Liberté, égalité, fraternité
La liberté, l’égalité et la fraternité sont la devise de la république française. Cependant entre les deux premiers termes et le troisième, il existe une différence fondamentale. On peut faire des lois instaurant plus ou moins de liberté ou d’égalité dans une société. Les lois seront d’autant plus humaines qu’elles permettront des relations fraternelles. Cependant, aucune loi ne peut imposer de vivre en frères. La fraternité ne peut jamais s’imposer : il serait absurde de contraindre quiconque à aimer son voisin. Imposer de vivre en amis tuerait la possibilité d’une quelconque amitié. La liberté et l’égalité peuvent conduire à la fraternité mais elles ne sauraient l’imposer. Comme nous le savons tous trop bien, les deux premières devises de la république peuvent tout autant générer une société de l’individualisme et de la compétition entre les humains. La liberté et l’égalité ainsi que les lois qu’elles génèrent s’arrêtent au seuil de la fraternité.
Je suis évidemment d’accord avec Anne Soupa pour reconnaître que le statut des femmes dans l’Église catholique est profondément injuste : en grande majorité ce sont elles qui font le travail sans jamais avoir accès aux instances de décisions pastorales. Puisque l’égalité rend - si ce n’est obligatoire du moins possible - une société fraternelle, réclamons l’égalité entre femmes et hommes dans l’Église. Tel est l’argument des partisans de la candidature d’Anne Soupa. Selon le mode de fonctionnement de nos sociétés laïques, ils ont raison. Selon les évangiles, selon moi, ils ont tort. En effet la fraternité qui est une finalité possible des lois de la République doit être non seulement le point de départ mais la seule loi des disciples de Jésus-Christ. Les partisans de la démarche d’Anne Soupa disent : « Revendiquons l’égalité. » Jésus, au terme de sa vie terrestre, ne donne qu’une seule loi à ses amis : « Ce que je vous commande c’est de vous aimer les uns les autres (…) Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » Il fait une loi de ce qui excède toute loi et abroge toutes les autres. C’est dans cet « excès » que les chrétiens sont appelés à vivre et à demeurer. Choisir de vivre sous une loi qui excède toutes les autres n’est pas, selon moi, une stratégie possible mais le seul contenu de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, du début à la fin. C’est le Chemin.
Notons que ce commandement de l’amour mutuel, lorsque Jésus le formule, ne s’adresse pas à tout le monde mais à ceux que Jésus « appelle » ses amis. Le mot « Église » signifie l’ensemble de ceux que Dieu appelle ou convoque. C’est donc à l’Église que ce commandement s’adresse. En ses commencements, il lui est proposé et non imposé de faire le choix de l’amour mutuel : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » Une fois cette décision prise, il s’agit de s’y tenir envers et contre tout. Quoi de plus simple que de vivre en amitié… entre amis, dans un entre-soi confortable. Mais Jésus précise juste après, dans la dernière prière qu’il adresse à son Père : « Je ne te prie pas de les retirer du monde mais de les garder du mauvais. » Entre frères – au sein d’une même famille, celle de Dieu en l’occurrence – ce qui arrive de joyeux comme de triste aux uns fait aussi la joie et la tristesse des autres. Les compétences et les charismes de chacun alimentent la vitalité du groupe. Au sein d’une fraternité – si elle est vraie - on met tout en commun, autant les bien matériels que spirituels. Il n’y a pas de place pour l’esprit de parti ni pour la vaine gloire. Mais il n’en va pas ainsi dans le monde d’où cette fraternité est appelée à ne pas se retirer. Dans ce monde, au sens où Jean l’évangéliste l’emploie, on est prêt à écraser les autres pour faire prévaloir ses propres intérêts ou ceux de son camp. On s’entretue pour défendre son territoire ou sa place au soleil. C’est dans ce monde-là que les amis de Jésus auront à vivre. C’est à ce monde qu’ils auront à s’affronter.
En donnant ce commandement de l’amour mutuel comme unique loi à ses amis, Jésus ne demande pas à chacun d’aimer le monde entier mais de s’aimer entre eux afin que leur groupe soit assez fort pour résister aux assauts du « mauvais » c’est-à-dire à toute forme de volonté de puissance des uns sur les autres… En effet, ce goût à vouloir accéder à une place au moins égale si ce n’est supérieure génère un monde de rivaux et entraîne l’humanité à sa perte. Entre eux, les amis de Jésus doivent demeurer enracinés, fondés dans un Amour qui a sa source en Dieu. Ainsi seront-ils capables de combattre "l'esprit du monde" envers et contre tout, jusqu'à y laisser leur vie. Peut-être serait-il bon que ceux qui veulent être prêtres ou évêques en se référant aux premiers siècles n’oublient pas qu’ils furent aussi les siècles des martyres et des catacombes.
Comment sortir du cléricalisme ?
Il se trouve que cette communauté « ordonnée » par Jésus-Christ – dont l’ordre repose sur l’amour mutuel – est aujourd’hui minée de l’intérieur par le cléricalisme ou le paternalisme qui est une forme plus diluée mais non moins prégnante de cléricalisme. À ses disciples Jésus avait recommandé de n’appeler jamais personne sur la terre « père » car ils n’ont tous qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. On peut dire sans mentir que de nos jours c’est loin d’être gagné.
Qu’est-ce que le cléricalisme ? Ce n’est pas seulement le goût du pouvoir mais sa sacralisation sous couvert de service. Il consiste à s’imposer aux autres sous prétexte de les gouverner, de les sanctifier et de les instruire. Un clérical n’écoute personne. Ni la société qui l’entoure, ni les fidèles qui composent la communauté qui lui est confiée. Il peut paraître le faire en organisant des réunions, des synodes ou des Équipes d’Animation Pastorale. En réalité il fait semblant : il n’organise pas ces temps de concertation dans le but de se laisser déplacer par ce qu’il entendra mais dans celui de diffuser la morale, la bonne parole officielle ou… son aura. Il peut donner la responsabilité d’une communauté à des laïcs mais il veille à ce qu’ils ne soient pas compétents au point de pouvoir lui exposer un point de vue circonstancié mais différent du sien. Le comble du cléricalisme a été atteint pendant cette période de confinement où la toile a été envahie par une pléthore de prêtres enchasublés se filmant eux-mêmes en train de dire la messe et montrant ainsi, consciemment ou non, à quel point les fidèles ne pouvaient pas vivre sans eux. Sans parler des prêtres bénisseurs qui, munis du Saint Sacrement, survolaient en avion des villes atteintes du coronavirus ou de ces autres qui se faisaient filmer en train de confesser en drive et distribuaient l’absolution comme on vend un hamburger dans les MacDo. Ces prêtres oublient qu’ils n’ont aucun pouvoir de « sanctifier » sans la foi des fidèles. Que cette confiance leur soit retirée et ils s’agitent en vain. Mais il n’est pas envisageable pour eux de considérer que cette confiance qui leur est accordée leur impose de faire confiance aux fidèles afin qu’ensemble ils ajustent leurs points de vue sur l’Église et le monde. Jésus voulait une communauté « ordonnée à Dieu » dans laquelle le même esprit d’amour mutuel circule entre les membres. Dans ce groupe les compétences et les charismes des uns n’entraient pas en rivalité avec ceux des autres. Aujourd’hui nombre de laïcs, femmes ou hommes, ont une compétence théologique au moins aussi grande que celle des clercs - sans parler de la profondeur en humanité indispensable pour exercer une tâche pastorale – mais les cléricaux refusent de les considérer comme des partenaires dignes de confiance.
Certes l’Église est depuis toujours faite d’hommes pécheurs qui ne sont pas exempts du désir d’affirmer leur pouvoir les uns sur les autres. Mais normalement – selon la loi de l’amour mutuel - nous sommes chargés de nous aider mutuellement à lutter contre cette tentation. « Ne réservez rien à l’esprit de parti, rien à la vaine gloire », écrit Saint Paul aux communautés de l’Église primitive. Normalement, dans ce groupe fraternel, on devrait se réjouir des compétences, de la créativité et des charismes de chacun : ils contribuent tous à la vitalité du corps entier. Tout responsable de communauté devrait non seulement ne pas les éteindre mais les faire émerger. C’était le cas dans l’Église primitive. Aujourd’hui on étouffe l’Esprit des laïcs qui désirent se mettre au service de l’Église. Les cléricaux ont peur d’eux car, à leurs yeux, ils risquent de devenir des concurrents. Ils ne peuvent les concevoir qu’à leur image ! Ils sacralisent leur goût du pouvoir en prétendant que cette séparation entre ceux qui ont été ordonnés (les clercs) et les fidèles est voulue par Dieu alors que Jésus-Christ voulait que sa communauté entière soit ordonnée à Dieu et se traduise dans une vie fraternelle où des fonctions et des charismes différents se déploient sans aucune supériorité des uns sur les autres. Il est vrai que cette sacralisation du pouvoir clérical ébranle l’Église jusqu’en ses fondements. Mais que faire ?
Un grand nombre quitte cette institution minée de l’intérieur. Ils ne perdent pas la foi pour autant. C’est même parce qu’ils sont croyants qu’ils la quittent. Mais on ne peut pas tenir dans la foi tout seul très longtemps, aux dires même de Jésus. Certains inventent à leur manière une vie fraternelle hors les murs. Mais pour la plupart d’entre eux, la foi s’individualise avant de se pulvériser. Anne Soupa veut faire pression sur la hiérarchie et invite à la suivre dans cette voie : « Je les (les femmes) invite donc à candidater partout où elles se sentent appelées, que ce soit à devenir évêque ou à toute autre responsabilité qui leur est aujourd'hui interdite.  » Elle désire former un mouvement pour faire pression sur l'institution afin d'obtenir que le droit à l’égalité femmes-hommes soit reconnu dans l’Église autant que dans la société. J’ignore qui de leur mouvement ou de la hiérarchie l’emportera à terme. Mais, d’une part, il me semble vraiment qu’ils se trompent de combat car le cléricalisme n’est pas d’abord un pouvoir qui s’exerce contre les femmes mais contre les laïcs et contre les prêtres ou les évêques… qui ne sont pas cléricaux. D’autre part ce jeu du pouvoir et du contre-pouvoir est nécessairement régi par la loi du plus fort. C'est reconnaître, au moins implicitement, que la seule loi que Jésus donne à son Église – celle de l’amour fraternel – est périmée, désuète ou inefficace. Elle serait de l’ordre de la piété pour des personnes confites en dévotion. Autrement dit que la loi du monde – celle des puissants – est quand même la seule qui soit réaliste si l’on veut obtenir un jour quelque chose. Prendre ce chemin c’est s’avouer vaincu sans même combattre. Or je ne m’avoue pas vaincue !
Si c’est le pouvoir que nous cherchons, la voie d’Anne Soupa est nettement plus efficace pour l’obtenir un jour. Mais si c’est le Dieu de Jésus-Christ que nous cherchons passionnément, à mon avis, nous ne le trouverons pas d’avantage dans le mouvement d’Anne Soupa – pas même dans son aspect qui se veut prophétique - que dans le cléricalisme qui mine actuellement l’Église. En apparence ils semblent fonctionner l’un contre l’autre, en fait ils ont partie liée comme les deux faces d’une même médaille.
Le langage de la Croix
Entre pouvoir et contre-pouvoir Jésus-Christ insère un 3ème terme qui force les deux autres à lâcher prise. Ce troisième terme consiste en l’abandon de tout autre pouvoir que celui de demeurer dans une fraternité qui se propose sans jamais s’imposer et dont les membres préfèrent tout perdre – même le petit fragment de responsabilité qui leur reste au sein de l’Église – s’il prend à leurs ennemis le goût de la leur retirer. C’est le langage de la croix dont Saint Paul nous dit : « Il est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. L’Écriture dit en effet : La sagesse des sages, je la mènerai à sa perte, et je rejetterai l’intelligence des intelligents. Que reste-t-il donc des sages ? Que reste-t-il des scribes ou des raisonneurs d’ici-bas ? La sagesse du monde, Dieu ne l’a-t-il pas rendue folle ? (…) pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que l’homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme » (1 Corinthiens 1,17…25).
Seul le Christ peut demeurer dans un amour sans limite à l’égard non seulement de ses amis mais des puissants pour qui il est l’ennemi à abattre. Lui seul peut atteindre ce degré de liberté à l’égard des puissants puisqu’il préfère mourir sous leurs coups plutôt que d’exercer sur eux la moindre emprise. Il meurt d’amour. Il meurt parce que l’amour ne peut jamais s’imposer mais seulement se proposer et s’exposer à n’être pas reçu. Il meurt en appelant le pardon de son Père sur cette pauvre humanité qui décidément n’aime pas l’amour et qui n’emploie si souvent ce mot que pour le pervertir en convoitise. Ce faisant il révèle le vrai visage de Dieu : non celui d’un Juge ou d’un Maître Tout-Puissant qui impose ses lois à l’humanité et punit ceux qui ne s’y soumettent pas. Ce Dieu-là est celui que l’humanité a fait à son image. Mais un « Père-Tout-Puissant » dont la puissance est tout entière d’amour, sans qu’on ne puisse jamais rien en retrancher ou y ajouter. Un Dieu Père qui propose à l’humanité de la ressusciter à son image en suscitant et ressuscitant sans cesse, au sein de l’humanité, un peuple de frères.
Seul le Christ peut demeurer dans cet amour inconditionnel mais il propose à ses amis de faire corps avec lui pour qu’il leur soit donné – grâce à la brèche qu’il a ouverte au sein de l’humanité - de commencer une vie nouvelle. Une vie où nous attendons de Dieu la force de combattre ce goût du pouvoir qui conduit l’humanité à sa perte. Une vie de combat où, de limite en limite, dans l’impossibilité de descendre plus profond dans l’amour, le disciple du Christ apprend l’humilité quand, dans sa chair blessée par l’injustice qu’il commet ou celle qui s’abat sur lui, il s’écrie : « Dieu, viens à mon aide ! Seigneur à notre secours ! Cette fois, c’en est assez, je ne peux pas aller plus loin ! Je me couche et je dors ! Je n’en peux plus de m’affronter à ces puissants et à cette volonté de puissance qui m’habite. Ces ennemis m’assiègent de toute part ! » Celui-là, comme le prophète Elie, reçoit la Parole de son Seigneur qui - après l’avoir laissé dormir quand même quelque temps - lui dit : « Lève-toi et mange car sinon le chemin sera trop long pour toi ! » C’est à cela qu’on reconnaît les vrais des faux prophètes, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament.
Des parcelles de fraternité
Anne Soupa propose un objet très concret à son combat - l’accès au presbytérat et à l’épiscopat des femmes. Je propose une dimension spirituelle ou mystique qui n’a pas d’objet précis si ce n’est de rester dans la cohérence de l’évangile jusqu’au bout et sans savoir d’avance où cela nous mènera. Évidemment il est bien plus porteur de fixer un objet précis à un combat – même s’il est faux – que d’indiquer la voie de la pauvreté et de la dépossession, une voie qui pour être spirituelle ou mystique n’en est pas moins incarnée. Cependant je ne vois, pour ma part, pas d’autre chemin possible.
Michel de Certeau écrivait déjà dans les années 1970 : « Quant à l’expérience chrétienne au cœur de la modernité, elle prend la mesure de sa fragilité ; elle emprunte les chemins non tracés de l’expérience mystique qui a déjà une histoire ancrée dans une expérience temporelle et aujourd’hui voici qu’elle se fait collective, comme si le corps tout entier des Églises, et non plus quelques-uns individuellement blessés par l’expérience mystique, devait vivre ce que le christianisme a toujours annoncé : Jésus-Christ est mort… Il s’agit d’accepter d’être faible. (1) »
Entre pouvoir et contre-pouvoir, une autre voie est ouverte : celle de la Pauvreté et de l’Humilité. Cette voie, personne ne peut décider à la place d’un autre de la suivre. Elle fait toujours l’objet d’un choix personnel qui, dans chaque circonstance de la vie, est à renouveler. Cette voie, qui était celle des religieux dans le passé, devient aujourd’hui celle de tout chrétien qui cherche Dieu dans l’Église. En avançant sur ce chemin, on passe de la peur de perdre, au risque de perdre et finalement à la chance d’avoir couru le risque de tout perdre… pour y avoir trouvé Dieu et par surcroît tout le reste ! Avec Lui, nous recevons la liberté de parler : puisqu’on n’attend rien des Puissants on n’a plus rien à craindre d’eux. Avec Lui, nous découvrons que des frères étaient bien présents – le présent de Dieu - mais qu’on ne les voyait pas. Ces combats entre pouvoir et contre-pouvoir nous aveuglent. Ils nous empêchent de tourner les yeux du côté des humbles et des petits, de voir que tel homme, telle femme, tel religieux, tel prêtre - ou tel évêque peut-être - cherchent comme nous des partenaires dans la foi au Dieu de Jésus-Christ. Des clercs, des religieux, des laïcs s’ils sont croyants - dans et hors de l’institution – souffrent comme nous de ne pas pouvoir entrer en conversation les uns avec les autres. Une vraie conversation où chacun consent à se laisser toucher et déplacer par le point de vue de l’autre. Mais ceux-là, en général, ne recherchent pas le feu des projecteurs… il faut se laisser guider par Dieu ou par des frères en qui nous avons toute confiance pour les trouver sans trop risquer de nous tromper.
« Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux. » Cette béatitude est au présent. Elle met le royaume à notre portée dès maintenant. Car c’est bien une Église que les pauvres de Dieu ont le bonheur de trouver, de susciter et de ressusciter dès aujourd’hui. Quand on ne cherche plus à voir grand, on découvre que des ilots de fraternité – des Portioncules (2) – demeurent au sein de l’institution. On découvre aussi que d’autres existent parmi ceux qui ont pris le large vis-à-vis de la hiérarchie depuis longtemps. On découvre que tel couple n’ayant plus aucune pratique religieuse est animé par la foi au Dieu de Jésus-Christ au point de faire de sa demeure une hôtellerie où l’on peut s’installer gratuitement. On découvre qu’un frère – ennemi de tout paternalisme - anime une communauté d’homosexuels et de transgenres qui trouvent avec lui un lieu où ils peuvent être libres devant Dieu et entre eux. On pourrait multiplier les exemples. Les uns comme les autres ne sont-ils pas comme "des éclats de lumière à la surface de la mer" (3) ?
Aujourd’hui, nous ne pouvons rien faire d’autre que cultiver la fraternité au nom de Jésus partout où c’est possible, sans nous soucier du reste. Mais y a-t-il jamais rien eu d’autre à faire ? Il ne s’agit pas nécessairement de construire de petites communautés en marge de l’institution mais de nous aider à vivre une fraternité hospitalière, ouverte en particulier à ceux qui sont en manque de pain autant que de reconnaissance et d’amitié. Il s’agit simplement de vivre des relations fraternelles qui nous permettent de reconnaître entre nous que nous sommes l’un de ces pauvres : bien pauvres en amour, mendiants d’amour, mendiants de Dieu mais que le Dieu de Jésus-Christ sera toujours plus pauvre que nous puisque nous lui manquons bien plus qu’il ne nous manque : « Il n’y a pas d’ami sûr pour un pauvre s’il ne rencontre un plus pauvre que lui » écrit Paul Claudel.
Cette vie de l’Église – de ceux que Dieu convoque - ne se laisse pas circonscrire dans la forme hiérarchique actuelle. Elle éclate de toute part. Les uns aujourd'hui redoutent le manque de prêtres. Les autres réclament le presbytérat ou l'épiscopat pour les femmes. Mais les uns comme les autres n'envisagent le présent et l'avenir que dans le cadre de l'institution qu'ils connaissent. Le nombre de croyants hors les murs augmente sans cesse. Ils ne reviendront probablement jamais dans cette institution qu'ils ont fuit... Le fait que des femmes soient ordonnées prêtres ou évêques, à mon avis, n'y changera rien. La seule question qui vaille, me semble-t-il, aujourd’hui est : « Le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi la terre ? » S’il trouve des croyants c’est à leur goût pour une fraternité qui passe par le signe de la Croix qu’on les reconnaîtra : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples. » Cette Église-là, à coup sûr, est et sera « ordonnée à Dieu ». « Si deux ou trois sont réunis en mon nom, dit Jésus, je suis là au milieu d'eux. » Il suffit d'être deux ou trois, ou des ilots de deux ou trois mais il faut être au moins deux ou trois pour qu'Il soit là au milieu de nous. Alors nous pouvons reconnaître que si la Croix est le propre du christianisme, bien d'autres que nous - juifs, musulmans, athées agnostiques - refusent cette volonté de puissance qui tue l'humanité. Et avec eux, nous combattons pour un monde où personne ne sera méprisé, surtout pas les petits.
Pour conclure, je partage totalement le point de vue de Michel de Certeau qui écrit :
« La foi chrétienne est expérience de la fragilité, moyen de devenir l’hôte d’un autre qui inquiète et fait vivre. (...) Il s’agit d’accepter d’être faible, d’abandonner les masques dérisoires et hypocrites d’une puissance ecclésiale qui n’est plus (...). Le problème n’est pas de savoir s’il sera possible de restaurer l’entreprise ‘Église’, selon les règles de restauration de toutes entreprises. La seule question qui vaille est celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces ouvertures priantes, errantes, admiratrices? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans cette expérience de foi, qui y reconnaissent leur nécessaire, il leur reviendra d’accorder leur Église à leur foi...» (4)
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Christine Fontaine, le 24 juin 2020
Fresques des catacombes de Rome
1- Michel de Certeau La faiblesse de croire, Éditions du Seuil 1987 / Retour au texte
2- La Portioncule est le lieu de naissance de la fraternité suscitée par François d’Assise. / Retour au texte
3- L’expression est de Michel de Certeau. / Retour au texte
4- Michel de Certeau La faiblesse de croire, Éditions du Seuil 1987 / Retour au texte