du jardin, la terre n’était plus sans avenir et sans fruits… La Parole du commencement restait jetée en terre pour prendre racine et chair. Elle a pris chair et porté fruit. Elle est encore semée dans l’histoire des hommes et, pour qui sait entendre, elle murmure toujours la volonté du Père : « Que la lumière soit et que la vie jaillisse… »

Après le coup de lance, on descendit Jésus de la croix. L’arbre de vie n’avait plus de fruit… mais la terre était prête pour que surgisse une vie nouvelle, grande et vaste comme l’arbre dont les branches se tendent vers le ciel pour que les oiseaux y bâtissent leurs nids.

L'espérance

Nous sommes ce vigneron qui s’approche de l’arbre pour y trouver du fruit. Si le fruit nous échappe ou si l’arbre est coupé, il nous reste la Parole qui a pris chair et qui fut cueillie, recueillie sur l’arbre de la Croix. Jésus prit le fuit de la terre et de la vine pour les donner à ses disciples. Nous recevons ce fruit : le pain et le vin sont la Parole qui crie la volonté du Père pour que la lumière soit et que la vie jaillisse.

Si le fruit nous échappe, s’il n’y a plus d’issue, l’avenir s’ouvre encore. Tous, nous passons par cette heure où le fruit nous échappe. C’est l’heure qui précède la création comme celle qui précède la Résurrection. C’est l’heure du commencement où la Parole crie. C’est l’heure de la parabole où l’homme entre dans la vigne sans pouvoir cueillir le fruit qu’il vient chercher…
Cette heure est celle de la Pâque. C’est l’heure où la terre et la vie sont sans avenir et sans fruits, « vide et vague » : l’heure du commencement.
Lorsqu’il nous arrive de traverser ces heures où il n’y a plus d’issue, accueillons ce qui nous reste : la Parole semée dans l’Histoire, Jésus, le Verbe du Père qui appelle à la vie. Si nous crions « au secours », si nous crions « mort à l’échec ou à la violence », « mort à la maladie ou à l’injustice »… c’est la Parole du Père qui gronde, c’est sa volonté qui murmure ; c’est l’appel de l’avenir et de la vie, l’appel du premier jour. C’est la parole où la résignation s’éteint et où l’Espérance prend racine.

Michel Jondot