Stephanie :
J’ai 17 ans et j’ai trois frères beaucoup plus jeunes que moi. Ma mère a été baptisée quand elle était petite. Elle est allée au catéchisme et a fait sa communion. Mais après elle a été dégoûtée par l’Eglise et elle n’a plus voulu en entendre parler. Elle dit que c’est une institution rétrograde qui défend les valeurs d’une caste de privilégiés. Mon père n’a pas été baptisé et ne connaissait rien à la religion jusqu’à il y a deux ans. Mes parents se sont mariés à la mairie mais pas à l’église.
Depuis deux ans, mon père va à des réunions pour se préparer au baptême. Je ne sais pas comment la foi lui est tombée dessus. Ma mère, au début, se moquait de lui mais après elle a vu que c’était du sérieux et elle a respecté. Il dit que Jésus le fait vivre. Moi je n’y comprends rien mais je vois que ça le rend heureux.
Il y a quelques mois, mon père a appris qu’il fallait qu’il se marie à l’église pour pouvoir être baptisé. Il ne le savait pas et, quand il en a parlé à ma mère, elle a refusé. Elle a dit : « je respecte ta démarche, mais toi aussi respecte la mienne. » Mon père a compris et il en a parlé aux représentants de l’évêque qui devait le baptisé. Ils ont dit qu’il était tout à fait impossible de le baptiser s'il ne se mariait pas à l'église.
Je suis scandalisée ! Je trouve que ma mère a raison et que l’Eglise est pourrie. Ils auraient préféré que mes parents divorcent… là ils l’auraient baptisé ! Qu’est-ce qu’ils en ont à faire de ma mère ? Et de nous, les quatre enfants ? Et ils osent dire que pour eux, Dieu est amour et que c’est l’amour qui compte ! Je les déteste ! Je les vomis !
Stéphanie
Réponse de Christine Fontaine
Je suis bien d’accord avec toi pour déplorer cette situation navrante.
Ce qui me semble intolérable, dans la situation que tu présentes, c’est qu’on ne tienne pas compte du fait que ton père ne refuse pas les lois de l'Eglise, simplement il est dans l'impossibilité de s'y soumettre. Et la hiérarchie ne tolère aucune exception ! Pourtant il vit, si je comprends bien, la spiritualité du mariage telle que l’Eglise la prêche : fidélité et indissolubilité. En réalité on peut considérer qu’il vit en désir le sacrement de mariage. Il vit l’amour au sens évangélique du mot et, dans la cohérence de l’enseignement de Jésus, l’amour est le premier commandement. Quand le Droit Canon (les lois de l'Eglise) empêche de vivre selon l’Evangile : c’est grave.
Certes l’Eglise catholique ne peut pas plus qu’un autre groupe humain vivre sans lois. Cependant ce qui définit les chrétiens ce n'est pas leur oéissance à des lois mais la foi en l'amour que Dieu leur porte et qui s'est manifesté par Jésus Christ. Alors, tu me diras, pourquoi toutes ces lois rétrogrades de l'Eglise ? Encore une fois, je critique fortement ce juridisme de l’Eglise romaine. Il me semble important que toutes les personnes qui, comme tes parents, souffrent du juridisme clérical, fassent connaître la situation aberrante qu’il leur faut traverser et créent un climat d’opinion qui modifie le fonctionnement actuel. Je pense aussi que la situation faite aux chrétiens divorcés et remariés est spirituellement insupportable. Mais si tu le veux bien, et quelque soit le bien fonder de ta révolte, essayons de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
Je crois que les lois de l'Eglise ne sont pas forcément toutes rétrogrades. Pourquoi toutes ces lois ? Je te répondrai par une parole de saint Jacques : " Montre-moi ta foi qui n'agit pas moi c'est par mes actes que je te montrerai ma foi. " (Jacques 2,18b) Il ne parlait pas alors du mariage qui n'était d'ailleurs pas un sacrement à l'époque. Il parlait de personnes qui prétendaient avoir la foi en l'amour de Dieu et qui, au lieu de la mettre en pratique par leur comportement, refusaient de partager leurs richesses avec des pauvres. Dans l'Eglise, comme le rappelle saint Jacques, ce qui est premier c'est la foi en Dieu qui nous aime et qui se traduit dans l'amour les uns des autres. Dans le cas du mariage, quand deux croyants veulent s'unir, ils reconnaissent que cet amour qu'ils vivent est don de Dieu ; que Dieu passe par cet amour qui les dépasse. L'Eglise dit que leur amour est signe ou sacrement de Dieu. Les futurs époux s'engagent à vivre leur foi dans l'amour mutuel au sein de leur couple pour toujours. Ce qui ne veut pas dire que ces mêmes croyants refusent les lois sur le divorce dans la société. Je te parle simplement de ce qui est particulier à ce groupe d'hommes et de femmes qui appartiennent à l'Eglise catholique. "Normalement" pour les catholiques, le mariage est un sacrement, un engagement à vivre dans la foi (la confiance) l'un envers l'autre et les deux ensemble envers Dieu. Les lois de l'Eglise concernant le mariage traduisent la foi agissant en amour au sein d'un coupe de croyants. C'est ce "bébé" que je ne voudrais pas jeter avec l'eau du bain.
"Normalement"... mais normalement seulement. Et voici maintenant l'eau du bain telle que je la perçois. Ta mère, dis-tu, a été baptisée à la naissance mais elle n'est plus croyante, ou au moins elle ne désire plus appartenir à l'Eglise catholique. Si elle avait été croyante, quand elle a connu ton père, elle aurait demandé le mariage à l'Eglise et celle-ci y aurait consenti bien que ton père n'était pas croyant à l'époque. Par ailleurs, si tes deux parents n'avaient pas été baptisés, l'Eglise aurait reconnu leur mariage. Elle se serait dit que c'est par ignorance et non par refus que tes parents n'ont pas demandé le sacrement du mariage. Or dans le cas de tes parents, ta mère baptisée n'est pas croyante et ton père non baptisé est croyant. Reconnais que pour l'Eglise il y a de quoi... en perdre son latin !
Comment en sortir ? Ta maman sait-elle que le mariage que l’Eglise propose peut être célébré hors d’une église et sans cérémonie. Cela s’appelle un mariage avec dispense de forme canonique. Peut-être acceptera-t-elle cette façon non compromettante. Une rencontre avec un prêtre ouvert pourrait éventuellement la lui présenter en sorte que cette formalité soit supportable.
Mais si ta mère refuse, je crois que l'évêque ne fait pas complètement son travail en s'en tenant au "normalement", aux lois de l'Eglise. Car ton père, comme je l'ai dit, ne refuse pas les lois de l'Eglise, il est bien plutôt l'exception qui les confirme puisque c'est par amour pour ta mère qu'il agit. Quand l'Eglise donne le dernier mot aux lois, quand elle refuse de considérer la situation particulière de chacun, à mon avis, elle s'éloigne de l'Evangile. C'est vrai aussi dans le cas des divorcés remariés. L'évêque, selon moi, devrait recevoir ton père personnellement, reconsidérer sa situation, faire une exception pour lui et lui accorder le baptême. Nous sommes nombreux à dénoncer ce juridisme et à dire qu'il ne correspond pas à l'esprit de l'Evangile. Jésus n'a pas arrêté de dire que "le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat".
Pour autant, je ne dirais pas systématiquement que l’Eglise est pourrie. Elle est victime de son histoire, héritière du droit romain qui était particulièrement rigide et dont il faudrait la libérer. Je crois que le Pape François en est conscient. Puisse-t-il vivre assez longtemps pour que l’Eglise retrouve l’esprit de l’Evangile.
L’Eglise est souvent aussi – je pense que ton père en fait l’expérience – un lieu de fraternité. Je souhaite que la communauté chrétienne dans laquelle le catéchuménat l’a fait rentrer sache l’entourer. Je souhaite aussi que cet interdit difficilement explicable n’efface pas la conscience du mystère de Jésus qu’il a découvert et dont il peut vivre sans avoir reçu le sacrement de baptême.
Christine Fontaine
Peintures de Danièle de Luca
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