Le Royaume de Dieu n’est pas un ordre établi, mais quelque chose de vivant, qui vient… Longtemps il a été éloigné, puis s’est rapproché, maintenant il est si proche qu’il demande à être accueilli.
Le Royaume de Dieu est là où Dieu règne.
Que se passe-t-il, quand Dieu règne ?
Ou plutôt, demandons-nous : « Qui règne en moi ? » Ce sont surtout les hommes ; ceux qui me parlent, que je lis, que je fréquente, qui se dérobent… Les hommes que j’aime, auxquels je suis obligé, dont j’ai soin, que j’influence…
Ce sont eux qui règnent en moi…
Dieu ne règne que dans la mesure où la conscience que j’ai de lui réussit à s’imposer à moi malgré les hommes…
Il y a aussi les choses qui règnent en moi…
En vérité, Dieu ne règne pas en moi. Tout arbre que je rencontre sur ma route semble avoir plus de réalité que Dieu, ne fût-ce que parce qu’il me force à l’éviter.
Qu’en serait-il si Dieu régnait ?
Alors je saurais, non par une pénible déduction, mais de moi-même, par une rencontre permanente et vivante, qu’il est.
Comme je sais ce que je dis quand je parle d’une prairie dont j’ai vu la végétation luxuriante, dont j’ai senti la fraîcheur, mon cœur et ma volonté, le saisiraient dans une expérience continuelle, comme le Saint, qui juge toutes les valeurs et, connaissant le Bien absolu, donne aux choses leur bonté relative… Son appel viendrait jusqu’à moi et j’appréhenderais, bouleversé et bienheureux, que ma personne humaine n’est que la manière dont Dieu m’appelle et dont je dois répondre à son appel. Et je reconnaîtrais… la sainte communauté d’amour entre Dieu et moi, formant mon destin…
Si tout cela existait et se développait, ce serait le Royaume de Dieu. Mais chez nous, c’est le royaume de l’homme, des choses, des puissances, des événements, des institutions et des intérêts terrestres qui masquent et refoulent Dieu…
Voici que Jésus proclame que le moment est arrivé, qu’au royaume des hommes, au royaume des choses, au royaume de Satan, doit succéder le royaume de Dieu. L’attente des prophètes doit être enfin comblée, dans le peuple élu, dans toute l’humanité. La puissance divine approche et veut prendre le pouvoir, elle veut pardonner, sanctifier, illuminer, diriger et renouveler toute chose par la grâce divine.
Mais sans violence, en ne faisant appel qu’à la foi et au libre don des hommes.
Romano Guardini
Peinture : Rouault "Adoration des mages"