Le dépôt du rapport de la CIASE sur la criminalité sexuelle à l’intérieur de l’église catholique de France constitue un évènement majeur imposant une remise en cause radicale des fonctionnements de toute l’institution catholique.
Éric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France, a évoqué la question du secret de la confession et de son incompatibilité avec les règles de la République. On comprend que ce haut responsable de l’Église n’a pas maîtrisé son propos comme il l’aurait souhaité. Malheureusement du fait de ces déclarations la question du secret de la confession a pris une place démesurée dans le débat médiatique au risque d’empêcher d’aborder dans toute ses dimensions la tragédie que constituent ces crimes.
Une loi ancienne : violer le secret professionnel est puni par la loi
Pour le droit canonique, le secret sacramentel est inviolable pour quelques causes que ce soit.
La loi française prévoit de façon très ancienne l’existence d’un secret professionnel. La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire et qui est soumis au secret professionnel est puni par la loi.
Le secret professionnel s’impose aux avocats, aux médecins, notamment. Concernant les prêtres la Cour de Cassation a reconnue, depuis 1891, le caractère secret aux seules information obtenues à l’occasion de la confession.
Dans ses évolutions plus récentes la législation française a prévu par ailleurs des obligations de dénonciation. Parfois le secret résiste, parfois il doit s’effacer ou nom de la lutte contre le crime. On peut prendre comme exemple l’obligation pour les médecins de signaler aux autorités certaines violences conjugales même si la victime s’y oppose.
À contrario La loi crée une obligation de dénoncer des faits de privation, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable. Mais sont explicitement exceptés de cette obligation de dénonciation les personnes astreintes au secret professionnel. En conséquence la loi actuelle ne permet pas de poursuivre un avocat, un médecin, ou un prêtre (ayant reçu des aveux dans le cadre de la confession) pour non-dénonciation d’agression ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne vulnérable.
La loi française actuelle prévoit des exceptions
La règle sur le secret professionnel rendait toute révélation impossible, quelque soient les infractions commises et les victimes concernées. Mais la loi a prévu de nouvelles exceptions au principe de secret professionnel. Un professionnel peut informer les autorités judiciaires ou administratives de privations ou de sévices, d’atteintes ou mutilations sexuelles ainsi que d’autres faits pour les médecins et les professionnels de santé. Dans cette hypothèse le professionnel peut informer les autorités de certains faits dont il a eu connaissance mais n’y est pas obligé.
C’est sur ce point qu’il peut exister une contradiction entre les règles de l’Église Catholique pour qui le confesseur serait soumis à un secret absolu lui interdisant de se poser la question : que convient-il de faire pour l’auteur, pour la victime, pour la justice ? Alors que la
loi de la République demande au professionnel, qui est libre de sa décision, s’il pense devoir se libérer de la règle du secret ou non.
Enfin il existe une obligation absolue faite à toute personne, même si elle est soumise au secret professionnel, d’agir pour empêcher la réalisation de certaines infractions ou de porter secours. Dans ce cas l’intervention requise peut être autre qu’un signalement à la justice.
En effet au terme de l’article 223-6 du code pénal : Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour un tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni…
Est passible de la même peine quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que sans risque pour lui ou pour les tiers il pourrait lui prêter soit par son action, soit en provoquant un secours.
Le secret de la confession a été fait pour l’humanité et non l’humanité pour le secret de la confession.
Le rapport Sauvé à raison de rappeler que poser la question du signalement aux autorités judiciaires et administratives des cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou une personne vulnérable sont des obligations du droit divin naturel de protection de la vie et de la dignité des personnes les plus fragiles.
Reprenant ici le bloc-notes de Frédéric Boyer dans « La Croix » on a envie de répondre, au partisan d’un secret absolu de la confession, comme le Christ dans les Évangiles, à propos du sabbat : le secret de la confession a été fait pour l’humanité et non l’humanité pour le secret de la confession.
Le secret est un principe nécessaire en Église et en démocratie pour ouvrir, même de façon limitée des espaces de parole. Mais le secret ne peut signifier la protection ou l’impunité. Cette parole confidentielle faut-il encore en faire quelque chose : la remettre en prise avec l’humanité. Que l’œuvre de mort s’arrête et laisse la place a du travail pour la vie. Il n’y a pour ce faire aucune solution toute faite. Pour chaque situation, chaque personne, chaque circonstance il y a un mystère à pénétrer, un travail d’humanité dans lequel s’engager.
L’article 226-14 du code pénal à raison de s’en remettre au professionnel pour se poser la question d’éventuelles révélations et pour décider en fonction d’éléments complexes, pluriels, selon des temporalités toujours fragiles.
Le secret de la confession ne doit pas être instrumentalisé par l’institution ecclésiale pour poursuivre son emprisonnement dans le silence. L’Église doit faire face à une pathologie de la parole comme le disait deux catholiques professeurs de philosophie. La langue de bois ecclésiastique qui euphémise les fautes et amalgame les situations. C’est toute la grammaire de la sexualité qu’il faut revoir.
L’Église n’a pas entendu parce qu’elle n’a pas su écouter les « signaux faibles » nous dit le rapport de la CIASE. Comment oublier le poids considérable de la parole dans la « bonne nouvelle » que nous a donné le Christ, le Verbe de Dieu. Parler suppose de nommer, d’écouter mais aussi d’agir. Nous ne pouvons plus attendre.
Jean Luc RIVOIRE, le 22 octobre 2021
Peintures de Vasilij Kandinskij