Calvin à Genève
16- L'impact de Luther
De son vivant, l’impact de Luther fut immense. Le mouvement qu’il avait déclenché déchira la chrétienté, et la Réforme conquit une grande partie de l’Allemagne, mais aussi
l’Europe du Nord et du Centre, et – sous une forme particulière, il est vrai, l’anglicanisme - le Royaume d’Angleterre.
Au XVIe s. déjà, cependant, tous les pays ne sont pas touchés de la même manière par le mouvement évangélique : il a moins d’impact dans la France centralisée de François Ier,
où le protestantisme portera la marque de Calvin, dans l’Italie, où le pape a conservé un pouvoir politique non négligeable, et dans l’Espagne des Habsbourg. Tous les
milieux ne sont pas non plus touchés avec la même intensité par la Réforme : les humanistes s’en détachent pour une bonne part, de même que les paysans après 1525.
Par ailleurs, dès le milieu des années 1520, le mouvement évangélique ne se réclame plus uniformément du seul Luther : nous avons constaté l’influence de Zwingli en Suisse
et en Allemagne du Sud ; ailleurs, la réforme revêt des formes plus radicales : anabaptisme, illuminisme…
Aujourd’hui, même dans les Eglises qui se réclament de Luther et de la Confession d’Augsbourg, la théologie, la liturgie et certaines prises de position éthiques
relèvent de l’héritage réformé - calvinien plus que du luthéranisme originel - à certains égards plus proche du catholicisme actuel. Toutefois, toutes les paroisses
luthériennes chantent encore les cantiques du Réformateur les plus connus, et certaines font encore usage du Petit Catéchisme.
Saint Bathélémy
Dans le monde catholique, on est désormais bien loin du jugement sans appel prononcé au début de ce siècle par le Père Denifle : « Luther, il n’y a rien de divin
en toi ! », lequel invitait les protestants à « se débarrasser de Luther et à faire retour à l’Eglise ». Depuis La Réforme en Allemagne (1939 et 1940 pour
les deux tomes de l’édition originale allemande) de Joseph Lortz, soixante ans de recherches historiques et théologiques ont modifié l’image de Luther, dont les savants
reconnaissent désormais l’authenticité et la légitimité du combat spirituel, face à une Eglise qui avait failli en bien des domaines.
Tout en soulignant les « limites personnelles » du Réformateur, le pape Jean-Paul II a déclaré en 1996, à l’occasion du 450e anniversaire du décès du
Réformateur, « reconnaître aujourd’hui plus clairement la grande valeur que révélaient son exigence d’une théologie plus proche des Saintes Ecritures et sa volonté
de renouveau spirituel de l’Eglise ». Puissent de telles affirmations être répandues largement dans le grand public, où le nom de Luther a encore des relents d’hérésie…
Mais l’impact de Luther dépasse les confessions, catholique ou protestante. Depuis longtemps, on a salué sa contribution à l’essor de l’allemand. Sa traduction de la Bible
appartient à la littérature universelle. Il a influencé peintres et musiciens. Des philosophes se sont réclamés de ce héraut de la liberté de conscience, et Karl Marx
a apprécié sa critique des monopoles et de l’usure. Il a sorti la notion de vocation (Béruf) du domaine strictement ecclésial, revalorisé la vie conjugale, appelé à fonder
des écoles pour garçons et filles…
Célébré au XVIe s. par les uns comme prophète de Dieu, vilipendé par les autres comme l’agent du diable, Luther, souvent lu et plus rarement compris, n’a jamais laissé
indifférent. Enrôlé malgré lui dans certaines luttes nationalistes et antisémites aux heures les plus sombres de l’humanité, il a été tour à tour glorifié et honni.
Par delà l’exceptionnelle destinée auquel ne semblait pas promis cet humble moine, fils de petits bourgeois, né dans un coin retiré de l’Empire romain-germanique, Luther
continue de nous parler. En tant que chrétiens, il nous intéresse moins pour ce qu’il fut que pour ce à quoi il a voulu rendre témoignage : la bonne nouvelle du salut
procuré gratuitement par le Christ à ceux qui l’acceptent avec confiance. C’est à cause de ce message, proclamé avec une conviction et un brio littéraire indéniables,
que Luther nous est précieux. En des temps où chacun est jugé impitoyablement sur ses performances, cette « bonne nouvelle » ne conserve-t-il pas une brûlante actualité ?
Petite Bibliographie
Textes de Luther
Luther, Œuvres, t.1, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade). 1999. Edition publiée sous la direction de Marc Lienhard et Matthieu
Arnold. (42 textes majeurs de Luther entre 1515 et 1523, traduits, présentés et annotés ; la plupart des textes que nous avons livrés sont extraits de ce volume. Le t.2
présentera des textes de 1523 à 1546.)
Ouvrages sur Luther
Matthieu Arnold, Prier 15 jours avec Luther, Paris : Nouvelle Cité, 1998. (Pour découvrir Luther comme un maître spirituel, et pénétrer au cœur de sa
théologie et de sa piété.)
Albert Greiner, Luther. Essai biographique, Strasbourg : Oberlin, 1992. (3e éd revue et mise à jour.)
Marc Lienhard, Martin Luther, la passion de Dieu, Paris : Fayard 1999 (Une biographie accessible à tous, suivie de nombreux extraits de textes de Luther).
Marc Lienhard, Martin Luther : un temps, une vie, un message, Genève : Labor et Fides, 1998 (4e éd.). (Plus détaillé, mais aussi plus compliqué que l’ouvrage
précédent : la biographie la plus complète en langue française.)
Contrairement à ces quatre ouvrages, les autres travaux biographiques sur Luther parus en français au cours des années 1990 se fondent rarement sur les écrits originaux
du Réformateur ; c’est pourquoi nous n’avons pas jugé opportun de les signaler. Pour ceux qui liraient l’allemand, ces quatre ouvrages donnent une abondante bibliographie
de titres en cette langue.
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