Un citoyen, fût-il dans une cité démocratique, ressemble aux savants dont parle Pascal. Ceux-ci doivent avouer que « la dernière démarche de la raison est de
reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ».
C’est sans doute la leçon que les Français doivent tirer de cette marche à travers Paris et toutes les villes de province ce dimanche 11 janvier 2015.
Chacun des manifestants, certes, prenait conscience que par-delà les opinions politiques qui souvent l’opposaient à ses voisins, par-delà les attentes
d’une société dont il pensait déceler les failles mieux que les autres, il était habité par un désir qui surpassait toutes les visions démocratiques
imaginables. L’autre, « l’ennemi de classe » parfois, s’avérait le frère qu’il est en vérité: il était bon d’en prendre conscience. « La cité harmonieuse »
dont parle Péguy dépasse infiniment les projets que nous sommes capables d’élaborer pour vivre ensemble. Au cœur de chaque femme et de chaque homme, caché
par la grisaille, les soucis du quotidien et toutes les forces de mort, gît le désir d’un monde où, par-delà toutes les institutions nécessaires, l’entretien
avec autrui a une dimension mystique.
Cette expérience est belle. Elle ne doit pourtant pas faire illusion. Grandiose, elle était pourtant limitée. Ceux qui sont restés toute l’après-midi devant
leur poste de Télévision, à aucun moment n’ont perçu les maghrébines des cités ; elles auraient été aisément reconnaissables par le voile qu’elles portent,
même de façon non ostentatoire. A part le très officiel recteur de la Grande Mosquée et le fameux imam de Drancy, la présence musulmane était particulièrement
discrète. Nous-mêmes, disciples de Jésus, étions sans doute dispersés dans la foule mais nos Pasteurs sont restés discrets : à peine a-t-on perçu de loin,
le soir, dans la synagogue de la Victoire, le bonnet rouge du Cardinal et le bonnet violet d’un de ses adjoints. Peut-être cette discrétion, nous avons plaisir
à le penser, était un hommage à cette force spirituelle qui échappe à tout pouvoir, fût-il religieux.
Une question plus grave est posée à laquelle nous ne savons pas répondre. Il était bon que le ministre israélien vienne dire sa solidarité avec les victimes juives
de notre pays ; nous nous réjouissons que Mahmoud Abbas ait été à ses côtés, bien sûr. Mais, avouons-le, si ce qu’on appelle « le terrorisme » est l’ennemi qu’il faut
attaquer, pourquoi aucune parole d’espérance n’a été prononcée par Monsieur Netanyahou, concernant le conflit palestinien ? N’est-ce pas lui, qui émeut tous les
musulmans de bonne volonté, ceux de notre pays particulièrement ? N’est-ce pas dans le contexte de Terre Sainte que le mot « terrorisme » a pris consistance ?
Enfin, ne nous voilons pas la face ! La victoire sur la haine n’est pas gagnée : 50 actes islamophobes, attaques de mosquées, propos racistes sont dénombrés
au lendemain de cette journée historique. La dernière démarche de cette manifestation est de reconnaître que, sans cesse, une infinité d’obstacles sont à vaincre
pour que naisse une fraternité universelle.
Plusieurs parmi nous sont membres de l'association "La Maison Islamo Chrétienne". Pour lire la déclaration que musulmans et chrétiens ont faite en commun après le 11 janvier,
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