Caïphe n’avait-il pas déclaré : « C’est votre avantage qu’un seul homme meurt pour le peuple et que la nation ne périsse pas ». Le cynisme rejoint ici ce qu’on appelle le « réalisme » politique. Il fallait supprimer celui qui menaçait par sa prédication et son action l’ordre religieux construit sur l’observance de la Loi et de ses multiples préceptes. Il avait au cours de sa vie publique guéri la femme hémorragique, une impure, qui avait touché le pan de sa tunique ; il avait accueilli et défendu la femme adultère contre le pouvoir meurtrier que donnait aux mâles, la Loi de Moïse ; contre le pharisien scandalisé qui le recevait à table, il avait pris la défense de la pécheresse (une prostituée), qui baise les pieds, les arrose de ses larmes et répand sur eux un parfum d’un grand prix ; il s’était déclaré maître du sabbat. C’est vers ceux que l’orthodoxie religieuse de son époque désignait du nom de pécheurs et d’impurs qu’il va : le publicain (le collecteur d’impôts), la Samaritaine, etc. Il n’a que faire de la justice des « justes », enfermés dans la carapace de leur piété et de leurs observances rassurantes. (…)
Les paroles et les actes de Jésus questionnent, convertissent, suscitent la vie et deviennent promesses d’avenir. Les éclopés, les boiteux, les aveugles, les sourds, les muets, sont guéris à la mesure de leur foi. Pas de préalable à l’accueil qu’il fait. Il ne dit pas : « Convertis-toi d’abord et je t’accueillerai ensuite. » C’est l’inverse qui a lieu, c’est l’accueil et la reconnaissance qui engendrent le dynamisme de la conversion.
Aux yeux des croyants, la portée axiologique des faits, gestes et paroles de Jésus devrait être considérable : il est cet Autre dont l’altérité dérange, devient intolérable et qui, pour cette raison, a été exclu et rayé de la terre des vivants, mais qui est devenu dans sa mort même, la pierre angulaire d’un temple à la dimension de l’humanité : dans la condamnation qu’il a subie, dans l’exclusion qui l’a rejeté, il condamne et exclut toute exclusion et toute condamnation ; la voie est tracée à la parole et aux conduites d’accueil et de reconnaissance de l’altérité des autres. Dans l’impuissance qu’elle manifeste, la Croix est la condamnation de toute puissance (de domination).
René Simon
Peinture de Edvard Munch
1- René Simon, extraits de Éthique de la responsabilité Éditions du Cerf 1993, pages 278-279
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