Dans une de ses nouvelles intitulée Joie, Isaac B. Singer, cet aïeul débordant de souvenirs, raconte la mort du rabbin Bainish. Au seuil de la chambre où
il s’était couché, le rabbin vit ses enfants et son père que retenait un mystérieux et invisible obstacle. De chacun d’eux émanait une lumière
différente. « C'est donc cela, pensa le rabbin. Eh bien, à présent, je comprends tout… » Sa femme sanglotait, il voulut la consoler, mais eut juste
le temps de murmurer pour son disciple le plus proche : « On devrait toujours être joyeux… » Ce furent ses dernières paroles.
Et cette femme, romancière, face à face avec le vieux philosophe, dans un de ces salons qui travestissent et révèlent à la fois…
« Qui est Dieu pour vous ? » questionne le philosophe.
La femme recherche en sa mémoire les définitions, les certitudes acquises. Pour répéter… ces abstractions qui tiennent lieu de présence… Le philosophe écoute,
attentif et surpris. Silencieux.
« Et pour vous ? » risque la romancière.
Silence.
Puis en un murmure, - éblouissant plus que l’aube visitant la nuit : « Je l’aime, je l’aime… »
Un homme habité – comme l’eau de la fontaine vibrante de soleil -, parce que traversé par l’assaut de ce soleil invisible inconnu de la plupart.
Qui du sein de son savoir découvre le silence – comme s’engendre au cœur de la nuit le sourire de lumière qui parle de l’obscur.
Qui porte trace de la blessure : fascinante est la brûlure.
Qui aime…
Ce Dieu…
Comme la source, et ce grand vent transfigurant qui passe en nos visages.
Oui comme la source, cristal du désert qu’en nous l’enfant désire chemin mystérieux qui va vers l’intérieur.
D’où jaillissent en nos racines l’espérance et l’amour. Et la joie.
Et point n’est besoin de m’appeler Dmitri Fiodorovitch Karamazov pour m’écrier : « Vive Dieu et sa joie divine. Je l’aime. »
Jean-Claude Caillaux
Peintures de Dominique Penloup (détails)