Un religieux marqué par la guerre
Nicodème : Pierre et Georgine, vous vivez ensemble depuis près de quarante ans et vous vous êtes mariés civilement en 1979. Pouvez-vous
nous raconter l’un et l’autre votre histoire avant de vous connaître ?
Pierre :
Je suis né en 1921, en Hollande, et j’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence à Utrecht. Mes parents, catholiques classiques, étaient ouverts à l’innovation
et à la recherche. J’ai fait mes études secondaires chez les Augustins où je suis ensuite entré comme novice puis comme religieux. Toute ma génération a été
très marquée par la guerre de 39-40. Le danger, la mort étaient partout : nous étions tout près de la frontière allemande. J’étais interne chez les Augustins et
nous passions de nombreuses nuits dans les caves. Plusieurs de mes camarades ont trouvé la mort, soit dans les rafles des nazis, soit dans les bombardements.
Pendant la période de mon noviciat, les Allemands nous ont emmenés dans un « camp de punition »… en vérité un véritable camp de concentration. On nous
accusait d’avoir voulu échapper au Service de Travail Obligatoire en nous faisant religieux. Le Père Maître a tenu à nous accompagner et il a fait
l’impossible pour nous sortir de là.
Nous considérions tous ce supérieur comme le « religieux parfait » prêt à sacrifier sa vie pour nous. A la fin de la guerre, il me dit : « Après ce que
nous avons vécu avec vous, je ne peux pas continuer à jouer du théâtre. Je demande mon changement. » J’ai pris alors brutalement conscience que cette guerre entre pays
soi-disant chrétiens était pour lui le signe d’un immense échec et que, face à cela, les petites questions cléricales étaient dérisoires. La « civilisation
chrétienne » avait produit ou laissé produire six millions de morts, l’extermination des homosexuels, des tsiganes et des juifs. Nous étions très nombreux à penser
que beaucoup de choses, dans la vie religieuse, étaient très secondaires et qu’il était impératif de repenser le christianisme. On ne pouvait pas continuer comme si rien
ne s’était passé. Progressivement, un mouvement de recherche s’est constitué ; comme religieux et prêtre, j’y ai toujours pris une part active. C’est le premier aspect
qui a marqué mon histoire, pour toute la vie.
Mais ce Père-Maître a marqué ma vie sur un second point. Lorsqu’après mon entrée au noviciat, il a appris que j’avais fait du modelage et de la peinture, il
m’a demandé de faire revenir de chez mes parents ma boite de peinture et mes outils. Il a mis ensuite une pièce à ma disposition comme atelier. Une initiative
pareille était inconcevable à cette époque dans les autres ordres ou congrégations de religieux. Ce supérieur m’a même commandé deux sculptures :
un « Saint-Augustin » et une « Vierge à l’Enfant » pour la chapelle. A partir de ce moment, je me suis trouvé engagé – d’une façon inconsciente
peut-être - dans l’expression de la foi par la création artistique.
Une bénédictine marquée par Vatican II
Georgine :
Je suis née en Suisse, en 1934, à Fribourg, dans une famille très catholique. J’ai reçu une éducation traditionnelle mais très intelligente. On lisait
beaucoup dans ma famille. Nous avions comme principal ami un Bénédictin venu de Maredsous (près de Namur, en Belgique) pour fonder un monastère dans le canton de
Fribourg ; un homme d’une grande intelligence et cultivé. Comme je faisais des études de piano au Conservatoire, je ne suivais plus intégralement les cours du lycée ;
ce bénédictin, dès mon plus jeune âge, a guidé mes lectures. Il a toujours été présent aux premiers tournants de ma vie.
Quand ma sœur aînée est entrée chez les bénédictines, j’ai pensé : « Elle a raison ! Le sens de la vie est de ce côté-là. » A vingt ans je suis entrée à
mon tour chez les bénédictines de Verneuil-sur-Avre (Normandie) où ma sœur m’avait précédée depuis sept ans. Je n’y étais pas malheureuse. Cependant, dans les années
précédant le concile, la communauté a évolué dans le sens d’une fermeture et d’une suspicion de plus en plus grande vis-à-vis de toute recherche nouvelle en théologie
et en exégèse. J’étouffais dans ce milieu et l’ami bénédictin de Fribourg m’a conseillé de demander à partir dans une autre communauté bénédictine, à Ermeton-sur Biert, en
Belgique. Après six années passées à Verneuil, j’ai vécu à Ermeton pendant huit ans. Le milieu y était beaucoup plus sain et surtout beaucoup plus ouvert. Je pouvais
exploiter mes compétences en jouant du piano, de l’orgue et en participant au renouveau de la liturgie dans l’euphorie du Concile. Avec une autre religieuse qui connaissait
l’hébreu et, bien sûr, le latin, nous avons composé l’office liturgique en français. Nous avons été la première communauté monastique féminine à le faire. Cela s’est su à
Paris et le Centre National de Pastorale Liturgique m’a demandé de participer au groupe de travail mis en place pour la réforme de l’office des religieuses apostoliques.
Dans ce cadre, j’ai découvert la recherche de Boquen. Je me suis dit : « Nous avons les mêmes soucis d’ouverture et le même goût pour l’expression artistique et
vocale ; il s’agit de libérer la vie monastique de coutumes antiques et désuètes ». Bernard BESRET aurait aimé fonder une communauté de femmes mais la lourdeur
canonique était trop importante ! Ce fut pour moi, pendant quatre ans, une période éprouvante, où je comprenais que je ne trouverais pas dans mon monastère
les moyens de réaliser ce que j’espérais. Un jour, Bernard Besret est venu me voir, me disant : « Il faut que tu en sortes ! »
A la recherche d’une vie nouvelle
Nicodème : Mais il n’était peut-être pas simple pour toi, après tant d’années de vie religieuse, d’en sortir…
Georgine :
J’ai parlé à la Prieure qui était bien consciente de mon malaise. Elle m’a trouvé un point de chute provisoire chez les Sœurs de Sion à Paris. Tout en suivant pendant
un an les cours de l’Institut Liturgique, puis travaillant avec intérêt chez les Jésuites de la rue de Sèvres pour la revue « Vie chrétienne », j’ai progressivement
acquis mon indépendance. J’ai trouvé un poste de secrétaire de direction au « Studio SM », une maison éditant des disques et des chants religieux.
Je gagnais ma vie ; j’étais indépendante. J’avais demandé mon « exclaustration » quelques mois après mon départ d’Ermeton en septembre 1969.
En réalité, dès le jour de ma profession solennelle, j’avais confusément conscience d’avoir fait fausse route. Pourtant la vie de communauté ne me pesait pas : je n’y ai
vécu aucun conflit. La recherche liturgique, par ailleurs, me passionnait ; nos expériences dans ce domaine avaient été assez poussées.
Seule à Paris, j’avais décidé de ne plus fréquenter Boquen. Je me souvenais du conseil du Père Abbé de Maredsous : « Ne retourne pas dans ce qui ressemble au
passé ». Lorsque Bernard Besret a voulu me retrouver, plus tard, j’avais consulté une psychanalyste avec laquelle j’étais restée un an et demi en psychothérapie.
J’avais un travail professionnel devenu très intéressant, mais la solitude me pesait. Bernard m’a dit : « Tu devrais entrer en relation avec un groupe de
réflexion ». Il m’a parlé du Prieur des Augustins de Bagneux : Pierre de Grauw ! Celui-ci, dans le même esprit que Bernard Besret, recherchait, dans son
Ordre, à repenser la vie religieuse en termes nouveaux.
Nicodème : Pierre, nous avons interrompu ton histoire juste après la guerre de 39-40. Sans entrer dans tous les détails, peux-tu nous dire les
événements qui t’ont marqué jusqu’à ta rencontre avec Georgine ?
Pierre :
Dans les années 60, le provincial et son conseil avaient organisé une conférence avec un sociologue. Celui-ci faisait apparaître le risque de voir, avant la fin du siècle,
les effectifs religieux diminuer de moitié. Il fallait, selon lui, repenser la vie religieuse. Un mouvement était amorcé, malgré les réticences romaines. On remettait en
cause l’entière soumission des religieux augustins aux décisions du Prieur. On envisageait que le religieux travaille pour gagner sa vie et entre dans le régime de Sécurité
Sociale. Pourquoi, demandaient certains, ne pas introduire des couples dans une communauté religieuse ? Cette recherche m’intéressait vivement. J’avais alors cherché
à rencontrer Bernard Besret dont j’avais entendu parler. Je m’interrogeais : « Comment penser la vie religieuse en notre temps ? »
J’avais été nommé Prieur de la communauté des Augustins de Bagneux dans les années 65-66. Le Concile m’intéressait et j’ai été très marqué lorsque le célibat ecclésiastique,
en Hollande, fut contesté. Le Cardinal d’Utrecht, à l’époque, était allé à Rome pour que soit remise en question la discipline du célibat. Je prenais conscience qu’on nous
avait présenté le célibat comme un absolu indissociable du sacerdoce - ce qu’il n’était pas - et qu’ainsi je risquais de passer à côté de réalités profondément
humaines et spirituelles : amour humain, mariage, vie en couple.
Je décidai d’exposer cette problématique à un psychanalyste : « Personne ne peut répondre à votre place », me dit-il…et quand je lui ai demandé s’il était
opportun que j’entre en psychanalyse, il m’a dit : « Lancez-vous dans la sculpture ! ». J’étais libéré ! Il ajouta : « N’ayez pas peur de
la femme ! » Dans la conversation, il m’avait confié qu’il avait lui-même été moine.
Quelques mois après, je rencontrais Georgine ; j’en avais entendu parler à Boquen.
Bernard Besret, un certain été, était venu la chercher à Paris pour la conduire en Bourgogne où j’étais en vacances avec les étudiants des Beaux-Arts. Nous avons
sympathisé très vite. Nous nous sommes retrouvés plusieurs fois jusqu’au jour où nous nous sommes posé la question : « Que faire ensemble ? » Nous nous
sommes dit : « Tentons de construire ce que nous pouvons ; nous verrons bien où nous mènera la vie ! » Je ne savais pas si je voulais me marier.
Nous avons voyagé ensemble, suivi un cours d’initiation à la musique contemporaine… Georgine habitait dans un petit studio derrière saint Sulpice et je résidais à Bagneux.
On se rencontrait chez elle ou chez moi.
Face aux réactions ecclésiastiques
Nicodème : Vous n’aviez pas encore pris la décision de vivre en couple ?
Georgine :
Nous avons mis un certain temps avant de prendre cette décision. Quand nous avons considéré que notre relation était vraiment forte, j’en ai parlé à ma famille. Ma mère
émit des réserves. Dans ma naïveté insondable, je me suis étonnée : « Mais vous n’êtes pas pour le mariage des prêtres ? » Elle m’a répondu : « Si !
Théoriquement ! Mais pas chez nous… » J’ai haussé les épaules sans me rendre compte de l’impact que pourraient avoir mes propos. Un de mes frères et surtout mon
oncle, prieur des Chartreux de la Valsainte (en Suisse), a décidé d’intervenir. Sans rien m’en dire, il nous a dénoncés auprès du Cardinal Marty, Archevêque de Paris. Il l’a
fait à plusieurs reprises jusqu’à ce que le Cardinal décide lui aussi d’intervenir.
Pierre :
Nous avons été convoqués à l’Archevêché de Paris et accueillis par un chanoine, très bon. Il déclara que si la famille n’avait pas réagi nous aurions « pu
continuer… » ! Il me conseilla de demander ma réduction à l’état laïc pour que nous puissions nous marier.
Mon successeur comme Prieur de Bagneux a cru bon de faire un témoignage dans le même sens. Il fallait « mériter » cette réduction à l’état laïc !
Mais des conditions étaient posées par Rome. Le formulaire – en latin – qu’on me proposait de signer disait que, jeté aux genoux du Saint Père, je demandais
à être relevé de tous mes vœux religieux et renonçais à tout service d’Eglise. Non, ceci n’était pas possible pour moi !
Je ne voulais pas du tout renoncer à tout service d’Eglise. Je ne voyais pas pourquoi l’amour d’une femme m’empêcherait d’animer un groupe biblique, de catéchiser
ou même de prêcher. Des diacres permanents mariés exercent cette fonction. Pourquoi – même si je ne pouvais plus présider l’Eucharistie – me serait-il interdit
d’annoncer l’Evangile avec la compétence qui est la mienne ? J’ai écrit une lettre au Pape PAUL VI, disant que je refusais les termes de la réduction à l’état laïc.
Et je suis demeuré prêtre. La congrégation des religieux a renvoyé le dossier aux supérieurs augustins avec la mention « Dossier inclassable ». Ma position n’était
pas prévue par le Droit Canon !
Cette réaction et l’attitude de mes supérieurs (Evêque et Provincial Augustin) auraient dû m’acculer au silence total d’un simple « consommateur » dans l’Eglise.
Je connais des prêtres qui ont été obligés de cacher leur passé pour pouvoir participer à la catéchèse dans leur paroisse. Je ne prétends pas faire la loi de l’Eglise
à moi tout seul. Simplement, je crois que l’on pourrait traiter les prêtres qui se sont mariés comme des diacres permanents. L’erreur est de demander la « réduction
à l’état laïc ». L’Eglise se prive de tant de compétences !
Le peuple chrétien pourrait parfois faire avancer les choses. Dans l’ensemble, il n’est pas assez revendicatif. Pour ma part, j’ai eu la chance d’avoir ma place à la
Chapelle Saint-Bernard de Montparnasse. Pendant plus de quinze ans j’y ai prêché tous les dimanches soir. Cette fonction diaconale était prise en charge dans le budget de
la communauté.
Nicodème :Ton dossier a été traité « inclassable » quant à ta situation par rapport au presbytérat, mais qu’en était-il de ton
engagement auprès des Augustins ?
Pierre :
Le provincial – nous avions fait nos études ensemble – m’a suggéré, avant d’entreprendre les démarches nécessaires, de faire marche arrière. Si j’avais dit
qu’avec Georgine nous vivions une simple relation d’amitié et que je n’envisageais pas de me marier, il aurait pu tout arranger. Il affirmait bien connaître les milieux
du Vatican ; du moment qu’officiellement je demeurais célibataire, je pouvais faire ce que je voulais en privé, « la confession était faite pour cela ». J’ai
refusé d’avoir une relation clandestine avec Georgine. A ce moment-là nous n’avions pourtant pas décidé de nous marier. Il m’a alors demandé de renoncer par écrit à
appartenir à l’Ordre des Augustins ; il ne voulait pas avoir d’ennuis avec Rome. Je l’ai fait.
Des drames cachés
Georgine :
Je n’aurais pas supporté de vivre une relation clandestine. Nous ne nous sommes jamais cachés. Si ce n’avait pas été possible, à coup sûr je quittais Pierre.
Je le lui avais dit. Il le comprenait.
L’association qui regroupe les femmes de prêtres n’a jamais eu autant d’adhérents qu’en ce moment. Des hommes, des femmes vivent des relations dans le secret. De telles
situations ne diminuent pas en nombre et l’Eglise ne veut pas le reconnaître. Que faire ?
Je crois qu’il faudrait que les femmes pensent à elles aussi. Il me semble qu’elles devraient davantage pousser leurs compagnons dans leurs retranchements et s’en séparer
s’ils ne veulent pas d’une relation publique. C’est souvent la femme qui vit et assume la plus lourde part de cette situation ; l’homme continue la vie qu’il aime et
qui, finalement lui convient bien. Je trouve que c’est assez égoïste de la part de certains prêtres.
Pierre :
Que faire ? Je redis que le peuple chrétien devrait oser exiger le maintien des prêtres mariés dans leur ministère. Dans un documentaire télévisé nous avons
vu un prêtre faire ses adieux à sa paroisse, sanglotant en annonçant son départ forcé à cause de son mariage. L’assemblée, au lieu d’applaudir, aurait dû exiger le
maintien de ce prêtre dans la paroisse et dans son ministère.
J’ai connu un prêtre qui avait une relation avec une femme. Quand il est arrivé à l’âge de la retraite, elle s’est dit : « Je vais acheter un appartement
près de là où il travaille, on pourra vivre ensemble. » Le moment venu, il se fait nommer ailleurs et progressivement se retire de leur relation. Elle tombe
gravement malade : un cancer. Elle essaye de reprendre contact avec lui mais en vain. Il ne s’occupe pas plus d’elle que si elle n’avait jamais existé. Elle reste
seule. C’est épouvantable. Ce n’est pas honnête. Des situations pareilles sont nombreuses.
Demeurer dans la foi
Nicodème : Il aurait été intéressant de détailler les responsabilités pastorales que tu as exercées à Bagneux. La Communauté de religieux augustins
dont tu fus Prieur plusieurs années était responsable de la paroisse et du collège St Gabriel. Tu t’y es donné à fond, dans l’enthousiasme, avec foi.
C’est dans le cadre de ce Prieuré que tu avais ton atelier de sculpture ; tu as pu le garder même après ton départ de la communauté des Augustins. Peux-tu
nous dire la place qu’avait la sculpture dans ta vie religieuse ?
Pierre :
La sculpture ne m’a jamais lâché. Dès que j’avais un moment libre je me retirais dans mon atelier pour sculpter. Pas loin de chez nous, à Chatillon, on vendait des
traverses de chemin de fer usées, pour presque rien : Job debout, exposé aujourd’hui à Pont-Scorff, date de cette époque.
Jacques Le Chevallier, maître-verrier à Fontenay-aux-Roses, est venu un jour, voir mes œuvres qu’il a appréciées. Un ami sculpteur, faisant partie du comité de
sélection du Salon de la Jeune Sculpture m’a invité à participer régulièrement à la Biennale « Formes Humaines » qui se tenait dans les jardins du Musée
Rodin à Paris. J’ai ainsi glissé du statut d’amateur à celui de professionnel, sans peut-être en être réellement conscient. A Bagneux où j’exerçais des tâches de
vicaire, deux communautés se côtoyaient : la paroisse, d’un côté, la commune communiste, de l’autre, sans beaucoup de contact. En 1971, la ville organise
une exposition de sculptures : j’y propose ma statue de Job et j’obtiens le « Prix de sculpture de la Ville » de Bagneux. Cela m’a valu de faire partie
du CA du Centre culturel et du Théâtre et de participer à un voyage en Arménie soviétique.
Je suis resté en contacts étroits avec la Ville, même et surtout après ma sortie de l’Ordre Augustinien, puisque je continuais à travailler dans mon atelier de Bagneux.
Après le départ de la Communauté des Augustins, j’ai dû quitter cet atelier qui a été remis à la disposition de son propriétaire, l’Evêché de Nanterre.
A cette occasion et à la demande de mes anciens élèves de l’atelier municipal de sculpture où j’ai enseigné pendant plus de dix ans, la Municipalité a organisé
une réception en mon honneur. J’y ai pris la parole pour parler de la Bible et de St Augustin ! J’ai rappelé que notre amitié avait commencé autour de Job, « l’homme
de douleurs » !
Je crois qu’il faut entendre par « spiritualité » ce qui traverse l’être humain et le dépasse. Cette conviction ne m’a jamais quitté.
La sculpture m’avait aidé, lorsque j’exerçais des activités pastorales, dans la mesure où mon atelier me permettait de recevoir et de nouer des relations
avec beaucoup de personnes d’une manière plus libre et fraternelle qu’en communauté.
Nicodème : Une chose frappe vos amis : vous êtes demeurés croyants.
Pierre :
Un jour, après ma rupture avec l’Ordre augustinien, le Prieur est venu dans mon atelier. Il était étonné que rien n’ait changé ; il est vrai que je continuais à faire
des sculptures bibliques ! Je lui ai demandé : « Crois-tu que j’aie perdu la foi ? » Il a eu cette réaction étonnante : « Ce qui nous
ennuie n’est pas que vous vous soyez mariés mais que tu continues à vivre comme auparavant ! »
Georgine :
Il aurait préféré que Pierre ne sculpte plus que des nus ou des motifs profanes ! Qu’on quitte les Augustins et qu’on présente un autre visage de la foi, cela les étonne.
Nicodème : Comment l’Eglise reçoit-elle tes œuvres ?
Pierre :
Mes œuvres ne sont pas des actes de foi mais plutôt une foi en actes, ce qui est autre chose.
Je ne veux pas convertir. Pas de prosélytisme ! J’aime aider à réfléchir, c’est tout. Mon travail est reçu comme tel par beaucoup de personnes. Il est maintenant
exposé définitivement à PONT-SCORFF, en Bretagne (Morbihan), dans une ancienne mairie-école laïque.
Alors, de l’Eglise et des évêques, que dire… ? Aujourd’hui, cette question nous paraît, d’une certaine façon, dépassée. La Bible est universelle. Et mes œuvres
inspirées de la Bible s’adressent à toutes et tous.
Nous avons édité deux livres sur mon travail. La municipalité de Bagneux a subventionné les deux éditions mais l’Evêché qui avait participé en 2001 n’a pas
renouvelé son geste en 2012.
Nicodème :
Ta situation devant l’Eglise est peut-être celle d’Abraham tel que tu l’as sculpté : il est nu ! Devant le mystère on demeure vulnérable !
Pierre et Georgine :
Nu, mais - espérons-le ! – libres et disponibles à tout ce que la vie nous donne encore à découvrir.
Georgine et Pierre de Grauw
Oeuvres de Pierre de Grauw
1-
Le titre de cet article reprend celui du livre qu'ils ont écrit : « Chemins de traverse – Récit à deux voix»
Georgine et Pierre de Grauw (Editions Karthala – 22-24, Boulevard Arago – Paris 13è, 2000).
Ils ont également écrit : « Les Arbres jaunes - Nouvelles et Récits »
Pierre et Georgine de Grauw (Editions Publibook – 14, rue des Volontaires – Paris 15è, 2009)
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