Avant propos
Je me réjouis vivement de ce que Martin Luther connu longtemps des catholiques
uniquement pour ses travers et son rôle séparateur dans la chrétienté occidentale, et des protestants, qui s’en font volontiers les hagiographes,
comme un héros sans tache, fasse l’objet d’un opuscule destiné à une démarche œcuménique pour adultes.
Toutefois, en présentant le Réformateur en un si petit nombre de pages, j’ai conscience de m’atteler à une tâche redoutable : n’est-ce pas une gageure que de vouloir
rendre compte, avec concision et objectivité, de la vie et de la pensée d’un homme auquel près de 1000 études spécialisées sont consacrées chaque année, et qui,
sur bien des points, continue de susciter des jugements divergents ?
Aussi me faut-il préciser les objectifs et les limites du présent cahier ; il n’entend pas se substituer aux travaux plus volumineux dont je donne les références en fin
d’ouvrage ; il vise simplement à présenter les lignes maîtresses de la biographie et de la théologie de Luther, avec leurs lumières et leurs ombres, et à proposer,
à chaque étape, des textes du Réformateur qui permettent au lecteur de juger sur pièces.
Qu’il me soit permis de remercier "MAINTENANT" pour m’avoir confié la rédaction de cette petite synthèse, que je dédie à mon épouse Anne-Christine,
à qui je dérobe un temps précieux pour le consacrer à mes travaux sur la Réforme.
Martin Luther
1- Le contexte politique et religieux.
A bien des égards, nous le verrons, Martin Luther transcende son époque. Pourtant, le Réformateur (et, plus encore, son formidable impact) sont incompréhensibles si on
ne les replace pas dans le contexte politique et religieux de l’Allemagne du début du XVIe s.
Le Saint Empire romain-germanique, où naît Martin Luther, n’est pas un territoire centralisé, mais il se compose d’environ 350 entités politiques. L’empereur est élu ; le
prince de Saxe est précisément l’un des sept électeurs, et ce sera la chance de Luther d’être sous la protection de cet homme, courtisé tour à tour par le pape, le roi de France
et l’empereur.
Le XVe s. a vu un regain d’intérêt pour la figure du Christ souffrant, mais aussi pour la Vierge et le culte des saints, avec les dérives superstitieuses attachées à cette piété.
La Bible commence à être diffusée en langue vernaculaire, tandis que les humanistes appellent à revenir aux sources hébraïque et grecque de l’Ecriture ; l’imprimerie favorise
la diffusion des traductions bibliques et les travaux d’édition des humanistes.
Luther naît à une époque et dans un pays, l’Allemagne, où se fait jour un anticléricalisme croissant. Non pas que les clercs de la fin du XVe s. et du début du XVIe s.
aient été plus ignorants, plus cupides ou moins vertueux que leurs prédécesseurs (leur instruction s’était même améliorée), mais les valeurs de la bourgeoisie
montante - éprise d’une Eglise envers laquelle elle nourrissait un amour déçu - : le souci de la respectabilité et de l’efficacité, ne s’accommodent guère
avec le vagabondage des moines mendiants, et le concubinage ou l’absentéisme des prêtres. Par ailleurs, l’ensemble des Allemands voient d’un œil sombre leur argent tomber
dans les caisses de Rome.
Plus largement, après l’échec des conciles dits « de réforme » du XVe s., l’attente est brûlante d’une réforme de l’Eglise « dans sa tête et dans ses
membres », avec un retour à la simplicité des temps apostoliques. Pour certains, cette espérance se teinte de couleurs eschatologiques, et coïncide avec l’ardent
désir de la fin du monde : c’est Dieu en personne, ou son Esprit, qui viendra réformer l’Eglise - à moins que, comme le souhaitent d’autres encore, cette réforme introduise
un ordre social plus juste et soit l’œuvre des petites gens, au besoin par les armes.
Epoque de ferveur religieuse, mais aussi de rancœur à l’endroit du clergé, et où des techniques nouvelles, comme l’imprimerie, relayent plus efficacement des aspirations
anciennes à la réforme : autant de facteurs qui, s’ils n’expliquent pas Luther, éclairent à n’en pas douter la rapidité avec laquelle se propagèrent ses idées.
Document : l'Allemagne au temps de Luther
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