« Ni valeur, ni fin suprême, l’Homme majuscule n’existe pas. Après la Shoa, le goulag, l’humanisme a le devoir de rappeler aux hommes et aux
femmes que, si nous ne sommes pas les seuls législateurs, c’est uniquement par la mise en question continue de notre condition personnelle
historique et sociale que nous pouvons décider de la société et de l’histoire.€(…) L’humanisme est un processus de refondation permanente qui
ne se développe que par la rupture et ces ruptures sont des innovations. » (Extrait de son intervention à la rencontre interreligieuse d’Assise)
« Parce qu’il éveille le besoin de liberté des hommes et des femmes, l’humanisme nous apprend à les soigner. Le souci amoureux d’autrui,
le soin de la terre, des jeunes, des malades, des handicapés, des vieillissants dépendants, sont des expériences intérieures qui créent
des proximités nouvelles et des solidarités inouïes. Nous n’avons pas d’autre moyen que l’expérience intérieure pour accompagner les révolutions
anthropologiques qu’annoncent déjà la course en avant des sciences, le laisser-aller des techniques et de la finance et l’impuissance du modèle
démocratique pyramidale à canaliser les innovations. (…) Osons parier sur les capacités des hommes et des femmes à croire et savoir ensemble. »
(Extrait de son intervention à la rencontre interreligieuse d’Assise).
Un grand événement, surtout en France, c’est les Lumières. C’est le fait que nous avons abandonné les abus de la religion. (…) Après avoir dénoncé les abus des
religions, qu’est-ce qu’on propose à la place ? (…) (Il y a) une difficulté de l’humanisme à fonder des valeurs qui tiennent. Nous en sommes là. (…)
Un des principes que je voudrais défendre consiste à dire que l’humanisme est un soin, un soin d’autrui et un soin d’autrui dans sa fragilité. Nous savons combien,
lorsque nous accompagnons nos proches en souffrance, cet accompagnement nous bouleverse non seulement au niveau de la pensée mais au niveau du
corps dans son ensemble. Nous souffrons, nous sommes malades, nous sommes broyés. L’humanisme assume cette fragilité non seulement
d’autrui mais de moi-même en réponse à autrui. (…) L’accompagnement de la fragilité ne doit pas être fait simplement sur une idéologie de
la prise en charge ou de la solidarité mais sur une mentalité de l’identification. (…) Il faudrait qu’il y ait une empathie profonde sinon (…)
la personne se sent abandonnée et l’accompagnant est renvoyé à une sorte de technicité de telle sorte que l’accompagnement échoue. Il devient
quelque chose d’extrêmement externe. Et c’est là que les religions nous attrapent : ils font mieux que nous. Une des choses qui me révolte c’est que,
aussi bien l’enseignant que l’accompagnateur d’aujourd’hui, n’est pas à la hauteur de ce qu’était la vocation des religieux qui accompagnent la souffrance.
Nous avons raté, nous humanistes, cette dimension là et, pour la rattraper, il faut apprendre l’empathie et le dépassement de l’empathie pour l’élucider ;
pour ne pas être piégé par elle, il faut pouvoir la donner. (…)
Si nous ne tenons pas le coup là-dessus nous serons broyés par une religion qui a de l’avance sur nous parce qu’elle vient de
plus loin et aussi parce qu’ils sont déjà présents, ils ont les institutions qui les soutiennent, ils sont plus combatifs que nous.
Mais en apportant ce soin, ils peuvent apporter aussi leur obscurantisme. Si nous devons combattre leur obscurantisme, il faut être
plus fort qu’eux sur la question du soin et de l’accompagnement d’autrui.
Julia Kristeva
Pastel de Jacques Aubelle