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Dimanche des Rameaux et de la Passion

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 11, 1-10

Quelques jours avant la fête de la Pâque, Jésus et ses disciples approchent de Jérusalem, de Bethphagé et de Béthanie, près du mont des Oliviers. Jésus envoie deux de ses disciples : « Allez au village qui est en face de vous. Dès l'entrée, vous y trouverez un petit âne attaché, que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Si l'on vous demande : 'Que faites-vous là ?' répondez : 'Le Seigneur en a besoin : il vous le renverra aussitôt.' » Ils partent, trouvent un petit âne attaché près d'une porte, dehors, dans la rue, et ils le détachent. Des gens qui se trouvaient là leur demandaient : « Qu'avez-vous à détacher cet ânon ? » Ils répondirent ce que Jésus leur avait dit, et on les laissa faire. Ils amènent le petit âne à Jésus, le couvrent de leurs manteaux, et Jésus s'assoit dessus. Alors, beaucoup de gens étendirent sur le chemin leurs manteaux, d'autres, des feuillages coupés dans la campagne. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni le Règne qui vient, celui de notre père David. Hosanna au plus haut des cieux ! »

Pour une lecture du récit de la Passion selon saint Marc, aller à la page :
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Grandeur et Misère
Michel Jondot

Voici l'homme !
Christine Fontaine

Faut-il en rire ou en pleurer ?
Michel Jondot


Grandeur et Misère

« La condition des grands »

Pascal a écrit une jolie parabole pour évoquer « la condition des Grands » de ce monde. Il s’agit d’un pauvre homme qui fait naufrage au milieu de la mer. Le flux et le reflux des vagues le ballotent pour le déposer sur une île lointaine et inconnue. Miracle ! Le voyant sortir des eaux, la population l’acclame ; ce naufragé avait l’allure et le visage de leur roi qui était disparu. On voit en lui son retour. L’homme se laisse prendre au jeu : il accepte, pour survivre, d’exercer au mieux les responsabilités qu’on attend de lui, sans être dupe des illusions de la foule. Il sait bien que, dans le fond, il n’est qu’un miséreux dépossédé de tout. Les Grands de ce monde, eux non plus, ne doivent pas s’aveugler en exerçant leur pouvoir. Leur grandeur n’est qu’un leurre. Qu’ils se gardent d’oublier leur pauvreté fondamentale !

Grandeur et misère : telle pourrait être l’expression pour désigner le sens de cette fête des Rameaux. Les deux mots traduisent les situations qu’évoquent le début et la fin du texte de la Passion selon St Marc. Tout commence par une concertation entre les grands prêtres qui s’interrogent sur la façon d’exercer leur pouvoir : « Ils cherchaient comment arrêter Jésus. » Le récit se termine par la mise au tombeau d’un pauvre homme mort misérablement sur la croix.

Face aux autorités

Du début à la fin, le récit met en scène ce malheureux face aux puissants de ce monde. Le voilà d’abord aux prises avec les autorités religieuses, dans le palais du premier des Grands prêtres, entouré de ses dignitaires, « les grands prêtres, les anciens et les scribes ». On le voit ensuite devant Pilate, le gouverneur de l’Empire romain ; celui-ci mène son interrogatoire de la façon que lui imposent ses hautes fonctions. Grand Prêtre et gouverneur ont des hommes sous leurs ordres pour exécuter leurs décisions. Les grands prêtres envoient leurs gardes, « une foule armée d’épées et de bâtons ». « Ils mirent la main sur lui et l’arrêtèrent » et l’amenèrent chez le Grand Prêtre d’abord et, ensuite, « après l’avoir ligoté, ils le livrèrent à Pilate ». Celui-ci avait ses soldats, centurions et hommes de troupe. Ils l’emmènent au palais du Gouverneur avant l’interrogatoire et ensuite au Prétoire.

La dérision du pouvoir

Avec la comparution devant Pilate, le thème de la royauté s’introduit dans le récit. Jésus ne conteste pas le Romain qui le considère comme le Roi des Juifs : « tu l’as dit, je le suis. » En réalité, cette royauté ne s’affirme pas dans l’exercice d’un pouvoir mais dans la plus extrême détresse. Elle entraîne les moqueries sadiques des soldats qui s’inclinent devant lui par dérision, comme devant un monarque ; ils l’habillent de pourpre, la couleur des vêtements de l’Empereur et lui font une couronne d’épines. On avait écrit sur la potence : « Le roi des Juifs. » Alors les valets du Grand Prêtre se gaussent à leur tour : « Qu’il descende de sa croix, le roi d’Israël ! » En ce point de détresse extrême, par miracle, un officier de l’armée romaine comprend tout : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! » Qui donc est Dieu ? On dit de Lui qu’il est Tout-Puissant et qu’il nous domine d’en-haut. En réalité la Toute-Puissance de Dieu n’est pas au-dessus de nous pour nous écraser ; Il est avec nous, dans notre misère, pour nous aimer.

Ne soyons pas dupes

Les hommes, dans toutes les civilisations, se structurent de telle sorte que des rois, des Présidents ou des chefs exercent leur emprise sur des sujets ; ils considèrent ce pouvoir comme une dignité. Fâcheuse illusion qui souvent est à la source de violence et d’aliénation.

La fête des Rameaux invite les croyants à ne pas être dupes des pouvoirs auxquels ils sont soumis. La liturgie du jour commence par l’évocation d’un événement étrange ; à l’époque romaine, un général victorieux faisait une entrée triomphale dans la Ville. Des chars s’avançaient remplis des richesses acquises sur l’ennemi et la foule acclamait le vainqueur porté sur un char tiré par quatre chevaux. On dirait que l’arrivée de Jésus à Jérusalem est une manière de caricaturer et de mépriser un pouvoir dominateur de cette espèce. Curieux roi que ce provincial monté sur un ânon, entouré par des gosses qui crient ; ils étalent des haillons sur le sol en guise de tapis et agitent en braillant quelques branchages arrachés aux arbres du chemin. C’est le prélude au mystère de la Croix. On commence à avoir de quoi se moquer.

Il est peu probable que beaucoup de lecteurs de cette homélie soient au nombre des grands de ce monde. Il est vraisemblable, en revanche, que beaucoup aient quelque responsabilité : le chef d’entreprise par rapport à ses employés, le maître par rapport à ses élèves, le médecin par rapport à ses patients, les parents par rapport à leurs enfants, l’officier ou le sous-officier par rapport à ses subordonnés, les conjoints l’un par rapport à l’autre. Que tous, et en particulier ceux et celles qui disposent d’un pouvoir important, prennent garde : leur dignité ne vient pas des charges qui leur sont confiées mais de leur pauvreté. Les honneurs auxquels ils ont sans doute droit ne doivent pas masquer leur faiblesse : elle nous fait entrer dans le mystère de Dieu. Devant Jésus ridiculisé aux yeux de tout Israël, aux dires de l’Evangile de Jean, Pilate aurait dit « voici l’Homme ». Cet homme, comme on le comprend souvent, n’est pas l’individu de Nazareth mais l’ensemble de l’humanité. Pascal a su le faire entendre : en chacun de ses membres, fussent-ils rois, couve cette misère fondamentale qui donne chair au Fils de Dieu.

Michel Jondot


Voici l'homme !

Ils couvrirent le visage de Jésus d’un voile.
La face du Fils de l’homme est cachée. Le voile se lève sur la face obscure de l’humanité.

Toutes les forces de mort que l’homme cache en lui-même apparaissent au grand jour. Toutes les forces de mort qui se déchaînent entre les hommes s’acharnent contre Jésus.

Judas a choisi le parti du pouvoir et de l’argent. Pierre ment et trahit. Les grands-prêtres jaloux de leur prestige, veulent à tout prix se débarrasser de celui qui risque de les concurrencer aux yeux des foules. Pilate voit bien que c’est par jalousie qu’on livre Jésus, mais il ne veut pas risquer un conflit avec les chefs religieux. Orgueil, lâcheté, peur, fuite, goût du pouvoir, jalousie, mensonge, injustice s’abattent contre Jésus . Mais encore et encore : les soldats profitent de l’occasion pour cracher, gifler, humilier le faible livré entre leurs mains ; le plus grand nombre est pris par d’autres occupations et ne va pas s’arrêter de vivre parce qu’on tue un innocent !

Ils couvrirent le visage de Jésus d’un voile.
La face du Fils de l’homme est cachée. Le voile se lève sur la face obscure de l’humanité.

Voici l’homme ! Voici le vrai visage de l’homme ! Insoutenable spectacle ! Nous voudrions bien nous voiler la face, détourner les yeux… Nous n’aimons pas que la face obscure de l’humanité apparaisse au grand jour.

Tout ce qui est obscur viendra à la lumière avait dit Jésus.
Voici l’homme, voici les forces de destruction qui habitent le cœur de l’homme. Lorsque l’humanité – et chacun dans l’humanité – veut être son propre maître, lorsque l’humanité est livrée à elle-même, lorsqu’elle exclut Dieu. Voilà ce qui subsiste en elle !

Voici ce que je suis par moi-même. Voici ce que je suis sans Dieu.

Mais en cette heure où les ténèbres recouvrent la terre, devant moi, voici l’Homme, la Sainte Face, la face lumineuse de l’homme, la face de Dieu !
A l’heure où toutes les forces de mort s’abattent sur lui, Jésus demeure en Dieu ! « Père, ta volonté et non la mienne ! » Jésus se fait obéissant jusqu’à la mort en Croix. Il préfère l’obéissance à son Père. « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! » ricanent les chefs des prêtres. Non, il ne le peut pas, il ne le veut pas. Il ne le fera pas. Il ne sortira pas de la volonté de son Père. Jusqu’au bout il s’en remet au Père. Il s’en remet à la Toute-Puissance de son Amour.

Voici l’Homme ! Voici la face de lumière de l’homme ! Voici le Fils de Dieu !

L’humanité entière se ligue pour ôter la vie de Jésus, mais avant même qu’on s’en prenne à lui, il donne ce qu’on veut lui prendre, et c’est l’Eucharistie.
Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne.

Nous n’avons rien pris à Jésus Christ, puisqu’il n’y avait rien à prendre : tout était déjà donné, tout était donné d’avance, sauvé d’avance ! En donnant sa vie avant qu’on la lui prenne Jésus ne donne pas prise à la haine, il nous délivre de son emprise. Il nous sauve par amour. Il sauve l’Amour.

« Père, non pas ce que je veux mais ce que tu veux. » Dieu veut que, par Jésus, la haine, le malheur et la mort soient consumés dans un brasier d’Amour. Dieu veut que le voile de deuil qui recouvre l’humanité soit déchiré. Dieu veut que tout homme soit transfiguré.

Voici l’Homme ! Voici le Fils de Dieu vivant au cœur de l’homme. Voici l’Homme lorsque le voile se déchire et laisse apparaître la face de Dieu.

Christine Fontaine


Faut-il en rire ou en pleurer ?

« Par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre »

L’âne est un animal doublement symbolique. C’est d’abord une figure de l’innocence et de la douceur. Il ne proteste pas quand, sans raison, on crie « haro sur le baudet ! »; il est celui que l’on condamne pour que les puissants échappent au jugement. La Fontaine l’avait bien compris !

L’âne est aussi un animal qui n’a pas peur de la souffrance ; l’homme qui le monte exploite sa patience. On n’hésite pas à le charger lourdement. Tant mieux si ce qu’on appelle le bât, c’est-à-dire le harnachement, arrache la peau et laisse à vif la chair de l’animal. Là où le bât blesse, comme on dit, il suffit de toucher la plaie avec le bout d’un bâton pour que, sous l’effet de la douleur, par réflexe, l’animal s’efforce d’avancer malgré le poids qui pèse sur son échine.

Jésus fait corps avec cet ânon que les apôtres détachent du lien qui le retient à une porte et lui amènent. Quand les Evangiles décrivent cette mise en scène de l’entrée du Christ à Jérusalem, ils nous disposent à ressentir avec justesse les événements de la passion : le jugement où, tout innocent qu’il soit, Jésus sera condamné ; le chemin où la croix sur l’épaule sera plus lourde à porter que le chargement d’une bête de somme.

« Pour un fils de David, quelle dérision ! »

On connaît ces fêtes romaines que sans doute les armées occupantes célébraient dans les rues de Jérusalem et qu’on appelait des Saturnales. Pour un jour, on inversait les rôles. L’esclave prenait la place du maître. Les foules se précipitaient dans les rues et pouvaient se défouler en caricaturant, pendant un jour, toutes les figures du pouvoir. Il semble bien que cette entrée à Jérusalem soit à comprendre à partir de ces fêtes païennes. L’acclamation des foules a quelque chose de dérisoire : « Béni soit le règne de notre Père David ! » Le roi Messie assis sur un âne : voilà bien de quoi rire ! Tout à l’heure, en écoutant le récit de la Passion, la dérision atteindra son comble. Les soldats romains « lui mettent un manteau rouge, lui posent sur la tête une couronne d’épines, ils se moquent et se mettent à lui faire des révérences : Salut Roi des Juifs ! »

Il est bien vrai qu’en ce jour des Rameaux nous assistons à un renversement dérisoire. Il est vraisemblable que les évangélistes se servent du modèle des Saturnales pour le faire entendre. Il est sûr, en tout cas, que c’est à une révolution du regard que l’entrée à Jérusalem nous invite. Marie l’avait compris dès l’instant de la conception de son fils. Elle sait que si vraiment elle enfante l’héritier de David, il s’agit d’un chamboulement complet. Nous savons par cœur les paroles qu’elle emprunte pour exprimer sa joie : « Il renverse les puissants de leur trône ! Il élève les humbles ! Magnificat ! »

Quand Jésus entre à Jérusalem, il rend visible le partage de la douleur et de l’innocence en faisant corps avec l’ânon qui le porte. Il fait corps aussi avec la foule dont je n’arrive pas à discerner si les applaudissements sont des moqueries ou des actes de foi. Tous les sentiments humains vont se mêler chez ceux qui seront témoins de sa passion. La passion est l’instant où l’on passe d’un monde ancien à un monde nouveau. Quand deux univers se croisent, comment s’y reconnaître ?

« Rira bien qui rira le dernier »

Ce passage est encore inachevé. Les fêtes des Saturnales ne duraient qu’un jour ; le franchissement des portes de Jérusalem est très exactement ce que nous vivons au seuil de cette semaine sainte. Où sont-ils ceux que nous devons honorer ? A coup sûr, ils ne résident pas à l’Elysée ni à la Maison-Blanche. A coup sûr ils ne résident pas non plus dans les palais du Vatican ? Où sont-ils ?

Pour célébrer les Rameaux, cette année, l’Eglise nous donne à entendre l’Evangile de Marc. Mais lisez Matthieu. Vous connaissez par cœur les paroles de Jésus qui annoncent l’arrivée du Roi. « Quand le Fils de l’Homme viendra … sur son trône de gloire ». Il énumère alors toutes les situations de détresse possible : maladie, faim et froid, prison, exil. Chaque fois qu’on y porte remède c’est Jésus que l’on honore. « C’est à moi que vous l’aurez fait… ». Juste après ce discours qui nous est familier, Matthieu place la scène des Rameaux.

Vivre la scène des Rameaux aujourd’hui c’est honorer le sans-abri, secourir l’étranger et l’accueillir, créer des emplois, respecter tous les malades, faire place au handicapé ou à l’homosexuel, honorer le délinquant de banlieue qu’on a incarcéré, ouvrir sa maison au sans-logis. On se doit de protester contre tous ceux qui, dans notre pays ou dans l’Eglise ont le pouvoir d’exclure et, dussions-nous en pâtir comme l’âne qu’on touche là où le bât blesse, ne nous privons pas du plaisir de nous moquer de tous ceux qui aiment le pouvoir ! Croyons-en le message du jour : « rira bien qui rira le dernier.

Michel Jondot