Il a connu bonheur et malheur
Il a partagé le vin des noces à Cana et les rires de la fête. Il a mangé avec ses amis au point que certains prétendaient qu’il était un glouton. Il a savouré la joie d’être reconnu par Pierre et quelques autres sans jamais prétendre que ce qu’il vivait alors représentait le comble du malheur.
Il a rencontré des hommes et des femmes dans la tristesse et dans les larmes. Il a croisé des malades, des étrangers, des méprisés. Il a été considéré comme le rebut de la société, et il a vécu sa passion. Il a connu l’angoisse et la mort, mais il n’a jamais déclaré – ni pour lui ni pour les autres – que cette misère était le comble du bonheur.
Il n’a jamais dit cela avant ; il ne le répétera jamais après. Alors, que lui arrive-t-il au jour des béatitudes ? Pourquoi ce jour-là, dire aux insatisfaits, aux incompris et aux pauvres qu’ils sont bienheureux ? Pourquoi prétendre que ceux qui rient, connaissent l’amitié ou l’aisance sont enfoncés dans le malheur ?
Pourquoi, lui qui a su goûter le bonheur de vivre sans arrière- pensée, lui qui a tout fait pour sortir les malheureux de leur impasse, pourquoi, aujourd’hui, enseigne-t-il le contraire ? De quel bonheur, de quel malheur parle-t-il ?
Il suscite l’espérance
Jésus descendit de la montagne avec les douze et s’arrêta dans la plaine. Il y avait là un grand nombre de disciples et une foule de gens venus de partout. Regardant alors ses disciples, il dit…
Les paroles de Jésus sont étranges mais elles ne s’adressent pas à n’importe qui. Jésus a devant lui des foules, et parmi ces foules, des disciples. Jésus s’adresse à ces hommes qui déjà sont en route avec lui ; qu’ils vivent bonheur ou malheur, tous ces hommes sont sur le même chemin que lui.
Jésus parle à ses amis et il leur dit : « Malheureux vous les riches, malheureux vous qui êtes repus maintenant et vous qui riez maintenant, malheureux êtes-vous quand tous les hommes disent du bien de vous. » Jésus veut apprendre à ses disciples le chemin du bonheur et de la vie. Il ne maudit que pour enseigner à ses amis à ne pas tomber dans un piège. Il ne maudit que pour éviter à ses amis de se détourner de la voie du bonheur qu’ils ont prise.
Le malheur, dit Jésus à ses amis, c’est d’être acculé à craindre sans cesse les lendemains. Le malheur c’est d’être en situation d’avoir peur de la nouveauté. Les riches ont tout à craindre de l’avenir. En effet pour un riche, un vrai riche, - celui qui possède déjà tout – la seule nouveauté qui puisse survenir c’est de perdre ! « Malheureux êtes-vous, dit Jésus, demain vous aurez faim ! »
Pour un riche, pour celui qui veut mettre son bonheur dans ce que déjà il possède, l’avenir est angoissant et le présent lui-même devient incertain, marqué du sceau de la perte qui guette.
Jésus parle à ses disciples et il leur dit : « Apprenez le bonheur de vivre. Vivez là où l’avenir n’est pas à craindre, où vous avez tout à espérer du jour qui s’annonce. Le bonheur est déjà dans le manque que vous ressentez aujourd’hui : il vous permet de ne pas retenir la vie dans ce que vous possédez et dont vous pourriez croire que c’est le tout de la vie : 'Heureux vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés. Heureux vous qui pleurez maintenant, vous rirez…' »
Le bonheur des pauvres, des affamés ou des affligés n’est pas de se réjouir parce qu’il leur manque quelque chose et que ce manque serait une vertu ! Leur bonheur, c’est que ce manque les élance dans la vie ! Leur bonheur est de croire qu’ils ont de l’avenir, que demain…ils seront rassasiés et qu’heureusement le jour suivant ils auront encore faim !
Ceux-là ne risquent pas d’arrêter la vie à ce qu’ils possèdent maintenant, à ce qu’aujourd’hui ils subissent. Eux seuls peuvent comprendre que la vie promise par Dieu dépasse notre attente. Eux seuls peuvent recevoir dès maintenant ce qui surpasse notre espérance !
Il ouvre au bonheur de vivre
Le bonheur n’est pas dans ce que nous possédons. Le bonheur est du côté de l’appel, du manque qui nous ouvre à la vie qui surgit. Si nous suivons Jésus jusque-là alors, et alors seulement, comme lui nous pourrons savourer l’instant qui passe sans être habité par l’angoisse que le bonheur présent ne dure pas et que l’avenir soit tristesse.
Avec lui, comme lui, nous pourrons connaître le bonheur de partager le vin des noces et les rires de la fête, la joie de manger avec des amis et d’être estimé par nos proches. Avec lui les larmes, la faim et la tristesse elle-même pourront être bienheureuses, signe qu’il y a mieux à espérer. Nous pouvons goûter la vie sans arrière-pensée si nous croyons que la vie que Jésus nous propose sera toujours plus débordante que ce qui peut nous décevoir ou nous satisfaire dans l’immédiat. L’avenir n’est alors plus à craindre puisque, jusque dans la mort même, à en croire Jésus, la vie n’arrêtera jamais de surgir. « Heureux êtes-vous, nous dit-il, si quel que soit votre âge ou votre condition, vous êtes capables de croire que devant vous s’ouvre la vie. » Que Dieu prenne en pitié notre peu de foi et nous apprenne à le croire jusque-là !
Christine Fontaine