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Migrants subsahariens dans l’ouest algérien
Thierry Becker

L’Algérie est, elle aussi, une terre d’immigration. Thierry Becker, ancien Vicaire Général de Monseigneur Claverie, et les baptisés qui l’entourent, accompagnent ces chrétiens africains qui, dans un pays musulman, cherchent leur chemin vers une terre où ils pourront résider.

Nous suivons le périple de migrants venus d'Afrique noire que nous avons commencé avec le témoignage de Monseigneur Claude Raut, évêque du Sahara :
Désert, ma cathédrale.

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D’incessants mouvements
migratoires


Ces derniers temps, dans le pays, on assiste à d’incessants mouvements migratoires : les Subsahariens arrivent toujours plus nombreux sur Oran, en particulier des jeunes femmes, et ils se dirigent en grand nombre vers les frontières pour tenter leur chance vers l’Europe.

Malgré l’interdiction faite aux transports publics, à Tamanrasset, de laisser monter des Subsahariens qui se dirigent vers le nord, les migrants contournent les obstacles en payant très cher et arrivent à rejoindre les ghettos et les « ngandas » (sorte de maison de passe tenue par une migrante qui accueille les jeunes femmes) d’Oran et sa banlieue. Ceux et celles qui ont réussi à atteindre l’Europe, nombreux parmi nos connaissances, créent un appel d’air.

Les Nigériens, qui se sont spécialisés dans la mendicité aux carrefours accompagnés de très jeunes enfants, sont les jouets d’une mafia qui les exploite car les Algériens sont très généreux. Ils sont régulièrement rapatriés avec la collaboration de leur pays mais ils reviennent dès qu’ils peuvent. Ils vivent entre eux en ghetto, nous n’avons pas de contacts avec eux.

Les Camerounais sont les plus nombreux, plusieurs milliers sur Oran, viennent ensuite les Nigérians, les Libériens, les Ghanéens, les Ivoiriens, et la population s’est habituée à voir des Noirs dans la rue et aux ronds-points où ils attendent d’être embauchés. Heureux ceux qui ont trouvé du travail et ont ensuite été payés. Ces dernières semaines il a fait très froid et beaucoup plu, les chantiers ont été à l’arrêt, et la détresse est grande : rien pour se loger ni pour manger. Ils viennent demander secours à l’Église, que pouvons-nous faire ? Si nous donnons quoi que ce soit nous serons vite débordés. La solidarité est difficile. Alors ils vivent d’expédients, d’escroquerie, du « business », comme ils disent, priant Dieu de les faire réussir leur affaire ! La plupart s’en sortent ainsi. D’autres font du commerce avec le pays, et traversent le désert plusieurs fois par an, d’autres ont pris une femme algérienne et ont reçu une carte de séjour.

Une Eglise fraternelle

Des groupes de prière du type pentecôtiste existent à travers la ville où ils se retrouvent chaque semaine autour d’un « pasteur » autoproclamé. Ils viennent aussi nombreux au culte évangélique et à la messe catholique, notre église est pleine, le vendredi matin, de jeunes attentifs et joyeux, les célébrations, en français, anglais et langues africaines, sont magnifiques et vivifiantes. Il y a un bon nombre de catéchumènes et nous célébrons les baptêmes à Pâques et les confirmations à la Pentecôte.

Les dispensaires et les hôpitaux, après des années de discussion et avec l’aide de Médecins du Monde, soignent maintenant normalement les sans papiers – ici la médecine est gratuite, mais pas les examens radiologiques ou de laboratoire – et nous devons souvent aider. Certains laboratoires font un rabais pour les migrants que nous leur envoyons. Nous avons constitué à la paroisse un groupe de concertation, composé de migrants, prêtres, sœurs, associations pour le suivi des malades, des familles en détresse et des prisonniers : colis, mandats, honoraires d’avocats. Plusieurs fois, ces derniers temps, il a fallu accompagner des mourants, des jeunes au milieu de leur aventure, parfois ayant laissé des enfants au pays, moments difficiles. Nous leur célébrons un digne enterrement.

Pour la prison de la plupart des villes un prêtre ou une sœur a été agréé par le Ministère de la Justice pour la visite des prisonniers chrétiens qui actuellement sont presque tous des migrants ; sauf exceptions, nous sommes dans les parloirs et n’avons aucun contact avec les prisonniers en dehors de ceux et celles dont nous présentons la liste. Cette différence, introduite par les Subsahariens chrétiens, est une nouveauté à laquelle le personnel pénitentiaire s’habitue, et les relations deviennent bonnes. Pendant le dernier ramadan, à la prison des hommes à Oran, une chambrée particulière a été mise à la disposition des non jeûneurs. Mais dans les chambrées habituelles vexations et insultes sont fréquentes : noirs et non musulmans !

Les hommes ont pris femme et plusieurs enfants naissent chaque semaine. Quelques uns, dont les parents ont une adresse stable, sont scolarisés dans les écoles de la ville, où ils se socialisent et apprennent l’arabe .Pour les femmes, Caritas et Médecins du Monde ont mis en place un Centre Mère et Enfant, le « Jardin des Femmes » sur un terrain du diocèse à Oran avec une petite école, où elles trouvent liberté, écoute, partage de vie, conseils, mais la fréquentation est irrégulière. La plupart du temps les enfants sont envoyés au pays quand ils atteignent l’âge scolaire.

L’autre mouvement migratoire est vers la Lybie avec l’espoir d’embarquer pour l’Europe, mais c’est un chemin de drames, les migrants se font voler, agresser, emprisonner, beaucoup ont quand même réussi, d’autres se sont sauvés et sont revenus en grande détresse. Maintenant ils essayent la route du Maroc avec des guides très chers pour traverser fossés et grillages le long de la frontière.

Le témoignage d’une religieuse

Pour illustrer mon propos, voici le témoignage d’une religieuse qui souhaite l’anonymat :

(…) Cela fait plus de dix ans que je suis confrontée à la situation particulière des migrants sub-sahariens, je les rencontre par le biais de l’accompagnement médical des malades et de l’accueil paroissial. Le « volet » prisons est une autre facette qui s’intègre tout naturellement dans ma vie. Mon jour de visite a été fixé au jeudi, c’est pour moi un « jour spécial ». Je prépare mon cœur à la « visitation » qui va se vivre, temps où on pourra s’entendre dire chacun, même de façon voilée « tu as du prix à mes yeux et je t’aime, tu es plus beau que ce que tu ne penses …n’es-tu pas le visage de mon Seigneur ? »

Chacun a son histoire. Je suis là comme une oreille qui accueille ce que l’autre a envie de me partager. Je reçois comme des cadeaux ce qu’ils peuvent me confier. Ces rencontres limitées dans le temps en font des moments de grande intensité. J’en ressors toujours régénérée par le don que nous nous faisons de notre simple présence, comprenant mieux de l’intérieur la condition du migrant, donc moins prompte à juger. Oui, pourquoi eux sont-ils là, ce pourrait être moi aussi… Au retour, j’aime déposer ce vécu dans le silence de la prière, je laisse chaque visage rencontré en Sa Présence.

… Avant d’aborder le contenu des visites, je voudrai pointer quelques traits de base sur ce monde de culture très diverse selon les ethnies, mais aussi une espèce de culture migratoire.

Le migrant est déterminé à avancer vers l’eldorado à tout prix, quand on est parti : pas de marche arrière possible. Il faut affronter son destin et revenir au pays avec de l’argent. Il s’adapte à toutes sortes de situations. Il est opportuniste, il supporte toutes sortes de souffrances, est toujours en quête d’argent, de vêtements ; son rapport à une certaine vérité est très particulier…

Le migrant la plupart du temps est un croyant, plus ou moins catéchisé, quelquefois non baptisé, avec souvent la représentation d’un Dieu qui ne peut que les aider à vaincre les épreuves et réussir l’aventure. Quelques-uns ont fait partie d’églises chrétiennes indépendantes à caractère sectaire, d’autres sont de mouvance évangélique, certains sont marqués par les pratiques de sorcelleries.

Le migrant est sorti avec toutes sortes de motivations, parfois en échec, ou en fuite. Il peut porter un sentiment d’exclusion vis-à-vis de son pays, ses proches, et aussi envers lui-même. J’entends souvent « nous avons quitté le pays pour nous trouver ». Le désir d’un avoir matériel, et leur mal-être révèle une certaine quête. L’exil, le dur passage au désert, le racket en chemin, le mépris, les pires travaux, l’escroquerie sans limites des chefs de ghetto, le pillage de leurs maisons, la peur d’être attaqué au couteau, la véritable guerre dont ils ont fait les frais dans la périphérie de notre quartier, les rendent très vulnérables. Chacun est dans une situation de survie. Même s’il y a des gestes de solidarité, c’est la loi de la jungle qui prédomine dans les quartiers.

Le migrant après souvent beaucoup d’épreuves est arrêté en ville, souvent de manière arbitraire. Celui dont il croyait être l’ami part avec son téléphone, un autre mange l’argent pour l’avocat et la compagne rapidement le quitte. En incarcération, il perd son autonomie et plonge dans un autre monde culturel et religieux, c’est un autre désert. »


Le flux migratoire ne va pas s’arrêter, nous aurons encore à accueillir et écouter ces derniers de la terre, ils transforment notre vie, ils nous désespèrent parfois, et souvent nous étonnent par leur ténacité, leur endurance et leur foi.

Thierry Becker, Oran



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