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Fidèle malgré tout
Marité Delalande

Bien des croyants sont découragés par l'Eglise. Beaucoup s'en vont en silence. Lorsqu'ils demeurent malgé tout - c'est le cas de Marité - il est important de les écouter.

(3) Commentaires et débats


L'Eglise de ma Bretagne natale

Marité,tu es à un tournant de ta vie puisque tu prends ta retraite à 62 ans et que tu quittes la région parisienne pour retourner dans ta Bretagne natale. Pourrais-tu nous retracer ton parcours en Eglise depuis ton enfance ?

C'est une entreprise un peu compliquée de balayer tant d'années. De mon enfance bretonne, je dirais que c'était une enfance très traditionnelle. J'ai vécu dans des institutions religieuses avec la messe, les confessions, les premiers vendredis du mois, les reposoirs, les processions. Je ne me posais aucune question parce que cela faisait partie sociologiquement de l'univers breton. Quand on se promenait, en processions, dans les rues de Lorient en chantant « contre le vil anglais qui avait envahi la Bretagne », on ne se posait pas vraiment de questions ; pas plus que lorsqu'on allait lancer des pétales de roses au moment de la procession de la Fête-Dieu. C'était, pour les enfants que nous étions, profondément structurant ; cela faisait partie de la vie.

J'habitais la campagne et l'opposition des deux camps - laïcs et Église - y était beaucoup moins forte que dans les villes. Mais le camp clérical avait tout ce qui fallait pour nous faire vivre : les écoles, le patronage, la croisade eucharistique, la JEC. J'ai fait le parcours classique de la petite bretonne chrétienne jusqu'au moment où j'ai été très amie avec l'aumônier du lycée laïc, à l'âge de 15 ou 16 ans. Cela m'a permis une grande ouverture.

Ensuite j'ai fait mes études d'Assistante Sociale sur Nantes. J'ai découvert tout ce qu'était la réalité sociale difficile. A l'issue de ces études, j'ai travaillé en bidonvilles à Conflans-Sainte-Honorine, en particulier avec les anciens de la batellerie. Les réalités sociales que je côtoyais m'ont nécessairement beaucoup marquée. Elles ont infléchi ma manière de vivre dans la foi.


L'Eglise d'Algérie dont je me sens très proche

Ensuite, il y a eu l'Algérie. L'expérience de l'Eglise d'Algérie m'a profondément marquée. C'était de 1972 à 1975. J'ai connu Thierry Becker, son ami Luis, Christian de Chergé. J'habitais en HLM, donc j'ai vécu une cohabitation très proche. J'ai découvert l'Algérie mais je ne dirais pas que j'ai découvert l'islam à ce moment-là. C'était un monde qui me restait très extérieur. Parce que j'étais une femme, je vivais beaucoup avec les femmes algériennes. Elles n'allaient pas à la mosquée, par conséquent ce lieu ne m'était pas accessible. J'ai davantage le sentiment d'avoir découvert un autre visage de l'Église. Une Église enracinée dans une réalité très pauvre, mais aussi de toutes petites communautés qui vivaient dans un esprit à la fois très simple et très fort. J'ai découvert aussi une vie contemplative que j'avais peu approchée jusque-là, tant chez les petites soeurs qui habitaient quelques maisons plus loin qu'à Thibharine.

Tu décris, dans ton enfance, une Eglise de chrétienté et ensuite, en Algérie, une Église de pauvreté. De l'une à l'autre comment as-tu vécu ce passage ?

J'ai rencontré des chrétiens, prêtres ou laïcs, à différents moments, qui m'ont semblé suffisamment vrais dans leur propre cheminement pour que je ne vive pas ce passage comme une rupture. J'ai l'impression de ne rien avoir renié de ce que j'ai reçu depuis l'enfance mais d'avoir vécu des rencontres qui m'ont aidée à faire du tri. Ma foi a mûri en me défaisant de beaucoup de choses, certes ; mais le changement s'est fait progressivement. Je crois que tous les cheminements que l'on peut faire viennent du fait que l'on croise des gens qui te donnent envie d'aller voir.


Aujourd'hui l'Eglise ne me porte plus.

Entre l'Eglise de ton enfance et celle d'Algérie, malgré des formes très différentes, tu dis une continuité. Dirais-tu que tu vis une rupture vis-à-vis de l'Eglise maintenant ?

Certes ! La plus grande rupture c'est d'avoir conscience que ce n'est pas l'Eglise qui me porte actuellement. Cette question est grave parce que je crois qu'il est difficile de vivre dans la foi sans une communauté d'Eglise. J'ai cependant le sentiment que ce n'est pas elle qui me nourrit d'abord. Si je veux continuer une recherche de foi il faut que je me mette sur le bord et surtout pas rester dedans. Avant, j'avais le sentiment, qu'à l'intérieur d'un cadre qui était défini - que ce cadre soit plus ou moins accepté - il y avait toujours matière à trouver une nourriture. Je pense aujourd'hui que, si l'on doit trouver, c'est en dehors ou très à côté parce que sinon on ne peut pas.

Pourquoi ne peux-tu pas ?

Parce que tu ne peux plus respirer du tout. Même si tu ne protestes pas - ce qui est mon cas, en effet je ne proteste plus - tu es quand même accablée. Cet accablement qui te prend au corps est très paralysant. Ce qui m'accable c'est un certain climat. Je trouve aussi qu'il n'y a pas de vision prophétique. Je veux bien qu'on nous parle de la tradition en permanence - je me considère d'ailleurs comme héritière d'une tradition - mais cela ne suffit pas. Je suis héritière d'une tradition pour un avenir de l'Eglise, les deux en même temps. Cela ne m'intéresse pas d'être héritière d'une tradition si ce n'est pour faire vivre un avenir. Or cet aspect, je ne le vois pas bien actuellement. Quand on t'accable d'encens, de génuflexions, de sonnettes, ce ne sont peut-être que des détails mais qui pour moi manifestent un état d'esprit qui est bien plus lourd. Si on n'arrive pas même à en parler, on devient un peu las. Je considère que c'est un des points les plus difficiles et encore plus difficiles pour des jeunes ; vont-ils se précipiter sur ce balancier ? Personnellement, cela ne me gêne pas que l'on revienne à une démarche de spiritualité beaucoup plus affirmée, à condition que l'on ait affaire à des personnes qui soient réellement ancrées dans une réalité, dans une humanité et qui sont capables de prendre des problèmes à bras le corps tels qu'ils se présentent. Je veux bien qu'on me parle du ciel si celui qui m'en parle sait bien ce qui se passe par terre.

Un des aspects qui me gêne le plus actuellement, c'est que l'Église vitupère beaucoup, invective beaucoup contre une sorte de monde mauvais, mais que fondamentalement elle ne l'aime pas beaucoup. Je crois qu'on ne peut pas avoir un discours d'évangélisation - comme on dit - pour un monde que l'on trouve foncièrement mauvais, même si l'on s'en défend.


Ce qui n'est pas humain ne peut être chrétien

A une époque encore récente, tu as travaillé dans un service d'hôpital où l'on traite des grands malades du sida. Tu as été en contact avec la souffrance extrême. Était-ce pour toi une expérience de foi ? Comment cela forge ton expérience évangélique d'aujourd'hui ?

Paradoxalement je n'ai jamais autant entendu parler de foi que lorsque je travaillais avec les malades du sida. Quand on est tout près de la mort on n'a plus tellement de mots, on a un temps particulièrement raccourci pour tenter d'exprimer l'immensité de sa souffrance. Je crois que je n'ai jamais autant gardé le silence qu'en ces moments-là ; et je n'ai jamais autant entendu parler de Dieu et de la foi. Cette expérience m'a ancrée dans le fait que ce qui n'est pas humain ne peut pas être chrétien. Une foi, quelle qu'elle soit, nous somme de grandir en humanité. J'y ai appris beaucoup ; des peurs aussi m'ont été enlevées. La peur, par exemple, de s'approcher de l'extrême souffrance. Je n'ai plus peur du grand silence non plus. Ces personnes en très grande souffrance m'ont permis de découvir que l'absence de mots ne veut pas dire l'absence de communication. Quand on est très proche de personnes qui vont mourir, on apprend aussi à aimer davantage sa propre vie y compris son propre désir de vivre.


Renouveler le langage de l'Eglise

Penses-tu que la parole de l'Evangile risque d'être cachée par un discours moralisateur de l'Eglise ?

Il y a des éléments du discours de l'Eglise qui me conviennent complètement, tout ce qui est de l'accueil inconditionnel, de la reconnaissance de ce qui peut faire vivre. Cependant, j'ai toujours fait abstraction du discours de l'Eglise sur l'homosexualité par exemple - à ce moment-là les malades que je côtoyais étaient essentiellement des homosexuels. D'une manière générale, je ne suis pas contre un discours de morale, loin de là. Mais je pense que ce type de parole doit d'abord se poser sur un discours « d'humain ». Mais dans mon travail, je ne m'y réfère pas. Je dois dire que je ne m'en inquiète pas ; je ne m'en inquiète plus parce que je ne sais pas si c'est un discours de vie. Si c'en est un, je l'entends complètement, y compris un discours de vie jusqu'à la mort. Si c'est autre chose, je ne suis pas sûre que cela m'intéresse beaucoup maintenant. J'ai perdu cet intérêt-là, peut-être à tort. Par exemple je ne lis pratiquement plus les encycliques du pape. Je crois que je peux m'en vouloir ; je ne lis que des extraits. Mais j'ai le sentiment que quelque part cela ne me concerne plus et j'en suis désolée. Je crois que je pourrais aimer, sur certains sujets, le fond mais que je n'aime plus du tout la forme. Je pense qu'il serait urgent de renouveler le langage de l'Eglise. Il y aurait un énorme travail à faire de remise à plat du vocabulaire que, personnellement, je ne trouve pas adapté. C'est épidermique, je ne supporte plus ce langage même si pour moi ce pourrait être par ailleurs audible.

Je n'aime pas non plus la façon dont l'Eglise communique. Elle le fait par un certain nombre de prises de positions dans un langage qui me semble inadapté. En même temps, lorsque ce qui est dit est souvent mal compris ou déformé - à tort ou à raison - elle s'enferme uniquement dans un discours de victimisation tel que « les média n'ont pas compris » ou « on ne connaît pas la grandeur du mystère de l'Eglise. » Je pense que s'il s'agit d'une Eglise pour le monde il faut que ce soit autrement dit. Je n'aime pas non plus cette difficulté à se remettre en question. Une Eglise de pécheurs, qui peut faire des erreurs aujourd'hui aussi - et pas seulement qui fait des actes de repentances pour le passé c'est-à-dire pour les autres - cela devrait pouvoir se reconnaître. On n'est pas dans l'infaillibilité tout le temps ; il faudrait ne pas craindre de le faire savoir. Et cette façon de dire que si tu poses une question tu sapes l'unité ou tu ébranles quelque chose ne me paraît pas vrai. On veut te faire croire qu'en agissant ainsi tu n'aimes pas ton Eglise ; or ce raccourci-là me semble bien court... en tout cas en ce qui me concerne.


J'ai découvert la violence dans l'Eglise

Mais en même temps tu ne veux plus poser de questions parce que tu en as assez ?

Ah oui j'en ai assez. J'ai vraiment le sentiment que cela ne sert profondément à rien d'une part, qu'on risque d'être pris dans un processus très violent d'autre part. En effet, j'ai découvert aussi la violence à l'intérieur de l'Eglise, une violence que je ne pouvais pas imaginer. Je trouve que les blessures d'Eglise sont des blessures très fortes dont on ferait bien de se soucier. En général, ce n'est jamais l'Eglise qui s'en soucie. Ce sont des blessures dans le sens de la non reconnaissance de ce que tu peux dire et donc de ce que tu peux être ; puisque tu n'es pas dans le moule préétabli, tu es profondément exclu. Tu n'es pas simplement non reconnu, tu vis un vrai sentiment d'exclusion, tu n'existes plus. Je trouve que c'est une violence majeure.

Je t'ai vue participer à la liturgie, animer des célébrations de l'Eucharistie, du mariage, de la naissance et de la mort. Je t'ai vue contribuer à chanter le mystère chrétien. Tu arrives à Dinard, qu'attends-tu ou que crains-tu ?

Je ne suis pas exigeante, je souhaiterais trouver un lieu où je puisse ne pas être trop malheureuse quand je vais à la messe, où j'entende, de temps en temps, des paroles dans une homélie que je vais prendre et qui vont m'aider à chercher mon propre chemin. Je n'attends pas de me faire embrigader dans quoi que ce soit. J'ai eu le sentiment aussi, et je trouve que c'est une violence, de me faire exploiter à certains moments dans l'Eglise, sans avoir de retour ; du style « tu fais et tu te tais ». Je n'ai pas envie de continuer cela. J'ai envie de rencontrer des croyants qui ont des démarches différentes de la mienne mais qui peuvent aussi accepter la mienne comme moi la leur.


Un combat inutile

Ce que tu désires pour demain l'as-tu trouvé hier ?

Je l'ai trouvé à certains moments de ma vie mais je le trouve trop rarement maintenant. Je n'ai pourtant pas le sentiment de demander des choses extraordinaires. Dans une eucharistie, par exemple, j'aime bien quand des textes sont bien lus, quand il y a un beau chant, quand l'homélie me rejoint. Cela me suffit. Je demande surtout que les choses puissent se faire paisiblement. Je ne demande pas la bataille, surtout pas la bataille.

As-tu l'impression qu'autour de toi, des personnes qui avaient un peu la même sensibilité que toi ont cessé de se battre ?

Ah oui. Comme moi, elles pensent que c'est un combat inutile. Je ne suis pas sûre que l'avenir de l'Eglise passe, aujourd'hui, par les paroisses telles qu'elles sont. Je ne sais pas, pour autant, par où cela peut passer. J'ai le sentiment qu'il faut toujours se déplacer pour que quelque chose puisse advenir de nouveau.


Des théologiens de plus en plus médiocres

Pendant un moment on disait que l'avenir était davantage dans de petites communautés. Mais il semble que ces équipes aussi ont bien du mal à vivre.

J'ai trouvé cela dans un groupe d'amis avec les « ateliers de la foi » organisés par le Centre d'Etudes Théologiques A Distance (CETAD). Pendant un certain nombre d'années j'ai fait partie d'une équipe d'accompagnateurs ; elle représentait vraiment pour moi un lieu de recherche et de fraternité. Mais en même temps je m'inquiète aussi beaucoup pour l'avenir ; car le CETAD est en train de dire à ses ateliers de rentrer dans le giron des paroisses. Concrètement il est demandé, par exemple, d'aller chercher le curé de la paroisse pour la célébration annuelle de fin de parcours. On nous dit que cela permettra une « validation d'Eglise ». On peut le comprendre. Mais on voit aussi que tout ce qui a été à la marge et a permis une grande liberté est ainsi sommé de rentrer dans « le convenu ». On risque d'y perdre non seulement la liberté d'expression mais les chrétiens qui étaient heureux d'avoir cette liberté. Ces équipes étaient un lieu d'Eglise où on pouvait parler y compris de son malaise sans être jugé.


Tous les rassemblements d'Eglise me pèsent

Tu disais ne pas avoir vécu de rupture entre l'Eglise de chrétienté de ton enfance et, par exemple, l'Eglise d'Algérie, pourtant fort différente. Pourquoi as-tu vécu un certains nombre d'événements d'Eglise comme une rupture depuis ?

L'Eglise de mon enfance comme celle d'Algérie étaient porteuses. Le problème de maintenant est : ta foi tu la vis où, avec qui ? C'est là que je vois la rupture. Il m'importer beaucoup de ne pas être toute seule dans une telle affaire, même si j'ai appris à vivre toute seule, y compris dans cet aspect de la foi. Mais quand même ! Tu as besoin d'avoir des gens à côté de toi avec qui, même s'ils ont une autre démarche, nous pouvons nous reconnaître ensemble croyants Je ne suis pas sûre de les trouver. D'autant plus que tous les rassemblements d'Eglise me pèsent particulièrement. Je ne vais plus depuis des années dans ces grands rassemblements. Je m'y sens complètement perdue. Bien loin de me porter cela me plombe. Je ne veux surtout pas me mettre en situation difficile dans ce genre de choses. Donc je n'y vais jamais. C'est vraiment une question pour moi que de ne pas pouvoir supporter ce genre de grandes rencontres. Je ressors de là avec un sentiment de solitude mais... tragique. Je n'ai pas envie de me mettre en danger. Quand je me suis rendu compte de cela je me suis dis : « Il ne faut pas que tu y ailles. » C'est là où je situe peut-être la rupture.


Je tiens à demeurer fidèle

Crois-tu que l'expérience que tu viens d'évoquer est révélatrice de beaucoup de personnes de ta génération?

Je pense que mon expérience en rejoint d'autres qui n'ont pas pris nécessairement les mêmes options que moi. Un certain nombre a quitté l'Eglise depuis longtemps ; des prêtres de ma génération sont partis depuis des années. Pour ma part, il est vrai que j'ai aussi une grande conscience de ce qu'on peut appeler « la fidélité ». J'ai toujours le désir de tenir cette fidélité quand je crois que cela touche à « l'essentiel ». Je sais que mon expérience rejoint la vôtre et celle de beaucoup. Je n'ai cependant envie de rien brader. Je crois qu'on est appelé à devenir profondément libres ; je n'aime pas quand l'Eglise freine cette liberté en ayant peur de ce qu'elle risque de trouver si elle ouvre la porte.

Marité Delalande, 2010

Pastel de Pierre Meneval