Malgré les paroles du Pape sur les migrants, le curé est le pape dans sa paroisse !
Un village bourguignon, un presbytère vacant, une famille migrante d’Europe de l’est, déboutée de l’asile, à la rue…Nous sommes en février 2018.
Des membres de la Cimade et d’une association de soutien aux migrants qui sollicitent alors l’évêque et le prêtre chargé de la paroisse habitant ailleurs : un accord est trouvé pour héberger cette famille dans une partie de ce presbytère vacant… C’est généreux !
La famille est catholique et participe à la vie paroissiale.
Un peu plus d’un an après, un prêtre venant d’Afrique de l’Ouest est nommé comme curé de cette paroisse et il est prévu qu’il partage sur une commune environnante le logement du prêtre qui assurait la vie sacramentelle. Cela ne dure pas longtemps ainsi. La situation ne lui convient pas. Il veut son presbytère 150 m2 pour lui !
La famille d’exilés est sommée de quitter les lieux dans l’été…Une réunion avec le prêtre et quelques membres de l’EAP confirme cette décision. Un collectif citoyen déjà en place se mobilise, une famille propose d’héberger temporairement pour l’été ces personnes. La mobilisation aboutit au fait de trouver un logement dans le village, une maison avec un bout de jardin… Ce logement sera loué par l’association départementale de soutien aux migrants, sous la condition que le réseau local puisse assumer le cout du loyer : 500€ /mois. Ce fonctionnement dure depuis 3 ans. Ainsi outre l’aide financière pour le loyer, c’est aussi l’accompagnement qui est réalisé dans les diverses démarches administratives : sécurité sociale, aide médicale état, complémentaire santé, et au quotidien accompagnement pour les divers déplacements notamment médicaux, la recherche de petits boulots rétribués, l’aide au paiement des timbres pour les titres de séjour, les dons de nourriture… Les parents viennent d’obtenir fin juin leur premier titre de séjour… Ce réseau citoyen accompagnant est composé de chrétiens et de nombreux non chrétiens. Quel exemple de générosité, de solidarité, de rencontres et découvertes ! Et ces personnes étrangères ont ainsi fait par leur présence, se rencontrer des personnes de divers horizons qui ne se connaissaient pas toutes… Il y a eu contagion….
La famille exilée ne participe plus à la vie paroissiale et plusieurs chrétiens du groupe accompagnant ont pris leur distance avec la paroisse. L’évêque alerté n’a pas pu faire changer la situation, le curé étant, semble-t-il le pape dans sa paroisse. Quelque peu gêné, la paroisse a versé à l’association une fois et une seule le cout d’un loyer à la demande du vicaire épiscopal chargé des migrants. Depuis les contacts avec la paroisse sont rompus.
Autre exemple, quand un diacre chargé de la solidarité prend contact avec l’association de migrants pour demander la libération d’un logement mis à disposition de l’association en cœur de ville pour y héberger des jeunes exilés… Libération exigée pour la fin de l’été pour y loger deux prêtres africains arrivant sur le diocèse. Le diacre, interpellé ne trouve rien d’autre à dire que l’on ne peut accueillir toute la misère du monde et qu’il s’agit d’un lieu d’hébergement à vocation ecclésiale….
Des migrants mettent dehors d’autres migrants pourrait-on penser ? Mais non, pas du tout, ceux-là sont plutôt des expatriés qui viennent pour combler le déficit de prêtres sur le territoire. Les prières continuelles pour les vocations ici semblent inefficaces. Car le système est fait de telle manière, immuable semble-t-il pour au moins un temps encore, qu’il faut à tout prix un prêtre par paroisse. Alors, tout comme dans les années 50-70 les patrons des grandes industries allaient chercher de la main d’œuvre pas chère dans les pays du Maghreb ou en Turquie, les diocèses vont chercher des prêtres en Afrique subsaharienne et ailleurs…
« Des contre témoignages qui blessent d’abord les chrétiens engagés auprès des migrants. »
Et Dieu dans tout ça ? L’église, la paroisse et ses paroissiens sont-ils convertis à l’évangile de Jésus Christ au point de se rappeler que nous ne sommes jamais quittes avec l’accueil de l’autre ? Non, et c’est pourquoi ces exemples ci-dessus sont des contre témoignages qui blessent d’abord les chrétiens engagés auprès des migrants, qui espèrent encore une église où les exclus, les migrants, les handicapés et les malades, les sans… soient au centre.
« La débauche de générosité de l’étranger samaritain de la parabole, enseigne qu’on n’est jamais quitte avec la charité. La charité nous presse, oblige. Tant pis si cette morale judéo-chrétienne nous culpabilise. Que voulez-vous, quand le frère crève, est-ce le moment de dire : ‘désolé, mec, j’ai déjà fait assez, j’ai déjà assez aimé.’ La charité ne peut être qu’excessive, débauche. L’amour ne se vit pas en mode mineur, en mode rigueur ou austérité budgétaire », Patrick Royannais (1).
« Agis de telle sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain. Sois malin, débrouille-toi à ce que tous trouvent en toi un prochain. Ce n’est pas à toi de choisir ton prochain, parce que tu éliminerais ton lointain… qui est tout autant prochain » (Patrick Royannais).
François, le Pape, a beau appeler à temps et contre temps cette nécessité de nous ouvrir à l’accueil des réfugiés, à poser des actes en ce sens… Cela ne semble pas être reçu dans les diocèses. Certes, il n’est que le pape ! Ainsi, l’église institution est bien timide pour dire et vivre cette exigence évangélique… D’autant quand les votes aux diverses élections, notamment en rural donnent une très large majorité aux idées d’extrême droite et qu’un pourcentage conséquent de paroissiens vote ainsi… Il y a, semble-t-il, des sujets qu’il ne faut donc pas trop évoquer au risque de perdre un peu plus de paroissiens et de dons au denier de l’église.
Dernier exemple où un curé sollicité pour héberger une famille exilée, met généreusement à disposition un appartement au presbytère, demande que la famille soit présentée à tous lors de la messe dominicale. « Que dirait une famille qui loge quelqu’un, si celui refusait de partager un de ses repas ! » et insiste pour que les enfants aillent au catéchisme alors que la famille est pentecôtiste. Qu’en est-il là de la gratuité, du sans condition de l’amour de Dieu pour chacune, chacun ??
Et moi dans tout ça, tel le colibri j’essaye de faire ma part. J’anime un réseau local auprès de personnes ou familles exilées et en soutient d’autres. Je suis aussi membre de la Cimade et accompagne en équipe des personnes migrantes dans leurs besoins de démarches administratives et juridiques. Tentant de vivre de l’évangile, mon église n’est plus vraiment la paroisse. Comme de nombreux chrétiens je l’ai quitté, blessé, sur la pointe des pieds… Mes liens d’église-hors église sont ailleurs, dans des groupes formels et informels où l’on partage l’évangile, dans d’autres collectifs et associations avec des chrétiens et non chrétiens qui mouillent leur chemise dans ces agirs solidaires. Cela donnant sens, ils y trouvent l’énergie de le faire, ce qui n’empêche pas la fatigue et le découragement à certains moments, tant la tâche est immense. Mais je suis en permanence étonné par la disponibilité et l’engagement de ces citoyens. Cela m’emplit de gratitude ! Ce sont eux incroyants et croyants qui révèlent ce que c’est que vivre l’évangile, bien loin des bonnes paroles et des catéchismes.
Philippe Simon-Côte, novembre 2022
Peinture de Bruno Briatte
1- Patrick Royannais est prêtre et théologien, auteur du livre : Et tu ne rponds pas, une théologie de la prière - Salvator 2021. / Retour au texte