Qu’est-ce que la justice réparatrice ou restaurative ?
La justice réparatrice s’est développée depuis une trentaine d’année dans les pays Anglos-Saxons notamment au Canada. L’expérience montre que le passage devant la justice est absolument nécessaire. Mais une fois que la justice est passée, que la culpabilité est définitivement reconnue, que la punition a été prononcée, que les réparations ont été accordées, on est encore loin du compte pour les victimes, pour les auteurs ou leurs entourages. Comment se reconstruire pour les uns, se resocialiser pour les autres ? Le temps de l’audience est un espace de parole très particulier. Chacun des acteurs du procès est contraint par le fait qu’une décision de condamnation va intervenir que les enjeux se compte parfois en dizaine d’années de prison. Dans ce contexte, il est très difficile de savoir si une proclamation d’innocence ou l’expression de regret sont sincères ou sont une simple posture en vue de faire bonne impression sur les juges.
La justice réparatrice propose aux personnes concernées par la commission d’une infraction, qu’ils soient victimes, auteurs ou entourages, des rencontres encadrées entre l’auteur de l’infraction et la victime ou entre condamnés-victimes d’infractions de même nature mais qui ne sont pas concernés par les mêmes affaires. Dans ce type de proposition l’objectif n’est pas la recherche de solution mais de permettre à chacun des participants de prendre conscience des conséquences et des répercussions de l’acte criminel en vue d’aider à la reconstruction de la victime et de participer à la resocialisation de l’infracteur et donc au rétablissement de la paix sociale.
En France c’est la loi du 15 août 2014 mise en œuvre par une circulaire du 15 mars 2017 qui fait rentrer la justice réparatrice dans le droit positif (Article 10-1 du Code de Procédure Pénale).
- À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.
- L’auteur doit avoir préalablement reconnu les faits, son implication et sa responsabilité.
- Tous les participants doivent être volontaires et manifester leur accord par écrit.
- Les participants peuvent quitter le dispositif à tout moment.
- La procédure restaurative n’a pas d’incident sur la réponse pénale, ni sur l’exécution de la peine.
- La mesure est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Ce tiers doit préalablement donner aux intéressés toutes les informations utiles sur les règles et le déroulé du processus.
- La teneur des échanges restent confidentielles.
En 2021 se sont déroulé en France :
-37 MR. (rencontres entre l’auteur et la victime)
-1 RCV. (Rencontres condamnés victimes n’étant pas concernés par les mêmes affaires)
-1 CSR (cercle de soutien et de responsabilité)
Les chiffres pour 2022 sont du même ordre.
Les mesures mises en œuvre concernent essentiellement des faits d’une grande gravité.
La plupart des 39 mesures de justice restaurative ayant eu lieu en 2021 ont été organisées dans quelques départements (Seine et Marne, Réunion, Drôme) Cette situation a des causes multiples auxquelles il pourrait être remédier par un investissement réel de l’institution judiciaire.
Pour que les mesures de justice réparatrice soient mises en œuvre il faut que le public concerné soit informé. Lorsque l’information est donnée elle produit ses effets. Sur 100 entretiens d’information menés, 53 personnes ont manifesté leur intérêt.
Une documentation assez abondante, notamment en provenance des pays anglo-saxons, permet de prendre la mesure des enjeux de la justice restaurative.
La mise en œuvre de ces dispositifs a-t-elle un impact sur la récidive ? Certaines études ne relèvent qu’une diminution minimum du taux de récidive. Une méta-analyse réalisée en 2007 a mis en évidence un impact positif avec des taux de 25% à 84% plus élevés que la justice pénale concernant la non-récidive
Témoignage de Marie José Boulay
co-fondatrice de l’association d’Aide aux Parents d’Enfants Victimes (APEV)
Toute évaluation des pratiques de justices restauratives doit nécessairement s’intéresser à la façon dont elles sont vécues par les intéressés. Marie José Boulay co-fondatrice de l’association d’Aide aux Parents d’Enfants Victimes (APEV) ayant participé à un programme de justice restaurative a été entendu comme expert par la conférence de consensus pour la prévention de la récidive organisée en 2013 par le ministère de la Justice :
« Pourquoi avoir accepté de participer à ces rencontres ?
Pour moi, c’était aller jusqu’au bout d’un long processus qui a débuté avec l’assassinat de ma fille. Pourtant je ne souhaitais pas rencontrer son meurtrier, car je ne croyais pas à la possibilité d’un dialogue sincère et constructif avec lui.
Mon objectif principal était la lutte contre la récidive. Je voulais aussi tenter de comprendre comment on peut arriver à un tel acte, s’il était parfois possible d’arrêter le processus infernal qui conduit au passage à l’acte.
S’agissait-il d’une démarche de pardon ? Aucunement. Je n’avais aucun lien avec les détenus, la question du pardon n’avait donc pas de sens.
Contrairement à ce qui peut se passer dans le cadre du processus pénal, ces rencontres ne doivent avoir aucun autre enjeu qu’une volonté de progression personnelle de part et d’autre. Les détenus que nous avons rencontrés n’ont donc bénéficié d’aucune mesure particulière.
Il ne s’agissait pas non plus de « pleurer ensemble » sur nos souffrances respectives mais d’accepter d’avancer ensemble personnellement.
Mes appréhensions étaient grandes. Cette rencontre n’allait-elle pas être vaine ? N’allait-elle pas raviver inutilement des moments pénibles, m’obliger à un retour en arrière régressif alors que j’avais retrouvé un certain apaisement, que je menais une vie normale ?
Je me posais mille questions : et si le dialogue ne s’instaurait pas vraiment, s’il restait à un niveau formel sans implication véritable, sans sincérité ? Si les détenus tentaient de nous manipuler ?
Il y eut des moments difficiles des deux côtés, les détenus prenant conscience, au fur et à mesure des récits des victimes, de la réalités des ravages causés par un acte semblable à celui qu’ils avaient commis. Comme ils nous l’ont dit par la suite, la souffrance de leur propre victime se concrétisait.
Raconter leur histoire était très difficile pour eux. Ils racontaient les faits dans les grandes lignes, n’osant s’aventurer dans les détails, en particulier en abordant le passage à l’acte.
Nous les remettions face à leur acte ce qui était violent pour eux. Nous apprenions leur propre souffrances les dégâts causés dans leur famille. Nous avions conscience d’être très inquisitrices, alors qu’eux n’osaient pas, ne se donnaient pas le droit de nous poser des questions. Mais nous sentions bien qu’ils avaient beaucoup d’interrogations. Sur notre insistance ils osèrent, dans les réunions suivantes nous interroger sur ce qui les intriguait, notre vie, notre famille, comment on vivait après. Et finalement le dialogue s’est instauré beaucoup plus facilement que tous le redoutaient.
Ce qui m’a fait douter de ma place dans ces rencontres ? Je n’avais pas prévu que le dialogue puisse s’instaurer si facilement. Après les trois premières réunions, je me suis dit que c’était trop facile, je me suis demandé où j’allais. N’avais-je pas trop vite oublié que j’avais en face de moi des criminels ? Que penseraient de ses rencontres leur propre victime ?
J’avais face à moi des jeunes hommes pas des criminels. Une relation de confiance s’était établie. Leurs actes avaient été monstrueux, mais ils les assumaient pleinement, faisaient des efforts pour leur réinsertion. Cela valait la peine de continuer.
La troisième rencontre a marqué un tournant. L’atmosphère s’est détendue, la parole de chacun s’est vraiment libérée, avec beaucoup de sincérité. Il y a même eu des instants de réelle complicité. Les visages des détenus avaient changé.
Les maîtres mots pour moi, de ces rencontres sont l’empathie et l’humanité. Mais les discussions n’auraient pas été aussi riches, n’auraient pas permis d’avancer autant, sans une volonté de sincérité de la part de tous les participants. Cela ne veut pas dire que tout ait été dit. Il reste certainement des zones d’ombre, mais chacun a accepté de briser sa carapace. Cette volonté de sincérité ne va pas sans une grande confiance mutuelle, y compris entre les détenus.
J’ai retiré de cette expérience des bénéfices personnel que je n’attendais pas du tout. A travers ces rencontres, j’ai réalisé que nombre de questions qui restaient après le procès, qui ne concernaient pas la justice et qui se réactualisaient autour d’un fait divers, resteraient sans réponse. Le fait que ce soit les détenus eux-mêmes qui me le disent m’a permis de l’accepter.
Aucun des détenus n’a cherché à excuser son acte, ils se responsabilisaient tout le temps. Ils refusaient de se plaindre. Mais j’ai pu découvrir leur propre souffrance et les dégâts causés par leur famille.
Je n’avais pas imaginé qu’ils redoutent tant leur sortie de prison. Ils ont peur, peur de l’extérieur, mais aussi peur d’eux-mêmes. Ils souhaiteraient pouvoir trouver en dehors, un endroit comme le cadre de ces rencontres, où ils puissent être faibles, dire tout ce qu’ils ont enfoui pendant des années, et même avouer des choses horribles comme « j’ai eu envie de recommencer ». Notre société a peut-être une vision trop matérielle de la réinsertion, travail, hébergement, négligeant le besoin de relations sociales et de soutien moral.
Les deux autres victimes participantes comme moi-même, nous sommes focalisées sur ces terribles instants. Il nous aurait été inconcevable de ne pas en parler. Selon les détenus, cela a été vraiment très dur pour eux, mais au final très bénéfique. Cela leur a permis de prendre pleinement conscience de leur acte et de ses conséquences, d’oser le regarder en face, de libérer des sentiments enfouis, puis d’amorcer leur restauration selon les termes de l’un d’eux, de pouvoir se sentir à nouveau un être humain, une personne responsable et digne ».
Le film « je verrai toujours vos visages » se termine par l’affirmation que la justice restaurative est un combat. Faire reculer la délinquance, faire baisser le taux de récidive, contenir la violence, ne pas abandonner les victimes dans leur « condition diminuée » suppose que l’on mobilise les moyens matériels et humains indispensables à la poursuite de ces objectifs. Le bla-bla sécuritaire n’y suffira sûrement pas.
Jean-Luc Rivoire, mise en ligne mai 2023
Peintures de Barnett Newman