L'Église, une organisation
et une structure à sauver ou à changer ?
Je tente de parler de l'Église comme organisation et structure (cette Église qui "dit que", "pense que", "veut que", "refuse que"...)
N'est-ce pas en renonçant à vouloir être quelque chose que l'Église, telle que nous en parlons couramment, se trouvera ? "Celui qui cherche à "sauver" sa vie la perdra, celui qui perd sa vie à cause de moi la trouvera..." N'est-ce pas une parole pour l'Église elle-même ? Son "péché" n'est-il pas de chercher à "se sauver", à vouloir garder sa vie telle qu'elle la définit et la complexifie de siècles en siècles ? Son "aiguillon dans la chair" n'est-ce pas de se prendre pour une entité quasi divine ?
L'Église, celle qui décrète, décide, prétend dire le bien et le mal... ne se trompe-t-elle pas sur elle-même ? L'Église n'est-elle pas simplement un moyen, un service des communautés de croyants en Christ ? Et comme tous les moyens, n'est-elle pas réformable, complètement adaptable au temps présent et à ses besoins ? Il n'y a rien de sacré dans son organisation et son fonctionnement. Seuls sont sacrés en elle les femmes, les hommes et les enfants qu'elle veut servir.
Ma conviction c'est que l'Église organisée et structurée n'est pas le Christ, elle n'est pas un pouvoir sacré, pas plus que les prêtres ne sont représentants du Christ sur la terre ! Ce sont eux qui se sont attribué ce pouvoir sacré, le pouvoir sacerdotal.
Malgré tous les services qu'elle rend aux hommes, malgré les discours de François, l'Église ne cherche-t-elle pas plus à se sauver elle-même, à vouloir sauver ce que l'histoire a fait d'elle, à défendre ce pouvoir sacré sacerdotal que Vatican 2 a (malheureusement selon moi) réaffirmé, plutôt qu'à se remettre radicalement en cause, à l'écoute et au service des humains ?
J'entends la nécessité de structure, d'organisation, que remplit l'Église, et, même si c'est par des modes contestables à nos regards modernes, c'est malgré tout cette organisation qui me permet de croire en Jésus-Christ aujourd'hui. Merci à toute cette longue chaîne de témoins !
Mais l'Église n'est toujours qu'un moyen, moyen de communion et de transmission : tout cela n'est donc que temporaire, pour servir au mieux, dans le temps d'aujourd'hui, et non celui d'hier, le peuple des croyants.
Or cette Église-service se prend, et nous la prenons, même si c'est souvent à contre-cœur, pour une fin, pour une structure inamovible avec son organisation pyramidale, hiérarchique, fondée sur le pouvoir sacré des prêtres.
Et pourtant seul le peuple de croyants est l'Église en laquelle nous disons croire, pécheresse et sainte, forgeant son visage au fil des jours et des années.
Que vive le peuple de Dieu, Eglise en marche, osant inventer, se remettre en cause, au milieu, avec, et pour le peuple de tous les humains !
Et si, chrétien de base, je vivais en adulte responsable ?
Abraham partit sans savoir où il allait... tout laisser, tout quitter...tout ! Lâcher tout... paroles chantées avec enthousiasme quand j'avais 20 ans...
Ne serait-ce pas opportun d'arrêter d'user ce qui me reste de forces vives à vouloir restaurer l'Église, à chercher à obtenir le droit aux messes ou à vouloir donner à cette Église un nouveau visage ?
Est-ce souhaitable de passer des réunions entières, beaucoup de nos repas en commun, et nombre de nos discussions à chercher une autre organisation du même modèle, à attendre des lettres de missions, à inventer comment ne pas bloquer monsieur le curé ou à subir les impératifs et les interdits de l'Evêché ou de Rome ?...
Ne serait-ce pas signe de bonne santé que de cesser de mobiliser mes énergies à parler de la "boutique", des différences entre laïcs et prêtres, des ministères à créer, des questions bioéthiques à la lumiere de la loi dite naturelle, ou des remèdes à trouver aux dérives sexuelles ?
N'est-il pas urgent de renoncer aux justifications comme aux obligations ou interdits théologiques qui enferment dans un prétendu savoir supérieur venu de l'extérieur et maintiennent la personne dans un état de sujet mineur et donc inférieur ?
Ne faut-il pas quitter tout cela, au moins dans sa conscience volontaire, sans orgueil, sans fanfaronnade comme sans mépris, simplement par urgente nécessité de vivre sans se dérober à sa responsabilité d'humain dans ce monde de 2020 ?
Oser "secouer la poussière de ses souliers" comme Jésus y encourageait ses disciples, et "partir", c'est-à-dire innover, inventer, sans savoir où cela emmène, partir sans autres bagages que sa foi en Jésus-Christ et sa parole, partir éventuellement sans nos cérémonies habituelles et sans attendre l'accord d'un prêtre, d'un évêque ou même d'un pape, même si son nom est François ! Oser risquer le départ, l'inconnu, l'invention, mais sans quitter la main d'autres personnes accrochées à Jésus-Christ et à sa parole qui, comme soi-même, sont prêtes à avancer en eau profonde... Je trouve cela terriblement insécurisant ! ... mais n'est-ce pas nécessaire ? ..."pour la gloire de Dieu et le salut du monde", comme nous le disons à la messe.
Bâtir l'Église n'est pas un but ! consolider l'Église n'est pas un but ! renouveler l'Église n'est pas un but ! L'Église elle-même n'est pas un but ! Elle est seulement le résultat et le témoin de notre vitalité à tous, chretiens "de base" ! Ne nous laissons pas enfermer par l'Église ni dans l'Église !
Le but n'est-ce pas un monde debout ? Un monde bien vivant ? un monde ressuscité ? "La gloire de Dieu c'est l'homme vivant" disait déjà Irenée de Lyon au 2e siècle.
Ce qui importe avant tout, me semble-t-il, c'est de vivre dans le monde d'aujourd'hui, éclairés par la parole et la rencontre de Jésus, à l'écoute de son Esprit présent au plus intime de chacun de nous. Et ceci ne peut se vivre en vérité qu'en nous fortifiant les uns les autres et en nous confrontant à la démarche d'autres femmes et hommes qui, comme soi-même, sont prêts à avancer, à innover, tel Abraham acceptant l'appel intérieur, sans savoir où cela mène...
Alors concrètement qu'est-ce que ça pourrait vouloir dire ?
- Renoncer à toute activité ayant pour seul but de faire vivre ou fortifier l'Eglise, ses rites, ses impératifs, obligations ou interdits, non pas par mépris, par hauteur, ou par agressivité, mais pour cause d'inadéquation à notre temps : nous gaspillons nos forces, et nous privons les humains, nos frères, de ces forces que nous pourrions utiliser pour participer, au milieu d'eux et avec eux, à tout ce qui fait notre vie de personnes privées comme de citoyens d'ici et du monde.
- Nécessairement, se retrouver régulièrement avec d'autres personnes prêtes à vivre la même démarche, afin de rester enracinés dans la parole partagée autour de la fraction du pain. Ayons-en l'exigence, cela me semble vital ! C'est quand nous sommes réunis en son nom que Jésus est là avec nous.
- Investir, à notre mesure bien sûr, les forces vives qui sont en nous, et cela dans des domaines qui nous rejoignent le mieux ou le plus : familial, social, culturel, économique, scolaire, international, humanitaire, écologique....
- User de notre temps, de notre énergie, de notre foi dans les événements et faits sociaux majeurs que sont la naissance, l'école, les loisirs et la culture, les unions de couple, la solitude, la maladie, la mort...
- croire que la seule vie importante que nous ayons à vivre c'est notre aujourd'hui banal et multiforme, tel qu'il nous "éclate à la figure !" , éclairés par Jésus Christ et sa parole partagés, animés par l'Esprit présent au plus intime de chacun de nous.
Et n'est-ce pas seulement ainsi que l'Eglise trouvera son nouveau visage ?
Jean-Luc Lecat, 3/12/2020
Peinture de Jacob Lawrence