Bible de Luther
A la Wartburg (mai 1521-mars 1522)
Dans le calme du château de la Wartburg, et alors que bon nombre de ses partisans et amis le croient mort, Luther peut, sous l’identité du « Chevalier Georges » (le
Réformateur s’est laissé pousser la barbe), déployer une très intense activité littéraire.
En mai-juin, il achève son Commentaire du Magnificat, louange de Marie qui renvoie à l’adoration de Celui dont elle a tout reçu : « le mot magnificat » est comme
le titre d’un livre : il en indique aussi le contenu. De même, Marie indique par ce mot quel va être le contenu de son cantique, à savoir les hauts faits et les
grandes œuvres de Dieu, propre à fortifier notre foi, à consoler tous les humbles et à effrayer tous les grands de la terre. » Il rédige également un certain nombre
d’écrits de controverse, relatifs à l’Eglise, à la messe ou à la justification par la foi.
Le 21 novembre 1521, il a terminé son Jugement au sujet des vœux monastiques. Destiné à apaiser la conscience de ceux qui ont abandonné l’état monastique ou envisageraient
de le faire, ce volumineux traité sape les fondements du monachisme : rejetant la distinction entre les moines et le reste des chrétiens (le baptême confère à tous une égale
dignité), Luther s’attache à démontrer que les trois vœux perpétuels (obéissance, pauvreté et chasteté) s’opposent à l’Ecriture, à la foi, à la liberté évangélique et
à la raison. Il laisse néanmoins ouverte la porte à un monachisme réformé, fondé sur des vœux temporaires.
Mais l’œuvre principale de Luther à la Wartburg reste sa traduction du Nouveau Testament (à partir du texte grec établi par Erasme), réalisée en onze semaines. Elle vise
à rendre accessible à tous cet « Evangile de Dieu » qui est « un cri joyeux qui a retenti dans le monde entier par les apôtres » et qui parle
de Jésus, « un vrai David qui a combattu le péché, la mort et le diable et les a vaincus ».
Luther et Melanchthon
Parue en septembre 1522 et tirée sans doute à trois mille exemplaires, cette traduction, « grande œuvre […] qui concerne le salut de tous », illustrée
par le peintre et graveur Lucas Cranach, fut épuisée en quelques semaines. Désireux d’atteindre les gens les plus simples, mais aussi de parler allemand et non pas grec
(c’est-à-dire, de faire en sorte que « les mots suivent le sens et le servent »), Luther rompt avec les traductions allemandes antérieures, trop littéraires ;
il n’en reste pas moins fidèle aux particularités de la version originale. Par ailleurs, il fait précéder le Nouveau Testament et chacun de ses livres par des préfaces, qui
aident le lecteur à comprendre le texte biblique par lui-même.
Pour fructueux qu’il soit au plan littéraire, le séjour de Luther à la Wartburg n’est pas de tout repos. Il n’est pas épargné par les problèmes de santé, et sa solitude
l’expose à de rudes tourments spirituels : lui-même se déclare torturé par « mille diables ».
Par ailleurs, des nouvelles alarmantes lui parviennent de la communauté de Wittenberg, qu’il a laissée à la garde de son jeune collègue Philippe Mélanchthon ; un certain
nombre de changements sont effectués dans le culte, alors que tous les paroissiens n’y ont pas encore été préparés : à la fin de 1521, on communie sous les deux espèces,
on supprime la confession, on célèbre la messe en allemand. Au début de 1522, on veut supprimer les images, et les défrocations de clercs se multiplient. Plus grave
encore : trois « prophètes » venus de Zwickau, qui prétendaient être inspirés directement par l’Esprit Saint, ont semé le trouble, en tenant des discours
enflammés contre le clergé et en s’opposant au baptême des enfants. En janvier et février 1522, le prince-électeur de Saxe, de tendance plutôt conservatrice, et le conseil
de la ville de Wittenberg, favorable au changement, prennent des mesures qui s’opposent.
Cédant à l’appel de ceux qui réclament son retour pour rétablir le calme, Luther quitte la Wartburg le 1er mars. Du 9 au 16 mars, il prononce huit sermons qui apaisent
les esprits, et s’affirme ainsi à nouveau comme le chef spirituel du mouvement réformateur.
Textes de Martin Luther : Lettre à Philippe Mélanchthon (26 mai 1521)
Même si je périssais, rien ne périrait de l’Evangile, dans lequel tu me surpasses maintenant, comme Elisée surpassait Elie, lorsqu’il reçut une double portion de son esprit.
[…] il y a une chose que je ne puis croire : tu écris que vous errez comme des brebis sans pasteur. Ce serait pour moi la chose la plus triste et la plus amère à
entendre. Car aussi longtemps que tu es là, ainsi qu’Amsdorf et les autres, vous n’êtes pas sans pasteur. Ne parle pas ainsi, de peur que Dieu ne se mette en colère
et que nous ne soyons trouvés ingrats. Oh si seulement toutes les Eglises réunies avaient au moins le quart de vos serviteurs de la Parole !
Lettre à Frédéric le Sage (7 mars 1522)
Altesse sérénissime, illustre prince, gracieux seigneur ! J’ai pris très sérieusement en considération le fait que, si je retournais à présent à Wittenberg, sans la
permission et contre la volonté de Votre Grâce électorale, cela constituerait pour Votre Grâce électorale […], pour tout le pays et pour les gens un grand
danger - spécialement pour moi-même, qui, banni par l’autorité papale et impériale, devrais m’attendre à la mort à chaque heure.
Mais que dois-je faire ? J’ai des raisons pressantes de revenir, et Dieu m’y oblige et m’appelle. […] La première raison est que je suis appelé par écrit par
l’ensemble de l’Eglise de Wittenberg, avec force supplications et prières. […] La seconde raison est que, pendant mon absence, Satan s’est introduit à Wittenberg
dans ma bergerie et (comme le crie désormais le monde entier et comme cela est vrai) a mis quelques brebis dans un bel état. Il ne m’est pas possible de les apaiser
par des écrits, mais il me faut agir en étant présent en personne, en les écoutant et en leur parlant de vive voix. Ma conscience ne m’a pas permis de m’économiser et
de temporiser plus longtemps.
Martin Luther
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