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Communier dans l'Eglise catholique
Christine Fontaine

« Des baptisés – prêtres ou laïcs - se battent pour que le Magistère accorde le droit de communier à certaines catégories de personnes qui aujourd’hui en sont exclues. Mais ne se trompent-ils pas de combat ? Faut-il combattre pour un élargissement du droit ou pour que la communion échappe à l’ordre du droit ? Dans cette dernière hypothèse, le pouvoir de la hiérarchie trouverait une limite : il lui appartiendrait de décider qui a le pouvoir de présider une eucharistie mais elle n’aurait pas le pouvoir d’interdire ou d’autoriser à des baptisés de communier. »

(15) Commentaires et débats

L’interdit

La contraception chimique était très peu accessible. Le couple vivait, avec quatre enfants, dans une pièce de 10 mètres carrés. Madame X a avorté sept fois par ses propres moyens. Les femmes de ce quartier populaire de Paris étaient souvent logées à la même enseigne. Elles échangeaient sur les moyens les plus sûrs – ou les moins risqués ! Néanmoins elles ne pouvaient éviter de payer un curetage dont le coût s’élevait à un mois de salaire. Madame X aimait les enfants mais elle n’avait pas d’autre solution. À l’époque elle n’était guère pratiquante. Un déménagement l’a conduite à habiter juste en face d’une église. Depuis elle assiste à la messe le dimanche et y communie. Elle ignore tout des lois de l’Église. L’une de ses filles, croyante elle-même, prie pour qu’aucun prêtre – du haut de sa chaire – ne déclare à celles qui auraient avorté qu’elles n’ont pas le droit de communier…

Arielle et Sébastien ne sont mariés ni civilement ni religieusement. Ils ont fait ce choix ensemble dès le début de leur union. C’est leur manière de dire que l’amour mutuel n’est pas une affaire de loi. Ils vivent ensemble depuis vingt ans et ont cinq enfants. Sébastien n’est pas croyant ; Arielle a été baptisée à la naissance et catéchisée dans l’enfance. Elle a abandonné depuis l’adolescence toute pratique religieuse et n’a eu, pendant très longtemps, aucun contact avec l’Église. Il y a cinq ans, elle est touchée par l’Évangile qu’elle a le sentiment de redécouvrir. Elle se rapproche de l’Église de son enfance, crée des liens de fraternité avec d’autres catholiques de sa paroisse et communie à chaque messe. Arielle ne se pose aucune question jusqu’au jour où elle fait une retraite dans un monastère et demande à parler avec une religieuse qui lui dit : « Vous êtes en état de péché grave. Vous n’avez pas le droit de communier. »

On sait aussi l’interdiction de communier faite aux homosexuels vivant en couple et aux divorcés remariés, même si le Pape François a allégé les conditions de leur réintégration. On pourrait également parler de ces prêtres qui, depuis un certain temps, annoncent à l’assemblée qu’il est interdit de communier sans s’être confessé depuis moins d’un an… Certains autres, issus du mouvement charismatique, vont jusqu’à dire que pour avoir le droit de communier, il faut s’être confessé depuis trois semaines au plus. La plupart des catholiques passent outre même s’ils sont scandalisés. Évidemment, les baptisés en « situations irrégulières » ne souffrent de cette « excommunication » que s’ils sont réellement croyants. Ceux qui se sont mariés religieusement pour avoir simplement une belle cérémonie, qui divorcent et se remarient par la suite se moquent complètement de ne pas pouvoir communier à une messe à laquelle ils ne participent jamais. Les lois de l’Église chassent des croyants sincères ou leur imposent une souffrance profonde.

La loi et la grâce

La loi trace un dedans et un dehors, elle permet et aussi elle exclut. L’Amour n’exclut personne, il endure tout, supporte tout, envers et contre tout il garde l’espérance. Exclure des catégories entières de croyants, c’est donner le dernier mot à la loi et se présenter à eux, au bout du compte, comme un juge. N’exclure aucun croyant de la communion, c’est donner le dernier mot à l’Amour et se présenter à lui comme un frère, un parent ou un ami.

Aucun groupe humain ne peut vivre sans lois. Les catholiques reconnaissent à la hiérarchie la charge de légiférer en son sein. En ce qui concerne la vie de famille, les pasteurs peuvent maintenir ou ajuster les lois existantes quant à l’union libre, la contraception, le divorce, etc. Mais ils ne peuvent revenir sur le fait que le dernier commandement de Jésus est celui de l’amour. Cet amour inconditionnel de Dieu pour chacun s’est manifesté sur la Croix ; il est célébré dans chaque eucharistie. Il est alors demandé à chaque baptisé de croire en cet Amour immense que Dieu porte à chacun et d’en vivre à son tour.

Seul Jésus-Christ a eu la force d’aimer jusqu’au bout, ses ennemis autant que ses amis. Seul Jésus-Christ a pu appeler le pardon du Père sur ceux qui le crucifiaient. Nos propres capacités seront toujours limitées. Il s’agit alors de croire que, quelles que soient nos limites, nous sommes bien aimés de Dieu. « Il est grand le mystère de la foi », proclame le célébrant au cours de la messe. C’est bien le mystère le plus profond de l’humanité - et auquel elle a tant de peine à croire - que celui de l’Amour de Dieu pour les pauvres humains que nous sommes. Il est demandé aux baptisés de croire, envers et contre tout, que, de toute façon, Dieu fait corps avec l’humanité. Dieu se donne librement et gratuitement à chacun. La « valeur » que nous avons à ses yeux ne vient pas de nos mérites ou de notre obéissance à des lois. Elle vient de ce que chacun est pour lui son enfant, unique au monde. Communier au Corps et au Sang du Christ, c’est répondre au désir de Dieu de faire corps avec notre propre humanité. C’est aussi recevoir la nourriture pour la route à parcourir. C’est enfin espérer contre toute espérance que - quels que soient nos propres échecs – Dieu ne nous abandonnera pas et nous permettra de repartir, de faire un pas aujourd’hui et un autre demain, dans le sens d’un amour libre et gratuit comme le sien. La loi fait des justes et des pécheurs, la foi nous rend frères dans notre condition de pécheurs et frères dans la gloire d’être tant aimés. « Toutes nos justices ont des taches aux yeux de Dieu », disait Thérèse de Lisieux.

Pour communier, dit-on, il faut être en « état de grâce ». Vivre en « état de grâce » n’est-ce pas reconnaître la gratuité totale de l’amour que Dieu porte à chacun et désirer en vivre à notre tour par Lui, avec Lui et en Lui ? Vivre en état de grâce ne consiste-t-il pas à s’oublier soi-même, à oublier toutes ses justices et jusqu’à son propre péché, pour se perdre dans l’amour que l’Autre porte à chacun de nous ? « Ce n’est plus moi qui vis, écrit Saint Paul, c’est Dieu qui vit en moi. » Le croyant Bernanos traduit ce qu’est l’état de grâce quand il écrit : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »

En christianisme, ce n’est pas l’obéissance à des lois qui sauve mais la foi en l’Amour de Dieu manifesté par Jésus-Christ. Alors comment comprendre – sauf par un retour de légalisme – que des pasteurs interdisent à des croyants d’accéder au « Mystère de la foi » ?

A qui le dernier mot ?

Les croyants, certes, forment un corps social qui ne peut tenir sans des lois. Mais le pouvoir de ceux qui légifèrent a des limites. Ils ne peuvent rien sur le commandement nouveau. Comme tous les autres, avec les pécheurs comme avec les saints, ils doivent s’incliner devant une autre obéissance, celle de la foi : « Car il n’y a pas de distinction ; tous en effet ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Ils sont justifiés gratuitement par sa grâce en vertu du rachat qui est en Christ-Jésus, que Dieu a exposé comme instrument de propitiation par son sang, moyennant la foi… Où donc est la vantardise ? Elle a été exclue. Par quelle espèce de loi ? Celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. » (Épître aux Romains 3, 23...28). Lorsque, dans l’Église, certains oublient que la foi doit avoir le dernier mot, alors les baptisés – qu’ils soient diacres, prêtres, évêques, pape ou simples fidèles – n’ont-ils pas le devoir au nom même de leur foi de résister ? Ils le font en refusant qu’un croyant soit exclu de la communion sous prétexte que son comportement ne correspond pas aux normes de l’Église.

Des catholiques – évêques, prêtres, diacres ou laïcs - se battent pour que soit reconnu le droit des divorcés-remariés à communier. Ne se trompent-ils pas de combat ? Certes, si ce droit leur était reconnu, les divorcés remariés cesseraient de se sentir exclus et ce serait libérateur pour eux. Mais cela n’empêcherait pas que, dans l’Eglise catholique, l’obéissance à des lois aurait le dernier mot sur le commandement d’amour que Jésus a donné le Jeudi-Saint et qui est renouvelé dans chaque eucharistie : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés… C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples… »

Un amour sans loi risque toujours de sombrer dans la confusion : on peut prétendre agir par amour de l’autre alors qu’on recherche son propre intérêt. Mais une loi sans amour risque fort de ressembler à une branche de bois sec. L’Eglise catholique, en traçant des normes, permet de sortir de la confusion d’un amour sans loi. Elle permet un va-et-vient entre des comportements généraux et chaque histoire singulière. Mais la question est de savoir ce qui de l’amour ou de la loi doit avoir, dans l’Eglise, le dernier mot. Exclure des croyants de l’eucharistie sous prétexte que leur comportement ne correspond pas aux normes, c’est donner le dernier mot à la loi. N’exclure aucun croyant, c’est donner le dernier mot à la foi en l’Amour que Dieu porte à chacun.

De la réponse à la question de savoir « ce qui de la loi ou de la foi en l’Amour de Dieu doit avoir le dernier mot ? » dépendent deux manières totalement différentes de vivre en Eglise. Une histoire récente peut nous le faire comprendre. Nous nous souvenons tous de cette fillette de 9 ans, en Amérique latine, qui a été violée par son beau-père et s’est retrouvée enceinte. Un médecin a pris sur lui de pratiquer un avortement. L’évêque du lieu a tout de suite excommunié l’enfant et le médecin alors que le beau-père n’était soumis à aucune sanction. Pour cet évêque, la loi qui interdit d’avorter devait avoir le dernier mot. Des voix nombreuses dans l’Eglise se sont élevées – venant d’autres évêques, de prêtres ou de simples baptisés – pour désavouer son attitude. Il était évident pour eux, qu’étant donné l’histoire de cette enfant, on ne pouvait éviter de pratiquer l’avortement. Ils ne revenaient pas pour autant sur le fait que, d’une manière générale, un avortement n’est pas innocent.

Donner le dernier mot à la loi, c’est exiger que chacun se conforme à des normes. Donner le dernier mot à l’amour, c’est – sans faire fi des normes – s’ajuster à l’histoire de chacun pour découvrir quel pas il peut faire dans le sens de la vie. Or il est possible, comme dans le cas de cette petite, que le sens de la vie oblige à aller contre les normes. Il est possible qu’un couple croie vraiment bon d’inscrire l’indissolubilité du mariage et qu’il soit cependant meilleur pour le mari et la femme, étant donné les circonstances, de se séparer. La loi seule rend aveugle sur l’histoire singulière de chacun. Elle devient alors profondément injuste. Elle rend esclave de normes et, plutôt que d’aider chacun à discerner le pas à faire, elle le plonge dans l’obscurité. Tout l’Evangile de Jésus-Christ nous met en garde sur le danger, non pas des lois, mais de leur donner le dernier mot. Jésus n’est pas tendre à l’égard des pharisiens et des scribes qui infligent de pesants fardeaux au peuple et sont eux-mêmes incapables de les remuer du doigt. Et, comme pour mieux avertir les croyants du danger de laisser le dernier mot à la loi, lui le juste entre les justes se laisse condamner par ceux qui demandent sa mort au nom de la loi juive et de la loi romaine. Il inscrit alors, au cœur de l’humanité, la loi de l’Amour qui surpasse toutes les autres sans pour autant les supprimer.

Lorsque l’amour a le dernier mot, les lois de l’Eglise éclairent les croyants. Elles ne s’imposent pas, elles exposent ce qui, selon la foi catholique, permet normalement de marcher dans le sens de la Vie. Elles accompagnent l’histoire des croyants, qui s’y réfèrent pour sortir de leur propre jugement et pouvoir se situer dans un compagnonnage avec d’autres croyants. Elles sont un guide et non une contrainte. Alors l’Eglise peut, au sein de l’humanité, inscrire sa particularité : celle de forger ou de maintenir des lois qui autorisent sans jamais exclure ceux que leur propre histoire conduit à ne pas pouvoir s’y soumettre. Par-delà toute loi, elle inscrit que la loi de l’amour – celle de Dieu - doit toujours avoir le dernier mot. Elle devient alors ce lieu d’hospitalité pour tous les pauvres de la terre, un lieu – le seul peut-être dans le monde - où ils seront accueillis sans jamais être condamnés ni risquer d’être expulsés.

Il en va de notre foi

Affirmer que la communion eucharistique est offerte à tous les croyants n’est pas la revendication d’un droit en faveur de ceux qui en seraient exclus aujourd’hui. C’est affirmer les limites de la loi et proclamer, à la suite de saint Paul, la spécificité même du christianisme : « Car il n’y a pas de distinction ; tous en effet ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Ils sont justifiés gratuitement par sa grâce en vertu du rachat qui est en Christ-Jésus, que Dieu a exposé comme instrument de propitiation par son sang, moyennant la foi… Où donc est la vantardise ? Elle a été exclue. Par quelle espèce de loi ? Celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. » (Epître aux Romains 3, 23...28). Lorsque, dans l’Eglise, certains oublient que la foi doit avoir le dernier mot, alors les baptisés – qu’ils soient diacres, prêtres, évêques, pape ou simples fidèles – n’ont-ils pas le devoir au nom même de leur foi de résister ? Ils le font en refusant qu’un croyant soit exclu de la communion sous prétexte que son comportement ne correspondrait pas aux normes de l’Eglise.

On pourrait s’étonner que cette possibilité d’exclure des baptisés de la communion n’ait pas été dénoncée plus tôt et qu’il faille attendre le XXIème siècle pour le faire. Toutes les générations antérieures se seraient-elles trompées ? Il est toujours dangereux de juger du passé en projetant sur lui les questions du présent. Or il y a seulement quelques décennies que les chrétiens appelés « sociologiques » - et qui n’étaient pas forcément croyants - ont quitté l’Eglise. Aujourd’hui, personne ne va plus à la messe pour avoir des relations avec les grands de ce monde, du moins nous l’espérons. Personne n’y va plus pour faire comme tout le monde. Ceux qui demeurent aujourd’hui pratiquants l’ont choisi parce qu’ils sont croyants. Autant il est normal que seuls des croyants communient au « Mystère de la foi », autant il nous semble impensable que des croyants en soient exclus. C’est la situation des croyants en situations matrimoniales irrégulières qui a permis qu’émerge cette question. On pourrait dire que c’est grâce à eux qu’elle est apparue.

Aux plus belles heures de l’inquisition, alors que toute la société occidentale se déclarait chrétienne, on conduisait des hommes et des femmes au bûcher parce qu’ils ne se conformaient pas aux normes de l’Eglise. Reste qu’aucun pape ni évêque n’a jamais mis en cause la possibilité de leur salut éternel. On reconnaissait que la miséricorde de Dieu dépasse tout ce qu’on peut imaginer ou concevoir et que personne ne pouvait savoir qui Dieu élevait auprès de lui. Ce que nous demandons aujourd’hui c’est que, sans attendre le ciel, la miséricorde de Dieu s’inscrive parmi nous sur cette terre. Nous croyons que sa miséricorde s’incarne dans le fait de n’exclure aucun croyant de la communion. Jésus-Christ, dans l’eucharistie, ne se présente pas à nous comme un juge mais comme un ami et un frère. Nous demandons que l’eucharistie soit ce lieu sur la terre où personne ne pourra se sentir jugé. Ne juger personne, aller selon le désir de Dieu et s’y perdre, s’applique non seulement aux autres mais aussi à chacun de nous : « Comme nous savons peu ce qu’est réellement une vie humaine ! La nôtre, écrit Georges Bernanos. Nous juger sur ce que nous appelons nos actes est peut-être aussi vain que de nous juger sur nos rêves. Dieu choisit, selon sa justice, parmi ce tas de choses obscures, et celle qu’il élève vers le Père dans le geste de l’ostension, éclate tout à coup, resplendit comme un soleil. »

Christine Fontaine, 2015 
Peintures et vitraux de Georges Rouault