Les derniers mots de Jésus ce n'est pas d'aimer Dieu, c'est d'AIMER l'HOMME. Le critère qu'II donne, la marque distinctive de ses disciples, c'est qu'ils s'aiment les uns les autres. (... )
C'est si facile de parler de Dieu, d'imaginer un dieu que l'on fabrique en Le tirant de notions toutes faites, de proposer aux gens des doctrines invérifiables, de leur promettre une récompense ou de leur annoncer la fin du monde. C'est si difficile, par contre, de leur faire découvrir Dieu au cœur même de leur vie. Et c'est cela que Jésus a fait et, si nous sommes, ou si nous voulons être chrétiens, aussi loin que nous soyons, de l'être effectivement, c'est justement parce qu'en Jésus il y a un poids d'humanité unique, il y a la passion de l'homme jusqu'à la mort de la Croix. Il n'y a pas besoin d'autre chose pour attirer notre attention, pour nous convaincre, que ce poids d'humanité, que cette authenticité dans l'amour de l'homme, que cette reconnaissance dans l'homme du Règne de Dieu.
Car il ne s'agit plus maintenant de s'évader de la terre, de feindre et d'imaginer un ciel derrière les nuages ; il s'agit de réaliser en nous et de découvrir dans les autres un infini qui est inconnaissable s'il ne se réalise pas en nous. (... )
Il faut entendre tout ce qu'il y a de désespéré dans cette entreprise de Jésus-Christ : il sait que tout est perdu. Qu'il va entrer dans son agonie. Que Judas l'a vendu, que Pierre va le renier, que Jean va s'endormir. Que tous vont s'enfuir. Il sait tout cela, mais Il sait aussi que le Royaume de Dieu n'est nulle part ailleurs que dans l'homme : dans ces hommes-là, ces hommes médiocres et qui n'ont rien compris, et qui, tout à l'heure, vont l'abandonner dans son agonie, dans sa solitude et son échec.
Le Royaume de Dieu, en effet pour Lui, c'est l'homme, l'homme ouvert, transparent, généreux, l'homme qui laisse passer à travers lui toute cette vie de Dieu dont toute conscience humaine porte à son insu le trésor. Et tant que l'homme n'a pas donné cette réponse, tant qu'il n'a pas offert cette transparence, qu'il n'est pas entré dans ce rapport de générosité, le Royaume de Dieu n'est qu'un mot : il est un programme, il n’est pas une réalité.
Et c'est justement pour appeler cette réalité, pour susciter dans le cœur de ses Apôtres, au dernier moment, une correspondance et une collaboration, un consentement indispensable, c'est pour cela que Jésus est à genoux devant eux et devant toute l'humanité. Et c'est pourquoi aussi le suprême testament, c'est cet amour de l'homme, ce signe donné à ses disciples qui doivent s'aider et s'aimer les uns les autres, sous peine de ne jamais atteindre, de ne jamais devenir ce Royaume de Dieu qui est inscrit au cœur de notre cœur.
Maurice Zundel, Extraits de L’Homme, le Grand malentendu
Peinture du Tintoret