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Inégalités scolaires : le triste record de l’école française
Marie-Claude Penloup

Les problèmes de l’école tiennent une grande place dans notre pays. A-t-on raison de considérer que grâce à elle, la République laïque dispose d’un instrument efficace pour forger une société égalitaire ? Marie-Claude Penloup, une amie de Dieu-Maintenant, Professeure des sciences du langage à l’Université de Rouen, nous a proposé une synthèse des travaux sur ce sujet.

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Introduction

On se souvient de cette belle lettre qu’envoya Albert Camus à son instituteur, Louis Germain, le 19 novembre 1957, peu de temps après avoir reçu le prix Nobel de littérature, et dans laquelle il lui déclare : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. » Si cette lettre de Camus à son instituteur nous plaît tant, c’est qu’elle conte une belle histoire : celle d’un enfant pauvre méritant auquel l’école a permis de s’élever, jouant à plein son rôle d’ascenseur social, celle d’un instituteur dévoué qui a pu jouer un rôle décisif dans le parcours d’un enfant.

Cette lettre, comme tous les témoignages qui évoquent le formidable rôle d’ascenseur social que peut avoir l’école, pourrait nous confirmer dans une croyance solidement installée chez nombre d’entre nous : la croyance en une école égalitaire qui donnerait à chacun, à moyens intellectuels et efforts identiques, les mêmes chances de réussir. Et nous avons tellement le goût de l’égalité, voire la « passion » comme dit la sociologue Agnès Van Zanten (1), que nous voudrions à toutes forces faire rentrer la réalité dans ce moule rêvé.

Hélas, les faits sont têtus. Non, notre école française n’est pas égalitaire et elle est bien loin de donner à tous les mêmes chances de réussir.

L’un des systèmes les plus inégalitaires
parmi les pays riches

Année après année, les études tombent, toutes convergentes : notre école française est inégalitaire, elle est même parmi les plus inégalitaires des pays de l’OCDE.

Louis Maurin, directeur de l’observatoire des inégalités, expliquait ainsi en 2011 dans le magazine Alternatives économiques (2) : « Sur les 81 élèves entrés à l’Ecole nationale d’administration (Ena) en 2009, seuls quatre avaient un parent ouvrier. En troisième cycle à l’Université, les fils et les filles d’ouvriers ne sont pas mieux lotis : ils ne représentent que 4,5 % des doctorants. Ces inégalités sociales ne commencent pas dans l’enseignement supérieur : elles sont au contraire le résultat d’un processus observable dès la petite enfance. Ainsi, en sixième, le score moyen en mathématiques des enfants de cadres est déjà supérieur de 16 points à celui des enfants d’ouvriers. » Et le directeur de l’observatoire des inégalités poursuivait : « Le caractère inégalitaire de l’école française n’est pas nouveau. Ce que l’on mesure en revanche de mieux en mieux, c’est que le système hexagonal est l’un des plus inégalitaires parmi les pays riches. »

Cette analyse est corroborée par les résultats les plus récents de l’enquête internationale PISA (Programme International pour le suivi des acquis des élèves) effectuée tous les trois ans dans le monde par l’OCDE (Organisation de coope´ration et de développement e´conomiques). L’enquête se concentre sur quelques domaines clés : les sciences, la compréhension à l’écrit et les mathématiques. L’enquête de 2015 a concerné 540 000 élèves, représentatifs des quelque 29 millions d’élèves âgés de 15 ans scolarise´s dans les 72 pays.

La France se situe au niveau de la moyenne de l'OCDE dans l'enquête PISA , que ce soit en culture mathématique, en culture scientifique ou en compréhension de l'écrit. Le score en mathématiques s'est dégradé par rapport à celui de 2003. Mais au-delà de résultats dont la médiocrité interroge, ce sont les inégalités qui frappent les observateurs et l’accentuation de l’écart entre élèves selon leur origine sociale, leur pays d’origine, leur établissement qui font de l’école républicaine française la championne des inégalités pour les pays développés de l'OCDE.

La note du Conseil National du Système d’Evaluation Scolaire (CNESCO) du 6 décembre 2016 (3) fait ainsi ressortir, comme toutes les autres analyses, avec quelle « constance » « la France se présente en tête des pays de l’OCDE pour son déterminisme social à l’école » :

« Les derniers résultats de PISA démontrent une fois de plus le haut niveau des inégalités sociales dans l’école française. En effet, dans PISA 2015, la France compte parmi les pays de l’OCDE où la corrélation avec le milieu socio-économique est la plus forte (20 % en France, contre 13 % en moyenne dans l’OCDE).

En France, 40 % des élèves issus d’un milieu défavorisé sont en difficulté (contre 34 % dans la moyenne de l’OCDE).

La différence de score en sciences entre les élèves des filières générales et ceux des filières professionnelles est plus marquée en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Elle s'élève à 43 points en France, après prise en compte de leur milieu socio-économique (contre une différence de 22 points en moyenne dans les pays de l’OCDE).

Dès le primaire, les difficultés scolaires se retrouvent aussi particulièrement dans les écoles qui concentrent les publics les plus défavorisés socialement.

(...) Les deux enquêtes internationales comme les enquêtes nationales confirment la difficulté de l'école française à faire réussir les élèves issus de l’immigration.

Le tableau produit par l’OCDE suite à l’analyse des données en 2009 illustre bien le poids du milieu social sur le score en compréhension de l’écrit avec 51 points pour la France contre 38 pour la moyenne de l’OCDE (voir tableau ci contre).

Poids très visible aussi en ce qui concerne les mathématiques comme l’analyse la note de Trésor-Eco de janvier 2019 (4) qui pointe « la progression de la corrélation entre la performance en mathématiques et l’origine sociale en France, alors qu’elle est restée stable en moyenne OCDE » et une progression nette de l’anxiété face aux mathématiques qui touche inégalement les élèves selon leur origine sociale : « les élèves sont d'autant plus anxieux face aux mathématiques qu'ils sont d'origine sociale modeste et ce niveau d'anxiété a sensiblement progressé en France (comparativement à la moyenne des pays de l'OCDE) depuis 2003 pour les élèves d'origine modeste. »

D’où viennent les inégalités scolaires en France ? Le poids de l’élitisme

Les raisons qui expliquent les résultats médiocres de l’école française sont nombreuses et l’on peut citer, parmi celles-ci, la formation des enseignants et en particulier le déficit de formation continue mais aussi la faible part du travail collaboratif au regard des autres pays de l’OCDE ou encore l’absence d’attractivité du métier d’enseignant. Mais comment expliquer un poids aussi fort des inégalités sociales en France au regard des autres pays riches alors même que, comme le souligne Louis Maurin (5), « la société française est loin d’être la plus inégalitaire parmi ces pays du moins si l’on en juge par les disparités de revenus » ? Un premier faisceau d’explications est à trouver, selon lui, dans certaines caractéristiques spécifiques de la société française : le poids très important du chômage, qui fragilise certaines familles, le surpeuplement du logement, l’impossibilité pour certaines catégories de populations d’offrir à leurs enfants des cours privés, en complément des cours reçus à l’école. Un élément décisif tient aussi à une ségrégation sociale croissante au niveau des territoires qui limite de plus en plus la mixité sociale dans les établissements et fait que : « les bons élèves se retrouvent de plus en plus souvent dans les mêmes établissements et les mauvais dans d’autres. Or, on sait que lorsque mauvais, moyens et bons élèves sont réunis dans les mêmes classes, c’est un puissant facteur de progrès pour les plus faibles. » L’assouplissement de la carte scolaire ne fait que renforcer la ségrégation scolaire et tout le monde n’accède pas aux stratégies élaborées qui permettent d’obtenir une place dans les établissements ou classes les plus prestigieux.

A côté de ces facteurs d’ordre externe, il faut citer aussi les facteurs liés au système scolaire français parmi lesquels la dévalorisation des savoirs professionnels et techniques au profit des savoirs académiques mais aussi, et peut-être surtout, un goût de l’évaluation et de la compétition qui confine en France au fétichisme. La recherche forcenée de la création d’une élite, via les options, les sections spécialisées, le système des classes préparatoires etc. se paie au prix fort pour ceux qui ne font pas partie de l’élite. La recherche de l’excellence s’accompagne en effet d’une valorisation de la compétition qui laisse sur le côté les plus faibles ou les moins intégrés au système, au détriment, au bout du compte, d’un apprentissage de la démocratie et de la coopération. C’est ce que dénonce le politologue Loïc Blondiaux (6) qui pointe « la distance que l’on voit aujourd’hui entre l’arrogance des élites sur-sélectionnées et sûres d’elles-mêmes et la souffrance en miroir de ceux qui ont échoué dans leur scolarité » :

« (à l’école) On apprend à se comporter en individu compétiteur égoïste ; on ne développe pas l’esprit de coopération, le travail de groupe. (...) on survalorise ceux qui réussissent et se conforment à des modèles d’imitation de ce qui existe déjà. On ne favorise pas les capacités d’invention. Et on crée beaucoup de frustration, de sentiment d’illégitimité, de défiance à l’égard de soi-même et des autres en poursuivant cette pédagogie ultra compétitive, ultra individualiste, qui insiste sur les performances et les savoirs abstraits au détriment des savoirs d’expérience.

La conséquence, aux yeux du politologue, est une fracture sociale et un sentiment d’illégitimité qui explique pour partie, selon lui, la crise des « gilets jaunes » aujourd’hui : « Cette question revient en permanence sur les ronds-points : « Vous ne nous reconnaissez pas », « Vous ne nous considérez pas », « On va vous montrer ce dont nous sommes capables »… Le sentiment d’illégitimité est ainsi retourné en rejet des élites et constitue un des nœuds de la crise actuelle. »

Ainsi, si l’on s’interroge sur le caractère objectivement très inégalitaire de l’école française, on bute nécessairement sur cet élitisme qui la caractérise et sur lequel la philosophe Chantal Jacquet (7) invite à s’interroger dans une formule lapidaire : « L’excellence n’est au fond que l’autre nom de l’exclusion. »

Conclusion

Regarder en face le caractère profondément inégalitaire de l’école française, ce n’est pas occulter l’énergie qui se déploie en de multiples endroits, ni nier l’existence de belles histoires d’ascenseur social. Mais c’est accepter de ne pas se payer de mots, de ne pas croire au mythe rassurant d’une école républicaine traitant à égalité tous les enfants de France et comprendre en quoi notre goût de l’excellence et de l’élitisme a une lourde responsabilité dans cet état de fait. A chacun d’entre nous de se demander, au fond, à quelle société il rêve.

Marie-Claude Penloup
Professeure en sciences du langage à l’université de Rouen

1- Van Zanten A., 2016, « Accompagner la mise en place des réformes pour lutter contre les processus inégalitaires », entretien avec F. Jarraud, en ligne sur cafepedagogique.net / Retour au texte
2- Maurin L., 29 novembre 2011, « Pourquoi l’école française est-elle si inégalitaire ? », Alternatives économiques, Hors-série n°088. / Retour au texte
3- « Ce que les enquêtes internationales (PISA, TIMMS) peuvent nous dire de l’état de l’école française », accessible en ligne :www.cnesco.fr/fr/pisa-et-timss-que-retenir-sur-letat-de-lecole-francaise / Retour au texte
4- TRE´SOR-E´CO n° 235, janvier 2019, p.5 / Retour au texte
5- ibid / Retour au texte
6- Le grand Débat national, entretien avec Loïc Blondiaux dans Télérama. Publié le 4 Février 2019 par Pierre Mansat. / Retour au texte
7- Jacquet C., Télérama, 31 janvier 2019. / Retour au texte