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4ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 4, 21-30

Dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d"Isaïe, Jésus déclara : « Cette parole de l'Écriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. » Tous lui rendaient témoignage ; et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche. Ils se demandaient : « N'est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : 'Médecin, guéris-toi toi-même. Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays !' » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète n'est bien accueilli dans son pays.

En toute vérité, je vous le déclare : Au temps du prophète Élie, lorsque la sécheresse et la famine ont sévi pendant trois ans et demi, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie n'a été envoyé vers aucune d'entre elles, mais bien à une veuve étrangère, de la ville de Sarepta, dans le pays de Sidon. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; pourtant aucun d'eux n'a été purifié, mais bien Naaman, un Syrien. »

À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline où la ville est construite, pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin.

La violence de l’évangile
Christine Fontaine

« Halte à la violence »
Michel Jondot

Méfions-nous de la douceur
Christine Fontaine


La violence de l’évangile

De la douceur à la violence

C’aurait pu être une journée pleine de douceur ! Dans ce village très beau de Galilée, voilà le fils de Joseph, l’enfant du pays qui revient. Quelqu’un qu’on connaît, qu’on a vu grandir. Quelqu’un dont on commence à parler, dont la renommée n’est plus à faire. On est fier de lui. Fier de soi ! « Ils étaient dans l’admiration ! »

Mais leur belle unanimité autour de Jésus ne dure pas. Celui qu’on admire remplit son auditoire de fureur. Celui de chez nous est poussé dehors. Celui à qui on tient, on veut le mettre à mort. La douceur de l’entre soi fait place à une violence mortifère. Le plus étrange est qu’il semble que ce soit Jésus qui suscite volontairement cette violence. C’est lui qui brise leur consensus en refusant leur admiration. Quoi de plus violent que de déclarer « nul n’est prophète en son pays » à ceux « qui s’étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche » ?

De la violence à la douceur

« Heureux les doux », dira Jésus dans l’Évangile. Dans la synagogue de Nazareth, il semble bien que Jésus se plaît à créer le malheur au sein de cet univers a priori plein de bienveillance et de douceur. En effet Jésus crée de la distance. Il ne se laisse pas réduire à l’enfant du pays dont la renommée retombe sur les siens. Il n’est pas seulement le fils du charpentier de Nazareth. Il est prophète et fils de Dieu. Il fracture volontairement la douceur d’un entre soi. Il brise les frontières de la terre des hommes pour faire entrer son entourage dans la patrie de Dieu. Seuls ceux qui sont entrés ou qui pressentent ce qu’est cette nouvelle patrie, pourront entrevoir ce qu’il en est de la vraie douceur, celle de Dieu.

D’une certaine manière la douceur de Dieu provoque la violence parce qu’elle introduit une blessure dans la douceur d’un entre soi. Cette blessure permet le passage d’un univers à l’autre : d’un monde où pour vivre en paix on chasse l’étrange, l’étranger ou l’inconnu, à un univers où l’on accepte de se faire violence pour consentir à la présence du Tout Autre et des autres parmi nous.

Les gens de Nazareth n’ont pas accepté que Jésus leur fasse violence. Et, parce qu’ils ne supportaient pas la blessure, ils ont déporté, exorcisé la violence sur Jésus. Ils ont préféré que Jésus soit blessé plutôt que d’être eux-mêmes blessés. Ils ont préféré que la violence soit sur l’autre plutôt que de laisser fracturer leur belle unanimité. Ils se sont tous ligués contre Jésus.

Se faire violence

Si nous rêvons de douceur et de paix aujourd’hui, prenons garde. Si c’est la douceur des béatitudes que nous désirons, nous n’y entrerons pas comme dans un bain d’eau tiède. Nous n’y entrerons pas sans que se brise en nous et entre nous quelque chose. « Le royaume des cieux souffre violence et seuls les violents s’en emparent », dit Jésus. La Parole de Dieu est un « fer rouge ». Elle nous marque, elle nous blesse. Elle nous fait violence. Si nous n’acceptons pas d’être blessés, nous devenons violents et nous expulsons Jésus hors de chez nous comme l’ont fait les habitants de Nazareth.

On parle beaucoup de fraternité et de bienveillance mutuelle dans l’Église. Mais cette douceur peut cacher le fait que nous expulsons ceux qui ne sont pas de chez nous, qui ne pensent pas comme nous. On parle aussi beaucoup de bienveillance et de fraternité entre les Gilets jaunes. Mais est-ce la douceur d’un entre soi qui est cherché comme on peut la trouver au sein d’une secte ? Ou bien y a-t-il un réel désir de faire place aux autres, étrangers, SDF, immigrés, quitte à en être blessés ?

Il faut se faire violence pour accueillir les autres ! Il faut se laisser faire violence pour accueillir Dieu vivant au milieu de nous !

Christine Fontaine


« Halte à la violence »

D’où vient la violence ?

J’ai entendu parler d’un maghrébin qui, ayant grandi dans une cité, avait réussi à devenir médecin. Il avait ouvert son cabinet à Neuilly, une ville habitée par des familles dont la culture et la profession font des privilégiés. Notre Docteur eut la douloureuse surprise de constater que la plaque qu’il avait installée à son arrivée, portant son nom et son titre, avait été sauvagement arrachée ; les habitants de Neuilly ne pouvaient supporter qu’un homme portant un nom et un prénom arabes puisse les rejoindre.

En réalité, les habitants des « banlieues » ne sont pas plus hospitaliers. Je connais une personne qui, entrant dans une cité pour la première fois pour aider des enfants dans leur scolarité, eut à subir l’agressivité d’un groupe de jeunes : « Retourne chez toi, tu n’es pas d’ici. » On lui cracha à la figure et sa voiture fut criblée de balles.

L‘Evangile d’aujourd’hui nous permet de deviner comment surgit la violence.

Jésus dans son pays

Jésus, après avoir acquis une certaine réputation, retourne chez lui, à Nazareth où il était bien connu. On le voit à la synagogue un jour de sabbat. Il fait les gestes qui sont familiers à ses compatriotes lors des célébrations : « On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage dont il fit la lecture. » Ensuite « il replia le livre, le rendit au servant et s’assit ». Comme il convient, il commente alors le texte qu’il vient de lire avec l’accent bien caractéristique des Galiléens. On le reconnaît et on est fier de cet enfant du pays qui a réussi : « Il est des nôtres. » Il parle bien ; on admire « les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche ».

Comment se fait-il qu’on passe de l’admiration à la violence ? « Tous dans la synagogue furent remplis de fureur. Et, se levant, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie pour l’en précipiter. »

En fait ce retournement s’opère lorsque Jésus refuse qu’on l’enferme dans les limites de son pays. Si ses propos sont parole de Dieu, ils débordent les frontières ; si elles n’ont d’autre portée que celle du pays où ils sont prononcés, elles ne sont pas parole de prophète. Ceux à qui Jésus s’adresse, dans la synagogue, voudraient s’approprier la parole de cet homme qui parle si bien et dont ils sont fiers. Ils n’acceptent pas que Jésus, tout en les rejoignant, leur échappe. Mais, en réalité, Jésus le rappelle « nul n’est prophète en son pays ».

Ces Galiléens refusent que ce vrai Juif, ce vrai Galiléen, s’adresse à tous les peuple dans la suite des siècles. Et pourtant, la preuve en est dans le fait que l’histoire de Jésus vécue dans la synagogue de Nazareth vient jusqu’à nous et nous donne à réfléchir 2000 ans plus tard. La preuve en est dans l’histoire même de ce peuple telle que ses Ecritures la retracent : Elie, le prophète, lors d’une famine inoubliable, s’est adressé non à ses compatriotes mais à une étrangère, une veuve du pays de Sidon. Elisée, prophète lui aussi, au cours d’une épidémie de peste, vint au secours non d’un juif mais d’un Syrien, Naaman.

Il est dans la cohérence biblique que Dieu ne puisse être enfermé dans les frontières d’un groupe, d’une ville, d’un pays, d’une culture, voire d’une religion. C’est le propre des régimes totalitaires que de vouloir enfermer l’absolu à l’intérieur d’une race ou d’un pays : les guerres les plus récentes le prouvent. Dieu ne peut être possédé par quiconque. Sa parole nous ouvre et nous livre à l’autre qui nous dépasse. La violence naît de l’illusion que nous possédons Dieu et que la vérité est dans notre camp. La violence naît alors puisque l’autre, sans doute, refusera nos prétentions. Elle ressemble aux cris d’un enfant à qui on enlève l’objet auquel il tient mais qui peut être dangereux. Aux yeux du chrétien, à la suite de Jésus, chaque personne humaine est invitée à suivre Jésus ; pour être fidèle jusqu’au bout à la parole de son Père, il se dépouille de sa vie pour laisser la parole à autrui : ses disciples et le monde tout entier, « la multitude ». La douceur naît de ce dépouillement : « Heureux les doux, ils posséderont la terre. »

« Aujourd’hui »

Voici plus de 2000 ans, Jésus, ouvrant le livre de la Parole de Dieu, disait, après sa lecture : « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Ecriture. » « Aujourd’hui » se déplace jusqu’à nous. « Aujourd’hui », reconnaissons que l’Eglise qui reçoit l’Evangile n’a pas toujours compris qu’elle n’était propriétaire ni de Dieu ni de sa parole. Elle s’est laissé emporter par la violence. Fils et filles de l’Eglise qui lisons l’Evangile, apprenons que nous sommes envoyés à d’autres que nous-mêmes. L’ouverture est celle même que prêche le prophète Isaïe. L’Eglise se doit d’être servante et de communiquer la joie aux pauvres, d’œuvrer pour la liberté des captifs, de travailler à rendre la vue aux aveugles et la liberté aux opprimés. Nous sommes ancrés dans des groupes divers, à commencer par la famille. Veillons à ce que, tout en restant fidèles à nos appartenances, nous restions ouverts au monde tout entier.

Fils et filles de l’Eglise nous vivons un temps particulier où les chrétiens rencontrent une religion soumise aux mêmes tentations de repli. Ne cédons pas à la peur d’une religion qu’on prétend conquérante ! Trouvons les paroles qui nous feront les frères et non les ennemis de nos voisins musulmans, qu’ils résident à Neuilly ou dans les cités de banlieue. Laissons Jésus nous transmettre sa douceur ; elle seule peut conquérir la terre.

Michel Jondot

Méfions-nous de la douceur

Un monde de douceur

Méfions-nous de la douceur quand elle semble aller de soi ; elle cache peut-être une violence plus forte que la violence ouverte. Une certaine douceur peut être la pire des violences que l’on puisse infliger à l’autre. Quand Jésus parle de douceur, quand il l’annonce comme une béatitude du Royaume, une règle de vie pour le chrétien, il ne parle pas de n’importe quelle douceur. La vraie douceur est toujours le fruit d’un combat ; elle n’est jamais si spontanée ni familière. Il faut se faire violence pour accéder à la douceur de l’Evangile, car elle n’a rien de commun avec la chaleur qui monte du cœur lorsqu’on est bien ensemble. La vraie douceur ne va jamais de soi, voilà ce que révèle l’expérience des juifs dans la synagogue de Nazareth.

C’est dans un univers plein de douceur que nous introduit cet évangile. Les juifs de la synagogue, à en croire le début de la scène, étaient pleins de douceur les uns à l’égard des autres et à l’égard de Jésus. Voilà Jésus qui rentre au pays après un séjour dans des villes étrangères. Jésus rentre couronné d’honneurs ; c’est l’enfant du pays, sa renommée s’étend dans toute la province. On est fier de lui et on l’accueille à bras ouverts.

Un monde de violence cachée

Les juifs de la synagogue ont une bienveillance extraordinaire pour Jésus .Ils lui font confiance, ils l’admirent et le reconnaissent comme l’un des leurs. Qu’est-ce q ue Jésus peut demander d’autre ? « En vérité, dit Jésus, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie… » alors tous furent remplis de fureur dans la synagogue. Les juifs s’étaient mis en frais pour accueillir Jésus et Jésus se désolidarise de leur groupe : il n’accepte pas leur accueil. « Je n’ai rien à attendre de vous » leur dit-il. Alors on comprend que les juifs répliquent : « Puisque tu ne veux pas de nous, nous ne voulons pas de toi non plus. » Et ils le chassent hors de la ville.

Pourquoi Jésus refuse-t-il l’accueil des juifs et la douceur du retour au pays ? Pourquoi Jésus conduit-il ses compatriotes à devenir violents à son égard ?

« Nul n’est prophète en son pays » dit Jésus. Certes, les juifs accueillent Jésus comme l’un des leurs. Mais Jésus, précisément, n’est pas seulement l’un des leurs : il est prophète. Il se situe dans la lignée d’Elie et d’Elisée. Un prophète est un homme de chez nous, de la race des hommes ; mais un prophète est aussi celui qui a pour tâche, au sein de l’humanité à laquelle il appartient, d’ouvrir au mystère de Dieu. Un prophète est celui qui, au sein de la famille humaine, fait éclater la fausse douceur d’être bien entre soi. Il manifeste qu’il y a autre que nous, qu’il y a Dieu au milieu de nous. Vouloir réduire un prophète au familier c’est le tuer comme prophète. « Nul n’est prophète en son pays » dit Jésus.

Se faire violence pour devenir "doux"

La prétendue douceur des juifs de la synagogue, leur bienveillance au début n’était qu’une manière de nier que Jésus leur était aussi étranger et que nulle communauté humaine ne peut l’annexer. Leur douceur était plus meurtrière qu’une violence ouverte. Leur douceur était fausse, elle cachait une réalité : en vérité, ils ne voulaient pas d’un étranger dans leur propre patrie ; ils refusaient que soit déchirée la tranquillité d’être heureux entre soi.

Il y a plus meurtrier que la violence, c’est la fausse douceur ; c’est lorsque la douceur n’est qu’un repli sur le semblable ou le familier.

Nous ne sommes pas spontanément non-violents.
Etre non-violents, c’est en venir à accepter que l’autre soit autre et que Dieu…soit Dieu !
Etre non-violents-, c’est accepter que Dieu demeure Autre lors même qu’il réside au milieu de nous.
Etre non-violents, c’est aussi accepter que l’étranger ait droit de cité au milieu de nous sans le forcer à perdre son étrangeté. C’est cela la douceur de l’Evangile ; et cette douceur-là n’est jamais naturelle. Il faut se faire violence…pour devenir doux. Si notre douceur n’est pas le fruit d’un combat elle n’est qu’une violence qui se déguise.

Méfions-nous de la douceur quand elle semble aller de soi car une certaine douceur peut être la pire des violences que l’on peut infliger aux autres…ou à Dieu.

Christine Fontaine