Un journal quotidien chrétien d'avant-garde
dans les années 30
L'Aube est servie par l'actualité, lorsqu'il paraît début 1932 ! C'est peu après la mort d'Aristide Briand, l'homme de la loi sur la laïcité de 1905, qu'il voulait et qu'il rendit d'apaisement - quoi qu'en disent les laïcistes d'aujourd'hui. « L'homme de la Séparation voulut être l'homme de la pacification religieuse. Briand avait compris la grandeur du catholicisme et la place que celui-ci tient dans la destinée française », écrivait le 12 mars1932 Gaston Tessier, secrétaire général de la CFTC, et alors co-directeur du journal. Briand fut aussi l'homme de la paix hélas éphémère de Locarno. Avec Pie XI, qui avait condamné Maurras en 1926, ce grand pacifiste fut sans doute l'homme le plus célébré par L'Aube.
Tout de suite, avec Paulette Le Cormier, Cécile de Corlieu, Jeanne Ancelet-Hustache, le journal, toujours à petits tirages mais toujours influent et très cité dans les revues de presse, défend comme une priorité le droit de vote des femmes et l'égalité hommes-femmes. Contre les sénateurs radicaux qui bloquaient tout. Et oui !!
Avec le prêtre Luigi Sturzo, fondateur du Parti populaire italien, qui a fui l'Italie fasciste, mais aussi avec Georges Bidault et Louis Terrenoire, Ernest Pezet, Pierre Corval L'Aube dénonce avec force l'agression contre l'Éthiopie, défend la République espagnole - mais condamne avec virulence les assassinats de prêtres - et, dès les premiers jours de l'avènement d'Hitler, en janvier 1933 (2) sensibilise ses lecteurs sur les crimes nazis et l'antisémitisme. C'était plutôt rare dans la presse française, cette lucidité immédiate.
Joseph Folliet, qui écrivit beaucoup dans L'Aube, tout comme Georges Hourdin, demandait d'accueillir les réfugiés juifs venus de Pologne, d'Allemagne, de Roumanie. L'ensemble de la presse catholique était plus tiède ! Et l'influence de Maurras, de son nationalisme intégral et de son antisémitisme dit « national » restait forte. L'Aube était une des principales cibles de l'Action française et de Maurrras. Les deux quotidiens polémiquaient avec une férocité qui ne se fait plus, et Maurras demanda rien moins que de tuer le directeur de L'Aube, coupable d'être favorable - comme une centaine de parlementaires - aux sanctions contre l'Italie.
Contre Munich
Hubert Beuve-Méry alertait sur les dangers menaçant la Tchécoslovaquie. Correspondant du Temps à Prague, il était aussi celui de L’Aube, qui lui ouvrit ses colonnes également après Munich.
Munich, justement. Sans jamais vouloir attaquer de front les personnes, (peut-être aurait-elle dû) en particulier Edouard Daladier, L'Aube fut sans doute le seul journal à considérer tout de suite que Munich était une trahison et n'empêcherait nullement la guerre. Le terme « munichois », très vite utilisé y est sans doute né. Bidault fustigeait la faiblesse devant l'inévitable, la lâcheté devant ce qu'il appelait l'« abîme ». C'est pour cette attitude de L'Aube que Bidault fut désigné président du Conseil national de la Résistance après la mort de Jean Moulin, en juillet 1943.
En 1939, l'association des amis de L'Aube se transforment en « Nouvelles Équipes Françaises » (la NEF) qui élargit beaucoup son cercle, et accueille notamment des protestants comme le pasteur Wilfred Monod et des juifs comme Cécile Brunschvicg, ancien membre du gouvernement Blum.
Dès l'invasion de la Pologne, le journaliste Arthur Steigler écrit à plusieurs reprises sur le « protectorat » - c'est-à-dire le ghetto juif de Lublin - et assure, le 26 mai 1940 que « les méthodes barbares » d'Hitler montrent qu'il veut exterminer physiquement tous les juifs en Pologne, en Allemagne et dans le monde entier ».
Se préparant à vivre la guerre, même si l'espérance de paix a duré très longtemps, L'Aube voulait préparer la démocratie de demain, c'est-à-dire d'après-guerre ; mais aussi l'Europe. Plusieurs de ses pères fondateurs écrivirent dans L’Aube ou en furent les amis.
Démocrate avant tout
Politiquement, L'Aube se sépare dès le départ de la droite catholique et sert de tribune aux deux partis d'inspiration chrétienne issus du Sillon. La Jeune République, qui participa au Front populaire et dont tous les députés votèrent en juillet 1940 contre les pleins pouvoirs à Pétain. Et le Parti démocrate populaire, moins « à gauche ». Mais le journal demeura indépendant, farouchement indépendant. Il fut très républicain en février 1934, accueillit favorablement le Front populaire sans le soutenir complètement, et tenta d'influencer les différents gouvernements. C'était un journal « à part ». Il se disait avant tout partisan de la démocratie.
Parmi les « plumes », outre l'équipe permanente, il faut citer un certain Charles de Gaulle, en novembre 1933, - qui expliquait comment empêcher la guerre, mais prouvait aussi qu'il n'était pas maurassien ! - mais aussi Raymond Aron, René Coty, Pierre-Henri Simon, Jacques Madaule, Etienne Borne, Julien Benda, qui éveillaient les consciences, à la fois pour rassembler contre le nazisme et le fascisme, mais aussi refonder la démocratie, et créer une nouvelle Europe, une Europe des peuples. Une phrase d'un article de Benda, le pourfendeur des « clercs », résonne aujourd'hui. « La vérité est que le peuple n'a jamais obtenu quelque chose qu'en demandant l'impossible » (21 janvier 1938). Il se plaçait dans le camp des « idéalistes » contre les « matérialistes ».
Pendant ces huit années, (jusqu'en juin 1940), L'Aube permit aussi un débat à fleurets mouchetés, mais de très haute tenue, entre des démocrates comme Paul Archambault, le philosophe Maurice Blondel, et Emmanuel Mounier, chantre d'une « révolution personnaliste » et insatisfait de ce qu'il appelait avec peu d'enthousiasme la « démocratie chrétienne ».
L'Islam, l'Algérie s'invitent souvent dans L'Aube. « Si l'Europe n'avait pas failli à sa mission spirituelle on peut prédire à coup sûr qu'elle aurait absorbé la civilisation islamique, non sans doute pour détruire ce qui en elle était humain, mais pour l'accomplir en christianisant. Qu'aujourd'hui, l'élite du monde arabe, se détournant de l'Europe, cherche son salut par un retour aux traditions de l'Islam, cela n'aura été possible que par une démission de la chrétienté. » C'est ce qu'écrivait dans L'Aube Pierre-Henri Simon le 31 mars 1937 ! L'image de l'islam était une image de paix. À méditer aujourd'hui où des pétitions présentent cette religion comme forcément violente.
Dans le dernier numéro avant qu'il ne se sabordât, L'Aube publia, le 9 juin, un magnifique article (« Au-dessus de la souffrance ») de Paul Archambault : « N'affectons pas ce stoïcisme inhumain. Logée au plus creux de notre cœur, indéracinable, il faut que notre douleur compte au contraire. Non toutefois pour une résignation et une compassion stériles. Mais pour l'accomplissement toujours plus résolu, plus farouche des grands devoirs qui nous sont proposés ; de la grande mission qui échoit une fois encore à la France et à laquelle, nous en sommes de plus en plus sûrs, elle ne faillira pas. »
Nicodème
1-L'Aube. Un journal d'inspiration chrétienne dans la tourmente et l'espérance des années 1930 (Articles choisis par Jean-Michel Cadiot)
- Janvier 1932-Juin 1936 (Editions ATF-France. 131 pages, 15 euros)
- Juin 1936-Août1938 (Editions ATF-France, 119 pages, 15 euros)
- Septembre 1938-Juin 1940 (Editions ATF-France, 205 pages, 15 euros)
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2-En fait, en 1932 il avait salué la déclaration des évêques allemands à Fulda rejetant le nazisme comme antichrétien.
« En ces jours, les évêques allemands sauvent leur pays en arrachant leurs fidèles à de nouveaux barbares », écrivait, certes pêchant par optimisme, le correspondant de L'Aube à Berlin A.H.D Savantier le15 mars 1932. / Retour au texte