Il y a la luminosité fugace des choses, cailloux, brins de paille, pans de mur, pans de ciel entre les branches. Les passages de l’air, le frisson du feuillage, l’herbe qui bouge, les flaques qui se rident, tout se montre et se dérobe.
Au loin, il y a des bruits, des cris, mais en moi le silence. Il existe plus que moi, il est comme une parole étrangère aux paroles mais évidente. Tout le monde peut m’abandonner, elle ne me lâchera pas.
Qu’on me fasse des reproches, je ne les entends guère. Si on évince en moi le silence, je le retrouve au fond du jardin ou derrière la grange. C’est de mauvaise foi qu’on le croit banni. Il habite la moindre ombre ou le pire désarroi, il dit : J’étais là. (…)
Tous ces matins qui n’arrivent pas à secouer leur nuit ou leur brume sont complices du grand silence, autant que les douleurs dont on nous cingle ou telle obscure souffrance venue de son propre chef. (…)
Je mène mes jours comme des troupeaux. Ils broutent ce qu’ils trouvent et le ruminent. Mais je fais naufrage dans le poussier du monde sans me souvenir d’y avoir vogué.
Pourtant, il y a toujours cette luminosité tremblante qui me fait face, qui me tient tête. Elle s’envole au moindre geste mais ne la voilà qu’un peu plus loin. Intouchable et inextinguible. Je ne suis pas seul au monde, il y a ce vis-à-vis. (…)
Le grand silence que j’ai toujours entendu derrière les charivaris, je m’écarte d’eux pour mieux l’entendre. Lui seul veut dire quelque chose. Tout ce qu’on voit, tout ce qui bruit, tout se tait, mais derrière le mutisme il y a ce silence de quelqu’un qui est sur le point de parler. (…)
Intime et terrible. Je tangue sur son abîme. Le mal de mer. Ne te moque pas. Tais-toi. Il met un doigt sur ses lèvres. Qui est-ce ? Patience.
Jean Grosjean
Nativité du Maître de l'Annonciation Spinola, actif vers 1310, on suppose à Florence.
1- Le Silence, in Si peu, Jean Grosjean - Bayard 2001 / Retour au texte