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4ème dimanche du carême

Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Jn 3, 14-21

De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu.

Le serpent d’airain
Michel Jondot

J’aime les gens humains
Christine Fontaine

En plein jour !
Michel Jondot


Le serpent d’airain

Le mal et le remède

Dans l’imaginaire des peuples, le serpent tient une place étrange. Certes, il inspire le dégoût et la peur ; il est perçu comme une menace de mort. En même temps, il est promesse de vie. Cela tient peut-être au fait que l’homme a toujours su utiliser son venin comme antidote à certains poisons ; levez la tête lorsque vous vous promenez dans les rues de n’importe quelle ville : sur les croix vertes clignotantes des pharmaciens, un serpent est enlacé à une coupe qui, manifestement symbolise un breuvage miraculeux, promesse de guérison. Dans la religion des grecs, on vénérait un dieu appartenant aux forces obscures et maléfiques ; il ne se manifeste que la nuit, sous la forme de la constellation du Serpent. C’est pourtant le dieu de la médecine, Asclépios ou Esculape.

La même ambigüité attachée à la figure du reptile se retrouve dans la littérature biblique et Jésus y fait allusion dans ces quelques mots que nous venons d’entendre. Le serpent est la source du mal ; dès les premières pages de la Bible, il est « l’animal maudit » qui entraîne au péché. Dans le désert, la première lecture nous l’a rappelé, il est le fléau qui décime le peuple ; curieusement son image est l’instrument de guérison : « Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet d’un mât. Quand un homme était mordu par un serpent et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il conservait la vie ! ».

Il faut avoir présent à la conscience cet enchevêtrement de la mort et de la vie, pour entrer dans le mystère de Jésus, le mystère de la Croix dont le serpent d’airain est la figure, avec ces quelques mots que la liturgie nous donne à méditer.

Entre mort et vie

Certes, l’histoire du serpent d’airain, promesse de guérison, est une annonce de la Croix où Jésus fut élevé. La façon dont Jean la rapporte nous invite pourtant à nous rappeler aussi la manière dont fonctionne le récit de la création. Les mots « vie » et « monde » (cosmos en grec) se répètent plusieurs fois en quelques lignes dans le texte d’aujourd’hui. Les premiers mots de la Bible racontent le combat contre le néant, le vague et le vide, d’où la vie sort victorieuse. Entre le néant des origines et le surgissement du monde s’interpose la parole. La mise en place du cosmos et de l’humanité sont fruits de la parole qui arrache au néant. On ne peut guère comprendre l’Evangile de Jean si l’on oublie les premiers mots de son texte : « Au commencement était la Parole et la parole était auprès de Dieu. Tout vint par la Parole et sans elle rien ne fut. Ce qui fut dans la parole était la vie et la vie était la lumière des hommes… Et la Parole a pris chair ; elle a campé parmi nous » ! Le texte de ce jour fait écho à ces mots : « La lumière est venue dans le monde. »

Vie et mort ont partie liée, tous les hommes en sont conscients, les chrétiens comme les autres, le signe du serpent nous le rappelle. L’originalité chrétienne consiste à reconnaître qu’entre vie et mort s’interpose la parole ; venue de Dieu elle sépare ces deux forces l’une de l’autre.

La croix, la mort et la vie

Le mystère de la Croix qui se profile au cours de ce Carême, s’inscrit dans cette cohérence ; « La Parole a pris chair, Elle est venue chez les siens », au cœur de cette humanité dont elle est la racine. Venant chez les siens elle a partagé notre condition mortelle. Sur la croix au Golgotha, élevée au-dessus de terre comme autrefois le serpent d’airain face à un peuple accablé, Jésus demeure le Verbe. Loin que la mort ait le dernier mot, la parole des commencements, la parole envoyée au monde par le Père aux jours de la création, demeure vivante. La mort elle-même manifeste le lieu où, venue du Père, la parole appelle la vie.

On reproche aux catholiques, parfois, de se complaire dans la souffrance et de transformer la foi au Christ mis en croix en dévotion plus ou moins doloriste. En réalité, le texte d’aujourd’hui ne nous est pas donné pour que nous nous complaisions dans des sentiments masochistes : la croix de Jésus manifeste la victoire du Verbe et le Verbe est parmi nous, sur nos lèvres.

Entre la passion et la création, une autre ressemblance est à souligner. Lorsque furent créés l’homme et la femme, lorsqu’Adam eut trouvé les mots pour prononcer la première déclaration d’amour, lorsque le premier couple fut capable d’entrer dans le langage, Dieu se retira. Un phénomène semblable se produit après l’épisode de la Croix : Jésus se retire lorsque les femmes et les disciples deviennent capables de parler. Nous sommes pris dans ce jeu qui fait triompher la vie.

Mort et vie demeurent inextricablement enchevêtrés et il n’est pas besoin d’attendre sa dernière heure pour en faire le constat. Lumière et nuit se conjuguent tout au cours de notre histoire. Mais par delà cette alliance, la parole est là ; elle triomphera. Sachons en vivre : sans elle l’amour serait impossible et l’humanité sombrerait dans le chaos. Elle est promesse de vie éternelle.

Michel Jondot


J’aime les gens humains

Dieu aime les pécheurs

Nous n’avons pas à redouter de jugement final. Aucun jugement ne nous attend demain. Tout, aujourd’hui, est déjà jugé : celui qui croit en Jésus Christ échappe au jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé. Mais suis-je croyant ou ne le suis-je pas ? N’y a-t-il pas en moi une part de doute et une part de foi ?

« Ne te pose pas la question, dit Dieu, car en t’interrogeant sur ta foi, en t’interrogeant sur toi-même tu essaies de te juger toi-même. Tu es déjà jugé. Lorsque tu te demandes si tu crois cela te fait sortir de la foi car ta question te recourbe sur toi alors que la foi t’élance dans mes bras. »

Celui qui croit en lui échappe au jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Le nom de « Jésus » signifie « Dieu sauve ». Croire en son nom c’est lui faire confiance pour nous sauver. « Dieu sauve » - Jésus - vient parce qu’il sait notre malheur, il connaît nos détresses, nos limites, nos erreurs. Il vient pour nous en libérer et non pour nous juger. Il vient pour les pécheurs, les malades et les infirmes et non pour les justes et les bien-portants. Devant lui, nous n’avons pas à avoir honte d’être ce que nous sommes avec une part de beauté et une de péché. Il aime les pécheurs parce que le péché les rend vulnérables et qu’alors ils en viennent à crier vers lui, à l’appeler. Dieu n’attend que cela pour pouvoir intervenir, sauver celui qui se perd, redonner vie à celui qui n’en peut plus. Qui croit en lui échappe au jugement, il découvre à quel point il est aimé.

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle.

Lorsque nous, pauvres humains, si limités de partout, si maladroits à vivre en alliance, nous voyons notre petit, notre enfant s’enfoncer dans le malheur, lorsque nous le voyons perdre pied, nous sommes prêts à faire n’importe quoi pour le sauver. Nous n’allons pas, au moment où il sombre, en rajouter en le faisant passer devant un tribunal. A l’heure où notre enfant plonge dans le malheur nous ne pensons pas à juger, encore moins à condamner. Nous souffrons avec lui en silence et nous espérons qu’il se souviendra que, quoi qu’il fasse, nous l’aimons. Nous n’avons qu’un seul désir, c’est qu’il revienne à la vie, qu’il se reprenne et remonte la pente. Nous avons pour unique espérance de le remettre sur le chemin de vie.

Il est quand même extraordinaire que, ce que nous sommes capables de vivre avec nos propres enfants, nous ne concevions pas que Dieu aussi désire le vivre avec chacun de nous qui sommes ses enfants. Et Dieu sans cesse nous prie, nous supplie, de lui accorder cette confiance. Il nous demande de croire qu’il nous aime… au moins autant que nous aimons nos propres enfants ! Il nous donne son Fils, son unique ; il nous demande simplement de l’accueillir, de bien vouloir en appeler à lui pour recevoir la Vie jour après jour, la Vie éternelle !

Dieu est vraiment notre Père

Et le jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière.

Je connais une jeune-femme, appelons-là Celia, d’une conscience professionnelle remarquable. Mais, comme tout le monde, il lui arrive d’oublier quelque chose ou de faire des erreurs. Elle ne supporte pas que son comportement soit mis en défaut et, plutôt que de reconnaître un oubli au départ sans grande importance, elle le cache. Elle se le cache à elle-même. Quand les conséquences de cet oubli apparaissent au grand jour, la situation a souvent empiré et risque de devenir ingérable. Alors cette jeune-femme se défend en disant quel n’a commis aucun oubli, que ce qui arrive ne peut en aucun cas être de sa faute. Elle vit dans les ténèbres.

Comment Celia, si consciencieuse par ailleurs, peut-elle être aussi obstinée à cacher et à se cacher à elle-même sa moindre erreur ? Cette question m’a souvent taraudée jusqu’au jour où Celia m’a parlé de son enfance. Elle a perdu père et mère dès son plus jeune âge. Elevée par un oncle, elle a toujours considéré qu’il fallait qu’elle soit irréprochable pour être digne d’être aimée. Elle pensait qu’il était normal que son oncle aime ses propres enfants mais qu’une « étrangère » comme elle devait mériter d’être aimée : elle n’y avait pas droit. Aussi s’est-elle voulue irréprochable aux yeux de son oncle. La moindre faute lui causait une angoisse extrême : celle d’être exclu de cette famille à laquelle elle n’avait pas « droit ».

N’en va-t-il pas ainsi de nous souvent avec Dieu ? Nous oublions que Dieu est notre Père. Nous n’y croyons pas vraiment. Nous croyons qu’il faut mériter son amour. Nous le prenons pour un juge et nous craignons que nos lacunes, nos manques ou nos péchés soient mis dans la lumière. Nous faisons Dieu à notre image. En effet devant les hommes, il est bien souvent indispensable de cacher ses propres lacunes : nous sommes si souvent sans pitié les uns à l’égard des autres ! Mais Dieu n’est pas à l’image des hommes !

« Croyez que vous n’avez rien à craindre en vivant dans ma lumière ! dit Dieu. Car je ne viens pas pour vous juger, je viens pour vous sauver. Vous n’avez pas à craindre que vos limites, vos errances apparaissent au Jour de Dieu. Vous n’avez rien à craindre de moi lorsque vous vous trompez, lorsque vous tombez. Vous n’avez pas à craindre d’être humains. J’aime les gens humains, pauvrement humains, simplement humains, c’est pour eux que je viens. Avec eux, je ferai sans cesse une alliance nouvelle qu’aucune force de mort ne pourra détruire. C’est pour eux et par eux que je donne ma vie au monde. Croyez que je vous aime immensément plus que vous ne vous aimez vous-mêmes ou que vous aimez vos propres enfants ! »

Christine Fontaine

En plein jour !

Sortir de l’ombre

Le monde qui nous entoure, la nuit, nous fait peur, surtout si nous nous trouvons en des lieux qui ne nous sont pas familiers. Une tache au milieu d’une pelouse, au fond du jardin est peut-être un trou dans lequel nous risquons de tomber. Telle forme étrange qu’on aperçoit est peut-être la silhouette d’un inconnu qui nous veut du mal ; on s’en détourne. Que le soleil se lève et ce qui nous effrayait se transforme pour notre plaisir. Ce qu’on prenait pour une fosse est un morceau de terrain fraîchement bêché et ensemencé ; belle promesse pour l’été. Ce qu’on prenait pour une présence menaçante est un buisson qui se couvrira bientôt de fleurs. Jésus qui aimait poser son regard sur la terre de Galilée, sur les champs de blé à l’heure de la moisson, sur les nids dans les branches, a vécu ce genre d’expérience. Il s’en sert pour nous aider à regarder l’histoire, la nôtre ou celle du monde.

Que chacun regarde sa vie comme on l’y invite en cette période de Carême pour vivre un temps de conversion. Attention ! Vous risquez de vous enfermer dans la nuit ; « dans les ténèbres » pour s’en tenir au vocabulaire de Jésus. Les hommes préfèrent les ténèbres à la lumière ; dans la nuit leur vie paraît mauvaise. Il en va ainsi depuis le début de l’humanité. Je n’aime pas l’expression « péché originel » mais il faut bien s’en servir puisque la tradition nous l’impose. Après le péché originel, après l’histoire du serpent, la Bible nous dit qu’Adam et Eve vont se cacher ; ils s’enfoncent dans l’ombre, loin de Dieu, la source de la lumière. Ils prennent Dieu pour un juge qui châtie ! En réalité à sa lumière tout change. Il les rejoint et les fait entrer dans la culture. Les philosophes du 18ème siècle nous ont appris à faire le lien entre culture et lumière (« Le siècle des lumières ! »); désormais Adam et Eve ne seront plus honteux l’un devant l’autre mais habillés comme des gens civilisés. Ils peuvent regarder la vie : on leur ouvre l’avenir. Ils pourront gagner leur pain à la sueur de leur front ; ils sauront qu’en rencontrant la mort, ils n’éteindront pas la vie : Eve enfantera. Tout s’éclaire, même la mort !

Tout pourrait s’éclairer !

Jésus était la lumière du monde ; elle a brillé dans les ténèbres et les ténèbres étaient épaisses. A sa parole tout pouvait s’éclairer, on peut le croire. En réalité, autour de lui, on préférait rester dans le noir : « Les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». Jésus, en effet, entendait parler de péché partout. Un jour, avec ses disciples, il passe devant un aveugle : « Qui donc a péché, lui ou ses parents ? » demandent les disciples. Une autre fois un certain Pharisien, on l’appelait Simon, s’exclame : « Si cet homme était un prophète il saurait qui est cette femme qui lui parle : une pécheresse ! » Il est vrai que cette femme passait une partie de son temps en des endroits cachés. Ses œuvres étaient mauvaises. Mais avec Jésus, dans la lumière de Dieu, si l’on en croit l’Evangile, c’est le Pharisien qui pour l’heure, en refusant la lumière, s’enferme dans le mal : « Il ne vient pas à la lumière de peur que ses œuvres lui soient reprochées ». Elles sont mauvaises, quoi qu’il ait fait, les œuvres de celui qui regardant sa vie se referme sur lui-même ou sur ses convictions fussent-elles religieuses. « Il préfère les ténèbres » celui qui se replie ainsi. Il se protège bêtement de la lumière. Il se protège de l’Autre et de tout autre.

Que chacun regarde sa vie comme on l’y invite, en cette période de Carême, pour se préparer à la « Pénitence ». Je n’aime pas ce mot pour désigner l’invitation de l’Evangile ! Que chacun regarde sa vie mais attention ! Le vocabulaire nous piège. Regardons nos vies avec ses peines et ses joies, ses blessures et ses victoires, ses mesquineries et ses noblesses, ses fautes et sa beauté. Regardons notre vie pour entrer dans la lumière. Où est-elle cette lumière ? Elle est dans le fait que nous pouvons, si nous sommes dans la foi, reconnaître que chacune des mailles qui font le tissu de nos jours, chacun de nos actes sont des dons de Dieu. Tout dans l’existence est don, même ce que nous regrettons ou ce qui nous a fait souffrir. « Tout est grâce » disait Thérèse de Lisieux. Tout est grâce, si l’on sait regarder la vie sous son vrai jour : « etiam peccata », même le péché. Que chacun regarde sa vie en entrant dans la logique du pardon qui est le don parfait : la logique de l’autre sans qui il n’est point de lumière.

Même les serpents et même la mort !

Dans le désert, le peuple était entouré de vipères et regardait la vie comme une menace perpétuelle ; il voyait le mal partout. Que fait Moïse ? Il dresse un serpent d’airain et il amène les Hébreux à voir sur ce qu’ils prennent pour une catastrophe, la source de la guérison. Nos pharmaciens ont repris cette image avec leurs caducées. Deux reptiles sont enlacés et jettent leur venin dans une même coupe : le venin peut donner la mort ou servir de médicament. Tout dépend de la manière dont l’homme sait l’approcher. Aux jours de la Passion, après avoir roué Jésus de coups, on l’expose aux yeux de la foule : « Voici l’homme ». On élève ensuite ce corps sur la croix ; Ce qu’on pourrait prendre pour la victoire du mal et de la mort, vu à la lumière de la foi, est aussi beau que la multiplication des pains dont la foule avait été témoin. La mort elle-même est don parfait : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ».

Que chacun regarde sa vie, pour y déceler la grâce dans laquelle Dieu ne cesse de le plonger. Telle est la conversion qui peut nous sortir de la nuit et vivre en plein jour, sans peur !

Michel Jondot