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Discours du Père Elias Zahlaoui
à l'Assemblée Nationale à Damas
lundi 16 février 2015

Le Père Elias Zahlaoui, un ami de " Dieu maintenant ", est un prêtre catholique, melchite, de Damas. Il a été prié par l'Assemblée Nationale de Syrie, de s'exprimer sur le drame que connaît son pays. Il a bien voulu nous envoyer le texte de son intervention que Nour Hallaq a eu la gentillesse de traduire pour nous. Il nous a semblé utile de faire connaître ce document étonnant : un témoignage de foi dans un pays laïque face à un pouvoir particulièrement contesté.

Pour accéder au texte en PDF (sans illustration), cliquer ici.

Les sous-titres sont de la rédaction. Ce texte a été mis en ligne avant relecture de la traduction par le Père Elias Zahlaoui. Une traduction revue et corrigée sera mise en ligne ultérieurement.

(0) Commentaires et débats


A l’Assemblée Nationale de Damas

A une rencontre avec :
- la Commission de la culture et de l’orientation
- la commission de l’information, de la communication et de la technologie
- la commission de l’entente nationale

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie pour votre aimable invitation car elle me permet d’exprimer mon opinion sur la manière de reconstruire l’homme en Syrie et peut-être pour échanger nos opinions à ce propos.

Mais permettez-moi, avant tout, de vous saluer et avec vous tout homme qui aime la Syrie et ce qu’elle représente, qu’il soit du monde arabe ou extérieur, partout dans le monde. Je salue tous ceux qui ont façonné sa résistance légendaire durant quatre ans face à 140 pays. Je salue toutes les organisations internationales qui ont été créées, à l’origine, dans le but d’installer la justice et la paix partout dans le monde et également face à des assassins venus de 83 pays. Ils ont été envoyés pour faire disparaître la Syrie et sont au service du sionisme du début jusqu’à la fin.

Reconstruire l’homme syrien

Que dire sur cette reconstruction de l’homme en Syrie ? En vérité cette question implique d’avouer courageusement que quelque chose de profond a été détruit chez l’être humain en Syrie. Poser ce diagnostic est inéluctable et salutaire. Cela implique de connaître les causes, proches et lointaines, de cette destruction ainsi que les conséquences, manifestes ou cachées, dans un affrontement sincère sans possibilité de se dérober.

Il est clair que, pour mener à bien cette analyse, plusieurs colloques sont nécessaires. Toute improvisation comme toute déclaration préparée d’avance et promulguée au nom des participants devraient en être bannie, contrairement à ce dont nous avions l’habitude. Ces colloques devront être préparés assez longtemps d’avance, en particulier par des enquêtes sur le terrain, sérieuses, objectives, constantes, suivies et complémentaires. Enfin des experts syriens devront participer à ces colloques mais aussi toute personne – arabe ou étrangère - ayant prouvé avec force et constance qu’elle aime la Syrie et attestant de ce que ce pays représente pour elle-même et pour le monde entier.

Tout ceci implique une volonté de changement sincère et une capacité à le réaliser. Cela suppose une détermination de la part de tous les dirigeants et responsables, à tous les niveaux de mettre le « NOUS » patriotique au-dessus du « MOI » personnel ; ce « MOI » se répand, me semble-t-il, d’une manière maladive, inconsciente, au fond de tout homme arabe. C’est l’effet d’une histoire générale qui a atteint le sommet de diverses gloires en un temps record, avant de tomber, au cours des siècles, de façon de plus en plus grave jusqu’à ce que nous connaissons aujourd’hui. Cela attise chez chaque individu, sauf exception, un désir de compensation à travers des gloires personnelles, élaboré, consciemment ou non, aux dépens même de ses proches.

Face au pouvoir

Nul ne l’ignore, la problématique se pose dans n’importe quelle société du rapport de l’individu et du pouvoir auquel il est soumis. Faut-il dire le pouvoir ou les pouvoirs ? Le pouvoir à la maison, en général exercé par l’homme, le pouvoir à l’école, le pouvoir des coutumes et des conventions sociales, le pouvoir à l’Université, dans le Parti unique, le pouvoir des informations, écrites ou audio-visuelles, le pouvoir dans les organisations d’étudiants (depuis les avant-gardiste révolutionnaires jusqu’à l’Union Nationale des Etudiants Syriens), le pouvoir à l’armée, à la mosquée, à l’église. Et le pouvoir dans les différentes administrations gouvernementales. Quant au pouvoir sécuritaire, n’en parlons pas : il s’est installé au fond de la majorité des gens. Il capte leur respiration, surveille la moindre de leurs pensées, de leurs dires et de leurs mouvements. Alors que ces pouvoirs pourraient exercer les plus nobles effets à partir desquels se fonde une société.

En face de ces pouvoirs et de tant d’autres, une question évidente se pose, une question qui peut éliminer des conjonctures dangereuses chez beaucoup : « Qui d’entre nous a choisi sa religion, sa maison ou sa société ? »

Bien des questions brûlantes se posent à nous. Je les entends, au cours de ces dures années que nous traversons, lorsque je discute avec des étudiants de l’Université ou avec des amis ballotés entre le désir de partir et celui de rester. Par exemple, de quelle véritable liberté une personne peut-elle jouir dans notre pays pour exercer une tâche lui permettant d’éprouver sa valeur personnelle dans la tranquillité, la vérité et la joie, selon les différentes périodes de sa vie, même lors de « la plus grande joie » qu’est le mariage ?

J’en viens à une autre question qui résume les précédentes : « Quelle est l’utilité du pouvoir s’il n’est pas au service de l’homme, seul ou en groupe, pour le présent et pour son avenir ? » Evidemment il se trompe celui qui pense que je refuse l’autorité. Le pouvoir est une nécessité vitale. Il se trompe aussi celui qui pense que je minimise les difficiles circonstances politiques et économiques que nous affrontons depuis la création d’Israël. Néanmoins je m’interroge devant vous : « L’homme du pouvoir, quel qu’il soit et où qu’il soit, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve, s’il tente d’exercer ses responsabilités avec amour et humilité et de façon sincère et durable, que perd-il ? »

Qu’avez-vous fait de la jeunesse ?

J’ai parlé, jusqu’à présent, de l’autorité en général ; permettez-moi maintenant d’évoquer deux expériences personnelles. Je les ai vécues avec la jeunesse et l’enfance, à Damas où j’ai été nommé en 1962. Je ne le fais pas pour mettre en avant mes capacités personnelles !

La première expérience s’est déroulée en 1964. Après deux ans de travail avec la jeunesse du collège et de l’université, j’ai constaté que tous avaient besoin de la joie, oui de la joie. J’ai commencé à encourager tous les responsables à répandre l’esprit de joie, par tous les moyens adéquats et possibles : par l’organisation de soirées, conférences et prières, par des visites et en faisant la connaissance de leurs parents, par des camps de jeunes et des voyages, pour un ou plusieurs jours, à l’intérieur du pays et parfois à Jérusalem. Notre devise était alors : « Semons la joie. »

La deuxième expérience concerne mon travail avec la chorale ALFARAH (La joie). J’ai été nommé, en 1977, curé de l’église Notre Dame de Damas. J’ai fondé une chorale d’enfants, bien que j’aie perdu ma belle voix depuis 11 ans. Mais Dieu m’a permis, par l’amour seulement, de réaliser mon ancien rêve de cultiver chez ces enfants les forces de défis et d’amour acquises dans leur famille. La chorale s’est agrandie, elle a eu un grand succès, grâce à des personnes merveilleuses, chrétiennes et musulmanes, en Syrie et à l’étranger. Avec l’aide de Dieu, nous avons pu parcourir la Syrie, le Liban et la Jordanie. Ensuite, la France, la Hollande, l’Allemagne et la Belgique. Puis l’Australie et enfin, en 2009, nous avons inauguré le festival du monde arabe, organisé par le Centre « John Kennedy » à Washington. 118 enfants et 33 musiciens de l’Institut supérieur étaient invités ; j’étais avec eux.

Je voudrais poser une question à tous ceux qui ont été, durant de longues années, les responsables de ces dizaines de milliers d’enfants et de jeunes, garçons et filles ayant appartenu à des organisations d’avant-garde de la jeunesse de la révolution et de l’Union Nationale des Etudiants Syriens. Ma question est la suivante : « Qui vous a empêché de conquérir le monde ? Oui, conquérir le monde ! La Syrie est le joyau de l’humanité, elle est pleine de perles précieuses et de gloires de l’histoire. Qui vous a empêché de transmettre ce trésor aux enfants et aux jeunes ? Qui vous a empêchés de faire connaître la Syrie, le monde arabe et musulman à ces enfants et à ces jeunes dont les potentialités étaient si diversifiées et extraordinaires, alors que vous aviez la confiance de tous les parents et responsables et que vous aviez des pouvoirs effectifs, administratifs, budgétaires et d’information ? Vous aviez aussi des relations dans le monde artistique, dans l’administration, auprès de politiques et de diplomates à un niveau national et international. Pourquoi n’avez-vous pas fait ce que vous auriez dû faire ? Qu’avez-vous fait de toutes ces compétences et pouvoirs, de toutes ces ressources et de ces espoirs illimités ? Si vous l’aviez fait, n’auriez-vous pas ajouté des acquisitions importantes aux réalisations nombreuses et variées que la Syrie a réalisées dans beaucoup de domaines de la vie ? »

Evidemment toutes ces questions, comme beaucoup d’autres, n’ont de réponse possible que par un pouvoir central, éclairé, fort, souple, clair, aimant, possédant une vision d’avenir, capables d’être aidés par des experts d’élite, honnêtes et responsables, capables de nous surprendre de temps en temps, en prenant par exemple, des décrets qu’exigent des situations urgentes, comme le décret 11 en 2015, qui a inclus l’enseignement de la théologie chrétienne dans les programmes de la faculté de théologie musulmane. Ceci était souhaité par moi et beaucoup d’autres personnes ; il s’agit de mettre un terme définitif, à travers une vraie connaissance, aux ambiguïtés religieuses dangereuses, telle l’accusation faite aux chrétiens d’adorer trois dieux. Nous tous, en Syrie (chrétiens, musulmans ou athées), nous n’avons pas besoin de ces ambigüités dangereuses.

Au cœur du pouvoir :
la relation à Dieu !

Mesdames, Messieurs,

Je vois bouger, à l’intérieur de la Syrie, certains aspects des problématiques entre l’individu et le pouvoir central. Reste que les relations entre l’individu et le pouvoir central se compliquent lorsqu’on introduit, au cœur de cette relation, Dieu qui est supposé l’autorité suprême, au-dessus de toute autorité humaine. Il me semble que cette problématique nous concerne au premier degré en Syrie, aujourd’hui comme demain. Je vais essayer d’en parler à partir de ces deux grands ensembles que sont les musulmans et les chrétiens en évoquant les étapes les plus importantes. Ceci devrait nous aider, en Syrie, à édifier sur des fondations solides et claires, dans nos esprits d’abord, dans nos lois et constitutions ensuite. Il s’agit de restituer sa majesté et sa pureté au Dieu unique que nous adorons tout en laissant à chacun sa liberté et sa responsabilité.

Une chrétienté infidèle à Jésus

Donc, qu’en est-il de l’homme dans la chrétienté et qu’en est-il du pouvoir à son sujet ?

Lorsque j’étais un jeune étudiant et pendant longtemps, j’ai eu honte, en lisant l’histoire de l’Eglise, d’un paradoxe terrible qu’il nous faut affronter absolument chaque jour comme je vais le faire devant vous aujourd’hui.

L’homme pour le Christ est tout ; il est le centre d’intérêt de son amour entier et l’objet permanent de son accueil ; après Dieu, il est la valeur suprême parmi tout ce que Jésus voit dans l’univers .Vie, amour, nature, esprit, beauté, joie, sciences, lois, invention, institutions doivent respecter l’homme, être à son service et chercher son bonheur jusqu’à ce qu’il rencontre la face de Dieu, son créateur. Jésus a tenu à conseiller à ses disciples d’être toujours au service de tous, comme lui. Souvent il leur disait qu’il n’était pas venu pour servir mais se donner en sacrifice pour sauver la multitude des hommes. Il est allé jusqu’à s’identifier absolument avec tous les torturés, les faibles, les affamés et les écrasés, c’est-à-dire à ceux à qui la société ne reconnaît aucune valeur. Personne n’ignore ce qu’il a dit à son dernier repas, après avoir lavé les pieds de ses disciples : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l’exemple pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous. En vérité, je vous le dis, l’esclave n’est pas plus grand que son maître ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. Sachant cela, heureux serez-vous si vous le faites. » (Jean 13,12-17)

Ce que Jésus a dit de faire, il l’a fait. Ce qu’il disait de lui, il l’était. En comparaison qu’a fait l’Eglise après lui et que fut-elle ? Je résume un peu plus de deux mille ans de façon rapide mais suffisante pour qu’on comprenne.

1 - Aux débuts, par exemple à Jérusalem, les fidèles fortunés, dans les Actes des Apôtres, se pressaient spontanément pour vendre leurs biens et les mettre aux pieds des disciples pour les distribuer aux nécessiteux. De même, certaines jeunes églises, plus ou moins riches, partageaient ce qu’elles possédaient avec les autres plus démunies.

2 – Le christianisme s’est répandu dans tout l’ancien Orient, seulement par la parole et le comportement vertueux malgré les machinations continuelles et féroces de l’entourage et malgré l’oppression des Empereurs de Rome et de leurs alliés partout dans l’Empire, jusqu’à l’époque de Constantin.

3 – En 313, l’Empereur Constantin a reconnu officiellement le droit d’existence du christianisme. Depuis ce jour-là, le vrai désastre a commencé dans le christianisme. C’était le début de son glissement dans le labyrinthe du pouvoir temporel : un début qui n’a pas de fin.

De nombreux responsables des églises, alors qu’ils n’étaient plus persécutés, se sont mis à flatter les responsables du pouvoir en place, surtout à Constantinople, la capitale. Beaucoup sont devenus, volontairement ou involontairement des hommes de pouvoir. Certains ont commencé à imiter les hommes de pouvoir en matière d’habitat, de privilèges et même d’habillement dans les cérémonies religieuses (diadèmes, vêtements dorés et crosse). Nous en sommes étonnés jusqu’à nos jours. Ils ont désiré s’approcher d’eux, vivre dans leur voisinage, imiter leur comportement. Ils en sont venus jusqu’à demander leur aide contre leurs adversaires ecclésiastiques ainsi que contre les Juifs, leurs ennemis de toujours.

Le pouvoir antisémite de l’Eglise

Il est également nécessaire de resituer dans un contexte historique ce qui s’est passé et ce qui se passe depuis plus de cent ans en Palestine et qui a des répercussions sur tout le monde arabe et musulman, et même au niveau du monde entier.

L’Eglise, qui a été persécutée durant 250 ans à peu près, a pratiqué une persécution contre les Juifs. Elle poussait les responsables dans l’Empire à légiférer pour limiter leur activité commerciale. Il leur fut interdit d’habiter certains quartiers, ce qui les a obligés à vivre dans des ghettos spécifiques. Cette relation s’est énormément aggravée entre l’Eglise et l’Etat d’un côté et les Juifs de l’autre jusqu’à ce qu’apparaisse l’antisémitisme. Cet antisémitisme a atteint son sommet dans les prières officielles de l’Eglise, surtout pendant la Semaine Sainte, par des paroles blessantes, en particulier dans les prières où le Christ dit qu’Il leur avait pardonné !

En vérité c’est une contradiction flagrante mais c’est une réalité qui n’a fait que s’aggraver dans tout l’Occident, engendrant parfois, surtout pendant la Semaine Sainte, des massacres dans les quartiers juifs, quand les fidèles sortaient des offices.

C’est ainsi que certains responsables dans l’Eglise ont compris leur pouvoir depuis l’époque de Constantin, et ils l’ont pratiqué pendant des siècles et des siècles, jusqu’à l’arrivée d’Hitler au milieu du 20ème siècle ! Oh ! Combien m’afflige, moi le prêtre arabe chrétien, d’avoir à raconter cette réalité qui explique le terrible complexe maladif qu’affrontent tout l’Occident et toutes ses églises en ce qui concerne les Juifs depuis le décret de division en 1947, jusqu’à maintenant et pour longtemps encore.

L’Eglise d’Occident

Ce ne sera une nouvelle pour personne si je vous dis que les affaires dans les deux grandes capitales chrétiennes (Byzance en Orient et Rome en Occident) se sont aggravées d’une manière affligeante, au point de vue de la compréhension du pouvoir de l’Eglise : comportements hautains, alliances ou rivalités avec le pouvoir séculier pour des gains temporels. Elles ont d’abord abouti à un schisme entre eux qui existe encore. Dans l’Empire byzantin (Syrie, Egypte, Irak, Arménie) le désir du peuple de se libérer a conduit à accueillir les Arabes conquérants comme des sauveurs. Et Byzance est tombée entre les mains des Ottomans en 1453.

Tandis qu’en Occident, les papes se montraient hautains à l’égard de tous, les mises en garde sérieuses et fermes provenant de l’intérieur de l’Eglise restaient vaines et les critiques sévères n’étaient pas écoutées. La situation a continué de s’aggraver ; durant des siècles les tribunaux de l’inquisition se sont développés. Beaucoup de gens ont été brûlés. De nombreux Empereurs, rois et princes étaient excommuniés. Les Papes ont appelé à des guerres qu’on appelle « croisades ». Des sectes extrémistes se sont formées, des guerres religieuses effroyables ont commencé et ont duré des centaines d’années. Par milliers on baptisait les gens errant sur les routes. Certains savants étaient empêchés de poursuivre leurs recherches. Après la découverte de l’Amérique en 1492, la sauvagerie a atteint son sommet : des millions d’Indiens (les Peaux-Rouges) ont été exterminés et des millions de noirs africains ont été emmenés par la force, vendus comme esclaves pour travailler dans les mines souterraines ou des plantations immenses dans le continent américain.

Suite à toutes ces tragédies, je souligne trois points qui sont d’une énorme importance.

Premier point : L’Eglise occidentale, qu’elle soit en Europe, en Amérique ou en Australie, était activement de mèche avec les autorités temporelles et militaires coloniales. Toutes les atrocités commises par ces autorités – depuis le début jusqu’à aujourd’hui – sont en contradiction absolue avec les enseignements du Christ. Par de tels actes, l’Eglise est en contradiction avec elle-même et avec sa mission. L’arrivée de Jean-Paul II a ouvert un nouveau chemin en relisant d’une manière audacieuse et globale l’histoire noire de l’Eglise d’antan, demandant pardon au nom de toute l’Eglise catholique à Dieu et aux peuples opprimés. Il voulait, ce faisant, sortir les églises d’Occident de leur silence face aux nouvelles horreurs que commettent les gouvernements, en particulier les Etats-Unis. Il voulait que les églises parlent face à ce qui menace l’humanité et, aujourd’hui, face à ce qui menace la Syrie. Mais ces églises ne cessent de garder le silence. De là vient ma colère. Mes rencontres avec certains responsables religieux en Occident et mes lettres à différents responsables religieux et politiques n’ont servi à rien.

Deuxième point : Un profond fossé s’est creusé entre l’institution cléricale et le peuple dans l’Europe entière.

Troisième point : La majorité des intellectuels et des penseurs s’est retirée de l’Eglise en Occident. Avec beaucoup de sacrifices, ils ont réussi à trouver leur chemin loin de l’Eglise. Aujourd’hui, face aux grands défis qui menacent l’existence de ces sociétés, l’Eglise essaie de faire revenir ces fidèles. Comme elle essaye de rattraper le cortège des sciences et de la réflexion intellectuelle qui va de plus en plus vite !

Après cet exposé douloureux, permettez-moi de reconnaître avec vous que la relation à Dieu, surtout dans le domaine politique et social, est une affaire très épineuse. En fin de compte, c’est à Dieu lui-même qu’elle nuit le plus.

Le message de l’islam

La deuxième partie de mon discours concerne l’islam et son attitude vis-à-vis de l’homme.

Le Saint Coran cite, à propos de la création de l’homme et des sociétés, deux versets sublimes :
- « Nous avons créé l’homme en la plus belle stature » (Le figuier/4).
- « Oh ! Les gens ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et vous avons désignés en nations et en tribus, pour que vous en veniez à vous connaître mutuellement... Oui, le plus noble des vôtres, auprès de Dieu, c’est le plus pieux des vôtres » (Les cloisons/13).
Quelle est la réalité de l’homme en islam ? Quelle est la réalité du pouvoir ?
Je laisse aux responsables musulmans la charge de répondre à ces deux questions, comme le l’ai moi-même fait pour les chrétiens. Pour ma part, je me contenterai de souligner trois points très importants.

L’islam : une religion de progrès et de dialogue

Le premier point concerne, dans le monde arabo musulman, le développement scientifique en avance sur le reste du monde, surtout à l’époque abbasside. Tous les historiens et les scientifiques témoignent que la civilisation islamique a été pionnière face à l’Occident dans ce domaine vital et décisif. Donc une question s’impose : Qui a figé ce développement ? Au moment où l’Occident arriéré s’est lancé et nous a devancés, nous laissant loin derrière lui, nous nous nourrissions de ces productions étonnantes.

Le second point concerne les conquêtes arabes, dans le pays de Sham, d’Egypte et d’Andalousie. Ces conquêtes, personne ne peut le nier, diffèrent totalement de toutes les autres qui se sont produites dans l’histoire du monde. En effet, le principe du conquérant était le dialogue, l’entente avec les premiers habitants chrétiens. Il a construit avec eux une nouvelle société et une civilisation raffinée où le chrétien, le musulman et le juif ont vécu pacifiquement durant des siècles. Tous les historiens, entre autres les historiens juifs, anciens et contemporains, témoignent que la période du règne islamique en Andalousie fut une époque dorée. L’un d’entre eux a dit que « les arabes étaient les conquérants les plus miséricordieux ». Je souligne, avec plaisir, l’inauguration récente du « Centre Culturel à Grenade » ; dans une des salles, il y a un tableau sur lequel est écrit : « Après deux ans de conquête arabo musulmane en Espagne, les juifs ont été libérés de l’esclavage. »

Je me pose avec vous la question : nos ancêtres musulmans et chrétiens avaient-ils tort d’adopter le dialogue et la vie commune ? Ont-ils agi selon les préceptes de Dieu ? N’ont-ils pas appris à l’humanité tout entière ce dont elle a besoin pour le présent et l’avenir ? Cette méthode sera un modèle rayonnant face au monde entier lorsque la Syrie sera sortie de ses difficultés. J’y vois son unique salut, malgré tous les troubles exorbitants, présents ou à venir, causés par les campagnes des Francs, les invasions des Mongoles et des Tatares, le règne des Mamlouks, l’empire ottoman et les interventions occidentales répugnantes, qu’elles soient anciennes ou actuelles. Oui, ce dialogue poursuivi jusqu’à nos jours crée de la convivialité. Il a connu son apogée, durant la période nationale, lorsque Farès Khoury était Président de l’Assemblée des députés. Pour ma part, j’ai cru – voici déjà quelques années – que ce modèle de vie commune allait sans doute nous emmener, en Syrie, tôt ou tard, à ancrer les règles d’un pouvoir civil qui s’installerait naturellement. J’ai cru que ce pouvoir civil nous mettrait tous au niveau d’une égalité citoyenne, pionnière et en avance sur l’ensemble du monde arabe. Et soudain arriva ce qui arriva !!!

Le troisième point concerne le pouvoir religieux en islam. Je vous invite, et à travers vous j’invite tous les musulmans, à réfléchir posément aux opinions de certains parmi les grands penseurs musulmans, tels Abdel Rahman Al Kawakibi, Le Cheikh El-Imam Al-‘azhari, Ali Abel Razzaq, le Docteur Mohamed Hamara notre contemporain. Tous sont unanimes pour reconnaître ce que dit Al-Shay Al Imam Mouhamad Abdou : « Dans l’islam, il n’y a pas un pouvoir religieux, sauf celui de la prédication, de l’invitation au bien et à l’éloignement du mal. C’est un pouvoir que Dieu a donné au plus humble des musulmans, pour blâmer le plus haut comme il l’a donné au plus haut pour blâmer celui qui est plus bas. » (Mohammmad Amara : « L’Islam et le pouvoir religieux », Page 36) Est-ce que cela nuit à la grandeur divine ? Ou bien est-ce que cela n’éloigne pas l’homme de tout excès en lui donnant liberté et responsabilité ?

En Syrie aujourd’hui

Permettez-moi d'en venir maintenant maintenant à ce qui se passe en Syrie aujourd’hui et depuis quatre ans. Je le ferai brièvement.

Ce qui s’est passé et nous a surpris tous a-t-il surgi d’un enfer manigancé par Sion et l’Occident ? Ils nous ont habitués à nous imposer leurs plans pendant des centaines d’années alors que nous, les arabes, jusqu’à maintenant nous improvisons. N’était-ce pas aussi la conséquence des pratiques des pouvoirs, la monopolisation des responsabilités, l’entassement des richesses, l’immigration des cerveaux ? Ce qui a été semé dans les cœurs et les esprits a fini par cultiver des rancœurs et une pauvreté qui ne devraient pas être. Un des plus grand musulman arabe a dit : « Ce qui s’est produit tient presque du blasphème. » Une ignorance religieuse et culturelle est devenue une terre fertile pour ces sauvages aussi voraces aujourd’hui qu’autrefois, dans des guerres religieuses qui ont déchiré notre région pour des centaines d’années. Je veux parler des populations occidentales prétendues chrétiennes.

Ce qui nous amène à dire que la pauvreté, l’ignorance et la rancœur ne sont pas plus spécifiques à un peuple qu’à un autre. Leur apparition nous oblige tous à une révision sincère et responsable, urgente et sans cesse reprise… pour que les jours qui viennent n’engendrent pas une nouvelle fois ce qui a été vécu dans le passé.

Dans cette révision sincère, je vois la construction de l’homme. Je la vois dans tout responsable (quelle que soit sa responsabilité). Je la vois dans tout citoyen, quel qu’il soit. Je vois chaque responsable comme un serviteur et non pas un Seigneur. Je le vois comme un homme de sacrifice et non comme un exploitant. Je le vois trouvant son plaisir dans la découverte de nouveaux talents exceptionnels qu’il encourage et qu’il est heureux de nommer à des postes adéquats plutôt que de le pousser à immigrer. Cela, à tous les niveaux de responsabilités : dans la patrie, sans exception, du plus haut niveau au plus bas ; la compétence doit être le seul critère pour choisir un responsable et non pas le nom, la confession, la religion, la force ou l’argent.

Quant au citoyen lui-même je le vois comme un esprit libre et responsable, digne, exerçant un travail honnête. Je le vois vivre en paix dans sa famille, épanoui dans son travail. Je le vois dans sa vie publique ni opportuniste ni arriviste, ayant une pratique politique libre, sincère, soucieuse d’efficacité. Dans la construction de chaque citoyen, je vois la fierté sincère d’appartenir à une patrie qu’il reconnaît comme exceptionnelle. Elle a une longue histoire et, jusqu’à nos jours, ce pays qu’on appelle la Syrie est la deuxième patrie de tout homme civilisé. Je le dis par souci de la vérité historique et non par un romantisme creux. Elle est le berceau de la première écriture alphabétique, la mère des premières civilisations et le carrefour des trois monothéismes. N’-a-t- elle pas été créatrice depuis la première rencontre islamo-chrétienne à Damas ? Est-ce seulement par la volonté de ses enfants ou par la volonté de celui qui dit aux choses : « Soyez et elles sont » ?

Un signe chrétien d’espérance

Vous avez tous le droit de demander si j’ai un argument pour poser cette étrange question. Je me permets de vous répondre brièvement à partir de la conviction tranquille qui m’habite face à la crise syrienne. Il est arrivé un événement extraordinaire dont personne ne pensait qu’il se passerait à Damas plutôt qu’ailleurs et par rapport auquel j’étais moi-même particulièrement incrédule. L’huile coulait d’une petite icône de la vierge, nuit et jour. Chrétiens, musulmans et juifs venaient spontanément prier côte à côte. On avait mis une inscription qu’on trouve encore aujourd’hui, à l’entrée de la maison, « Tout don est refusé » ; j’en suis témoin. Beaucoup de malades ont été guéris. La première fut une dame de Rkn El Din.

Les gens de la Sécurité, dès le lendemain de l’événement, ont commencé des enquêtes sérieuses, accompagnés d’un médecin spécialiste. Tout le monde se souvient que les mesures sécuritaires étaient intenses. Entre le 15 décembre 1982 et le 24 mars, la Vierge est apparue cinq fois à la jeune mariée à qui appartenait l’image miraculeuse et lui a parlé cinq fois en arabe littéral et dialectal. Elle avait vu aussi le Christ plusieurs fois et en particulier le 31 mai 1984 ; il lui parlait également en arabe littéral et dialectal. Six fois des plaies ont blessé son corps, entre le 25 novembre 1983 et le 10 avril 2004. Il est arrivé que l’huile coule de son visage ; elle disparaissait dans un monde de lumière, voyant la vierge et le Christ. Chaque fois nous faisions venir des médecins et des responsables religieux.

Aujourd’hui, depuis 33 ans, l’événement se poursuit par la prière quotidienne dans une absolue gratuité. Beaucoup de pèlerins sont venus à Damas ; de nombreux médecins, savants, théologiens, intellectuels, journalistes sont venus de partout : Canada, France, Russie, Brésil, Danemark, Etats-Unis, Belgique, Allemagne, Autriche, Suède, Norvège, Pologne, Hollande, Italie, Ukraine et Slovaquie. Ils ont constaté, tous, que ces événements dépassent la volonté humaine. Beaucoup ont rendu compte de recherches exhaustives ; d’autres ont fait des déclarations, des témoignages télévisés dans des journaux sérieux et importants. Quant aux messages importants dictés par la Sainte Vierge et Jésus, ils appellent à la conversion, à la pratique de l’amour, au refus de la violence, au pardon entre les personnes.

Parmi les messages, j’en retiens deux pour vous ; ce sont les derniers et ils concernent clairement la crise syrienne.

Je cite d’abord celui du 10 avril 2004, la veille de Pâques : « Ma dernière recommandation est que chacun retourne chez soi. Mais portez l’Orient dans vos cœurs. D’ici, une lumière a jailli de nouveau ; vous êtes son rayonnement pour un monde tenté par le matérialisme, la concupiscence et le spectaculaire, près de perdre le sens des valeurs. Quant à vous, protégez votre sens de l’Orient. Ne permettez pas qu’on vous vole votre volonté, votre liberté et votre confiance en cet Orient. »

L’autre message du Christ, nous a été transmis le Jeudi Saint. Je suis heureux de souligner que ce jour coïncidait avec l’anniversaire de l’indépendance de la Syrie : « Les blessures qui ont ensanglanté cette terre sont les mêmes que celles qui sont dans mon corps ; la cause en est la même. Mais soyez confiants : leur destin est celui de Judas. »

La Syrie se relèvera

Mesdames, Messieurs,

Comprenez-vous ce qui m’a poussé à vous faire connaître dans ce lieu vénérable cet événement religieux et humain, vraiment grandiose dans l’histoire de l’Orient arabe, qui continue depuis 33 ans à unir dans une prière quotidienne chrétiens et musulmans ? Pourquoi Dieu a-t-il voulu que cet événement se passe en Syrie et à Damas précisément ? Laissez-moi vous parler, à la lumière de cet événement et des tragédies que nous vivons en Syrie depuis quatre ans. Comme Jésus est ressuscité d’une mort voulue, la Syrie se relèvera des malheurs qu’on lui inflige. Elle ressuscitera et, avec elle, le monde entier ; elle sortira de ces destructions programmées par les grands pays d’Occident. Il ressuscitera le monde que les Etats-Unis ont accaparé par leur centralisme unilatéral destructeur.

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie profondément. Je suis sûr que vous réalisez clairement que je ne prêche pas ; ceci n’a pas du tout été mon souci ni mon intention ni ma pensée. Avec mon discours, dans les circonstances exceptionnelles que nous vivons, sous la coupole symbolique qui nous protège, devant vous tous, j’ai voulu apporter un témoignage sincère pour l’histoire, devant le peuple syrien entier et devant Dieu. Ainsi je parle à la Syrie avec vous. Et je dis à la Syrie, par votre intermédiaire : « O ! Ma patrie ! Es-tu restée debout ? » La paix de Dieu et son amour soient avec vous et avec toute la Syrie !

Damas, lundi 16 février 2015
Père Elias Zahlaoui
Peintures de Marthe Péalat