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L'espérance,
une forme de notre rapport à Dieu
Antoine Delzant


Les objets que nous demandons sont bien réels, la nourriture, ou la santé, la justice ou la paix, l'équilibre intérieur ou la force de l'esprit. Mais ces objets, dès lors que nous les avons acquis disparaissent comme objet de demande. Ils ont, pour un temps, donné une forme, un contour, une figure à notre désir et donc à notre épreuve. Mais notre désir n'en est pas pour autant aboli. Si le désir était satisfait par une des figures par lesquelles il s'est manifesté, il n'existerait plus. Mais ne plus désirer c'est mourir. Ainsi le désir et donc l'espérance se posent contre la mort. Nous sommes ainsi faits que vivre dans la finitude, c'est désirer, et que nous ne vivons que de manquer. C'est en acceptant de ne pas tout posséder, et en particulier en voulant que l'autre existe, que nous pouvons continuer à demander et donc à vivre.

Si donc l'espérance est de l'ordre du désir, elle demande une rencontre qui ne la comblerait pas, qui la relancerait sans cesse, qui lui permettrait d'aller « de commencements en commencements par des commencements qui n'ont pas de fin » (Grégoire de Nysse). C'est pourquoi l'espérance est une forme de notre rapport à Dieu. Dieu vaut alors pour lui-même. Il ne vaut plus pour les grâces, ou les énergies qu'il pourrait nous donner, pour le contenu que lui assurent en quelque sorte nos savoirs ; les forces, les secours, les guérisons qu'il peut nous donner ne sont que les figures d'une espérance qui va plus loin. Ainsi en fut-il de Jésus tel que nous le rapporte St Matthieu. Alors qu'il devait mourir, il s'appropria la parole du psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » Abandonné, il sait qu'il ne doit plus attendre de secours ou de force qui le tirerait de l'épreuve de la mort ; il est réduit à la passivité devant les forces qui l'entourent. Mais dans cette passivité même, il trouve la force d'invoquer Dieu, un Dieu dont il n'attend plus aucun secours, mais qui désormais vaut pour lui-même.

Ainsi se fait jour, dans cette extrémité, ce qu'on peut appeler l'espérance : une force plus forte que toute passivité, qui veut l'autre pour lui-même, qui veut la relation à l'autre, même quand elle ne lui procure plus aucun secours, et qui se pose contre la mort.

Ainsi la mère dont le fils a été condamné à la prison pour de longues années sera-t-elle seule à espérer en ce prisonnier pour lequel elle ne peut plus grand-chose. Ainsi peut se faire jour une espérance devant la mort d'un proche : que les liens tissés dans notre histoire ne soient pas irrémédiablement abolis. Alors que nous n'y pouvons plus rien, nous espérons que l'autre soit, même dans l'absence et dans la distance, bien qu'il ne nous apporte plus le réconfort de sa proximité. L'espérance sera dite théologale quand elle demandera à Dieu de demeurer source, et pourquoi pas terme, d'une relation dont nous ne sentons plus ni effets ni bienfaits : que Dieu soit pour lui-même.

L'espérance chrétienne est une vertu de la nuit. Elle est la foi, quand ce qui soutient la foi, les savoirs, les certitudes, les expériences qui ont permis la foi semblent frappés de vanité. Ainsi est-elle aujourd'hui particulièrement d'actualité, pour les chrétiens qui ont accepté de perdre les lourdes sécurités d'une Eglise qui se posait en s'imposant et qui est devenue humble et pauvre ferment perdu dans la pâte.(...)

Espérer sera toujours espérer quelque chose, mais quelque chose de temporaire et de fugace ; ce sera aussi se dessaisir du trop bel objet de notre attente pour nous ouvrir sur l'infini, qui nous sollicite et nous appelle. Et cette sollicitation s'effectue à travers les pauses de notre espérer, que sont les espoirs humains. Apprendre à espérer dans une histoire, c'est conquérir une liberté qu'aucun objet ne vient aliéner.

« Croire quand même »
(Bayard ; p. 295- 298)

Extraits du Chemin de Croix de Dominique Penloup