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Elections en France :
le réveil inquiétant d'un « électorat catholique »
de droite et d'extrême-droite
Jean-Michel Cadiot

Jean-Michel Cadiot est journaliste et auteur de nombreux ouvrages. Héritier de la tradition du Sillon de Marc Sangnier, il s’insère dans le courant des chrétiens qui sont ouverts aux valeurs laïques et républicaines. Il s’est intéressé de près aux débats qui ont conduit à l’élection présidentielle. Membre de l’équipe de Dieu Maintenant, il nous fait part de ses réflexions.

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Une présidentielle pas comme les autres

Nul ne nie que, traditionnellement, les catholiques sont supposés, majoritairement, « voter à droite ». C'est vrai que l'Église, comme institution, a été bien lente à reconnaître la République - ce fut en 1892 -, et que la République s'est construite pour une large part, en opposition avec l'Église contestant son pouvoir moral sur la société, son rôle dans l'éducation. Il est vrai aussi qu'au sein de cette République, c'est plutôt la droite, volontiers monarchiste, qui a eu au départ les faveurs de l’Église.
Même si la participation de chrétiens, dont des prêtres - certes généralement constitutionnels, comme l'abbé Grégoire - ont joué un rôle-clé pour l'adoption et la mise en pratique de notre devise « liberté, égalité fraternité », cette dernière étant fruit de la révolution de 1848, même si les abbés démocrates comme l'abbé Lemire ou le Sillon de Marc Sangnier ont rompu cette tendance à associer « droite » et « catholiques », nous avons assisté ces derniers mois, nous assistons toujours à une sorte de résurgence de cet ordre politique.

Une présidentielle pas comme les autres. Lors de la primaire à droite et lors du premier tour, François Fillon clama haut et fort qu'il était « chrétien ». « Je suis chrétien. Cela veut dire que je ne prendrai jamais une décision qui sera contraire au respect de la dignité humaine, de la personne humaine », disait-il sur TF1 le 3 janvier, comme argument, très étrange, pour défendre son plan de quasi-démantèlement de la Sécurité sociale.
Sans doute, plusieurs chefs d'État ont-ils fait état de leurs convictions chrétiennes - Coty, De Gaulle, Giscard, Chirac par exemple -, mais sans jamais en user pour leur propagande personnelle ; laïcité et morale politique obligent. Déjà, sollicité par des « cathos de droite », F. Fillon avait changé de position en 2016 sur la question de l'avortement, qui n'était brusquement plus considéré comme un « droit fondamental » de la femme.

Fillon, dont la campagne devait sombrer peu à peu avec la Penelope Gate (mise en examen pour soupçon d'emploi fictif accordé à son épouse), réitéra ce type de déclarations. Ses soutiens traditionnels s'affaiblissant, il en chercha et en trouva parmi les militants de Sens commun, mouvement issu des éléments les plus à droite de la Manif pour tous. Le 5 mars, à son grand meeting du Trocadéro, la « droite catho » est omniprésente.
Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous et ancienne attachée de presse de la Conférence épiscopale, a soutenu Fillon « au nom de la famille et de la filiation ».

Le recul de l'épiscopat

Une fois vaincu, Fillon appelle immédiatement à voter Emmanuel Macron. Mais pas Sens commun. Christophe Billan son président refuse de choisir entre le « chaos », Le Pen, et « le pourrissement » (Macron). Plus grave, Christine Boutin, fondatrice et présidente d'honneur du Parti chrétien-démocrate a explicitement appelé à voter Le Pen, avec des arguments certes confus....
François Fillon comme Marine Le Pen n'avaient cessé, pendant la campagne, de rappeler les « racines chrétiennes » de la France, formules toujours précédées ou suivies de mises en cause de l'islam ou des musulmans. L'un et l'autre se prétendaient défenseurs des chrétiens d'Orient. Mais étaient muets sur les autres victimes.

Mais le fait est là. Selon les différents sondages, environ 44% des catholiques pratiquants ont voté Fillon au premier tour (15% Le Pen). Un sondage en date du 3 mai (IPSOS) assurait que 42% de l'électorat catholique votait Le Pen, soit un peu plus que la moyenne des Français selon les sondages de l'époque.

Il est vrai que la Conférence Épiscopale de France, contrairement à son attitude en 2002, par la voix du cardinal Jean-Pierre Ricard, quand Chirac était candidat contre Jean-Marie Le Pen, n'a rien dit d'explicite. Le communiqué de la CEF du 23 avril semble mettre dos à dos les concurrents. Certes, il insiste sur l'accueil des migrants, sur la « diversité », sur le rôle de l'Europe. Mais il dénonce l'avortement et l'euthanasie, et déclare que c'est « en soutenant la famille, tissu nourricier de la société, en respectant les liens de filiations, que l'on fera progresser la cohésion sociale », ce qui ravit les lepénistes. Plusieurs évêques, tel celui de Fréjus et Toulon, Dominique Rey, qui avait invité récemment Marion Maréchal-Le Pen à une réunion, - démarche impensable il y a seulement cinq ans – avait demandé de « disqualifier » tout candidat favorable à l'avortement et au mariage homosexuel. À bon entendeur, salut Macron...

Quel recul ! Un recul qui heurte, qui désespère même, nombre de chrétiens, mais aussi la société française. La Conférence ne s'est pas associée à l'appel de la Fédération protestante, du grand rabbin de France et du Conseil français du culte musulman (CFCM) à voter Macron. Une quinzaine d'évêques seulement, dont Mgr Marc Stinger à Troyes, Denis Moutel à Saint-Brieuc et Jean-Paul James à Nantes ont clairement rejeté le vote Le Pen.

Pire : dans plusieurs paroisses, des prêtres, des curés, souvent jeunes, ont implicitement dans leurs homélies, explicitement avec des fidèles, appelé au vote extrême-droite, au nom toujours de soi-disant « valeurs morales », de la « défense de la famille ». Pas vraiment au nom de l'Évangile, ou de la Justice, de la doctrine sociale de l'Église, bref, du christianisme.
Depuis l'émergence du FN, au début des années 1980, l'épiscopat français avait toujours, d'une manière ou d'une autre, mis en garde contre le FN qui, en outre, a partie liée avec les intégristes les plus anti-conciliaires.

Une forte mobilisation

Comme par le passé, comme dans le mariage « du sabre et du goupillon », les catholiques sont considérés comme appartenant à une institution conservatrice.

Bien sûr, il y a eu une très forte réaction. Un texte signé des principales organisations caritatives chrétiennes - Secours catholique, Apprentis d'Auteuil, Ordre de Malte, CCFD, la revue jésuite Études et d'autres - ont demandé de ne pas céder au « repli sur soi » qu'incarne Le Pen. « Refusons de laisser instrumentaliser l'Évangile, recentrons le débat sur les vrais sujets et transformons la clameur du monde en espérance », souligne le texte. C'est bien l'essentiel. « Rendez à César ce qui est à César », nous dit le Christ. Mais d'abord : « Aimez-vous les uns les autres. » Ce qui est, cette année, plus grave que lors des précédentes, c'est que les medias évoquaient constamment « l'électorat catholique » comme favorable presque naturellement à Fillon au premier tour, et non viscéralement opposée à Le Pen au second.

Ainsi, à l'avant-veille du second tour, Marine Le Pen se rend incognito à la cathédrale de Reims, voulant encore séduire « l'électorat catho ». Mal lui en prit. Ce fut un tollé, elle dut sortir comme une malpropre. La responsable locale d'En Marche, Anne-Sophie Godfroy, militante chrétienne, dénonça cette manœuvre.

L'appel du pape François

Pourtant, le pape François, sans donner bien sûr de consigne dans l'avion le ramenant d'Egypte - qualifiant néanmoins Marine Le Pen « d'extrême-droite » - a expliqué, interrogé sur l'élection, ne pas connaître bien la politique française. Il venait juste de dire la priorité qu'il donnait à l'accueil des migrants et son opposition au populisme. « Le problème qui divise l'Europe et sans doute alimente les populismes, c'est le problème des migrants. Mais n'oublions pas que l'Europe s'est faite des migrants, des siècles et des siècles de migrants. »
François, avait réservé la première visite hors de Rome de son pontificat à Lampedusa, où arrivent les migrants et réfugiés par milliers. À son premier Jeudi saint de Pape, il a lavé les pieds d'une jeune serbe, prisonnière musulmane. Rien qui puisse s'accommoder de Le Pen !

Les statistiques religieuses en France sont interdites, les dernières datant de 1872 (94% des Français se disant alors catholiques). Des enquêtes, des sondages, donnent à penser que 60% de nos compatriotes sont soit agnostiques, soit athées, même si 70% se disent catholiques de culture, ou de baptême.
Les medias parlent peut-être un peu vite du « vote catho » ou « vote chrétien ». Outre qu'il est difficile de dire qui est chrétien - n'est-ce pas parfois prétentieux de se présenter tel, n'est-ce pas plus un comportement que l'appartenance à une institution ? - les méthodes et critères des sondages sont toujours discutables.
Du reste, Marine Le Pen à la fin de la campagne s'est dite « catholique », mais a fustigé le pape François qui, selon elle, horreur, fait de la politique. Le 13 avril, l'ex-candidate avait, dans Ouest-France, accusé ce dernier « d'ingérence ». « Je suis fâchée avec l'Église dont je pense qu'elle se mêle de tout sauf de ce qui la concerne. » C'est-à-dire de s'occuper des choses de tous les jours...

Appel à la résistance !

Tout cela rappelle des périodes passées. Le Pape Pie IX, qui avait condamné l'Action française en 1926, état aussi accusée d'ingérence politique par Charles Maurras. A la mort de ce dernier, le philosophe Etienne Borne écrivait dans le quotidien L'aube du 16 février 1939 : présenter Pie XI, comme « pape politique » - l'accusation de Maurras - « cela veut dire d'abord que par sa condamnation du racisme, par sa sympathie pour les peuples libres, et par conséquent pacifiques, le grand pape qui vient de mourir a dérangé des combinaisons impérialistes qui prétendaient enrôler sous l'équivoque drapeau de l'anticommunisme et pour la défense de la civilisation occidentale toutes les timidités bien-pensantes en même temps que les appétits nippons, la grande faim nazie et les gloutonneries fascistes ». Le Pen veut, comme Maurras, une Église silencieuse sur le racisme et les injustices.

Triste, lamentable, cette résurgence des « cathos de droite » doit être replacée dans un contexte et peut être combattue et vaincue. Notre société, hélas, se ferme en raison de la crise mondiale, des problèmes économiques, des attentats notamment islamistes. Cela déteint chez des chrétiens, des catholiques qui se sentent les oubliés du monde moderne et les perdants de la laïcité.

Des chrétiens, comme Lamennais, malgré sa condamnation, Sangnier, l'abbé Pierre et tant d'autres ont pris acte de cet enfermement d'une partie de l'Église, de ces meneurs d'opinion très « catholiques », mais nullement chrétiens et ont pu et su par leur engagement, leur témoignage, faire œuvre de libération, par le retour aux sources évangéliques.

Si dans les années 30, les catholiques étaient souvent taxés de droite, voire de sympathies fascistes, ils furent aussi à l'avant-garde de la résistance, malgré la frilosité, parfois la compromission de certains évêques. Ils n’ont jamais imaginé quitter cette institution composée d'hommes - surtout d'hommes ! -, qui hésitent, parfois se trompent comme les autres hommes, et cette communauté qu'est l'Église.

Jean-Michel Cadiot
Pastels de Noëlle Herrenschmidt