Pour peu qu’on réfléchisse en s’efforçant d’être calme, on se rend bien compte que le sentiment de culpabilité est constamment présent dans la vie affective, comme en sommeil et prêt à se réveiller à la moindre occasion. Je veux dire par là qu’il n’est pas « accidentel » de se sentir coupable ; c’est une virtualité toujours présente et prête à se manifester. Dans la vie courante, l’important est que le surgissement ne se produise pas trop en dehors d’une culpabilité réelle, c’est-à-dire d’une situation où l’on a réellement été l’auteur d’une souffrance ou d’un désordre négatif (car il peut y avoir, parfois, des désordres positifs, qui bouleversent un ordre devenu étouffant…). L’important est aussi que ce sentiment ne submerge pas le sujet qui l’éprouve, et soit, proportionné, si l’on peut ainsi parler, à ce qui s’est passé. Sinon, les frontières sont vite franchies de « l’univers morbide de la faute ». (…)
Cet homme, Ieshouah de Nazareth, qui n’était humainement rien d’extraordinaire – ni « docteur », ni aristocrate, ni « membre du clergé » - un humble sorti des humbles – cet homme donc a été perçu progressivement, par ceux qui n’étaient pas prisonniers d’un système, comme étant personnellement la parole qui cherchait à s’articuler depuis Abraham. Le Verbe ; non plus le « porte-parole », comme étaient les prophètes, mais la parole elle-même. « Dieu » qui s’exprime dans l’humble réel de l’existence et non dans de spectaculaires « liturgies ».
Et l’un des aspects essentiels, sinon même le plus central de cette parole, c’est qu’elle est un pardon. Et un pardon exprimant l’amour. (…)
Le par-don.
Pardonner est plus que donner. C’est donner en plus, alors que redonner, ce n’est que rendre ce qui était perdu. Dans le pardon, on rend, bien sûr, mais dans l’attitude elle-même il s’ajoute quelque chose de jaillissant, de gratuit, qui est « injuste en plus », alors que l’offense est « injuste en moins ». Le par-don déborde les exigences de la justice, parce qu’il est sans doute l’ultime expression de l’amour.
Marc Oraison
Peinture de Nerina Canzi
1- Marc Oraison, extraits de La culpabilité, Ed.du Seuil 1974, pages 29, 116 et 118. / Retour au texte