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Dimanche des Rameaux et de la Passion

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc (Rameaux)
Lc 19, 28-40

Jésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem. À l'approche de Bethphagé et de Béthanie, sur les pentes du mont des Oliviers, il envoya deux disciples : « Allez au village qui est en face. À l'entrée, vous trouverez un petit âne attaché : personne ne l'a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Si l'on vous demande : 'Pourquoi le détachez-vous ?' vous répondrez : 'Le Seigneur en a besoin.' »
Les disciples partirent et trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit. Au moment où ils détachaient le petit âne, ses maîtres demandèrent : « Pourquoi détachez-vous cet âne ? » Ils répondirent : « Le Seigneur en a besoin. » Ils amenèrent l'âne à Jésus, jetèrent leurs vêtements dessus, et firent monter Jésus. À mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin. Déjà Jésus arrivait à la descente du mont des Oliviers, quand toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus : « Béni soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, arrête tes disciples ! » Mais il leur répondit : « Je vous le dis : s'ils se taisent, les pierres crieront. »


Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc (Passion)
Lc 22,14 à 23,56

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La clef du Royaume
Michel Jondot

« Ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
Passion
Christine Fontaine

Chantons la liberté !
Rameaux
Michel Jondot


La clef du Royaume

L’Eglise n’est pas le Royaume de Dieu

Pendant de nombreux siècles en Europe, l’Eglise a fonctionné comme les Royaumes de ce monde, de façon hiérarchique avec un Souverain à sa tête. La révolution française a détrôné les rois mais les structures ecclésiales aujourd’hui demeurent les mêmes : on y rencontre des Seigneurs – on devrait les appeler « Excellence » ou « Monseigneur », des Princes de l’Eglise – on devrait les appeler « Eminence » - et, au sommet de tout, un Pontife que l’on qualifie de Souverain dont le pouvoir infaillible s’étend sur le « Peuple de Dieu » répandu sur la planète. Certes, cette institution n’a plus grand pouvoir sur la marche du monde mais son fonctionnement suppose des relations de soumission entre les personnes qui la composent.

Il n’est pas question de critiquer cette organisation : elle a amené jusqu’à nous l’Evangile de Jésus et le message de ses apôtres. Mais elle ne doit pas masquer la cohérence chrétienne que la fête des Rameaux vient réveiller.

L’Eglise n’est pas le Royaume de Dieu : elle a seulement pour tâche de l’annoncer. Celui-ci n’est pas encore arrivé, mais il est déjà là. Il couve comme le feu sous la cendre et il finira bien par se rallumer. Un passage du récit de la Passion éclaire l’ensemble du texte. On nous raconte qu’après le dernier repas, (première annonce du Royaume que nous célébrons en chaque Eucharistie… « nous annonçons ta venue dans la gloire »), une discussion entre les convives entraina une verte remarque de Jésus. Ils se demandaient qui était le plus grand. Leur maître leur révèle la véritable révolution chrétienne. Le plus grand est celui qui est au plus bas de l’échelle sociale, celui qui est à la place de l’esclave : « Je suis parmi vous comme celui qui sert. »

Le roi des Juifs

La célébration de ce jour commence par l’évocation de l’entrée à Jérusalem au début de la semaine qui conduit à la Passion. Les pharisiens sont indignés de l’approbation des foules ; elles applaudissent ce rabbi qui n’est qu’un charpentier de province : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. » L’Evangile que nous entendons en ce jour évoque de quelle royauté il s’agit. Jésus n’est pas celui qui soumet à un pouvoir quelconque ses disciples et ceux qui le suivent. Il est le dernier des derniers. Celui qui est au plus haut, selon lui, est celui qui, à regard humain, est au plus bas. On l’amène à Pilate : « Tu es le roi des Juifs ? » lui demande-ton. « Tu l’as dit » répond Jésus. On lui préfère alors Barrabas, le dernier des brigands. Il fut conduit au Golgotha entre deux délinquants pour être crucifié. Au-dessus de sa tête on avait inscrit : « Celui-ci est le roi des Juifs ! » Il y avait de quoi rire et les soldats ne s’en privèrent pas. Ils lui présentaient du vinaigre en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »

Une double hiérarchie

Chaque année on entre en Carême en étant invité à la conversion. Le Carême n’est pas achevé ; la véritable conversion à réaliser est peut-être d’abord celle du regard que nous portons sur l’Eglise et sur la société. Un théologien du siècle dernier, le Père de Montcheuil, rappelait que la hiérarchie des clercs par rapport aux laïcs n’était ni la seule ni la plus importante. Il faut lui préférer la hiérarchie des saints. Ce sont d’eux qu’on garde collectivement la mémoire. On assiste parfois de nos jours à des revendications ; des laïcs, hommes ou femmes, contestent le fonctionnement de l’Eglise et veulent conquérir le même pouvoir que les clercs. Pourquoi pas ? (L’Eglise n’est peut-être pas enfermée dans ses structures actuelles). Mais là n’est pas la première ni la véritable ambition du chrétien. Devenir des saints est à la portée de tous les baptisés et pas seulement des grands hommes ou des femmes célèbres. Au dernier repas, comme on l’a lu, Jésus fait remarquer à ses disciple  : « Je suis parmi vous comme celui qui sert. » Il se fait petit devant eux et s’incline devant leurs actes : « Vous ferez des choses plus grandes que les miennes. » Avant lui, déjà, Jean-Baptiste avait compris qu’il devait s’incliner devant son cousin : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue. » La royauté de Jésus – sa sainteté - s’inscrit dans cet effacement devant autrui ; entrer dans son royaume c’est s’incliner devant autrui ; autrui, surtout s’il est le plus faible, est toujours celui en qui je dois discerner mon maître, quelle que soit le type de relation nouée avec lui.

Bien sûr l’état de la société est à mille lieues de la cohérence évangélique. On a pu écarter les rois, on n’a pas pu éteindre la volonté de domination. On s’écarte de ceux qui sont au plus bas, même lorsque l’on n’est pas soi-même au plus haut de l’échelle sociale. Lorsque des revendications se font jour dans la société, c’est rarement pour défendre les intérêts des plus démunis ; c’est au contraire pour grandir soi-même. La politique est souvent décevante ; les grands leaders trop souvent sont plus désireux de se hausser à la première place que de promouvoir la dignité de ceux qu’ils auraient pour tâche de servir. Jésus a pris la dernière place ; c’est là qu’on le trouve dans le monde d’aujourd’hui. C’est dans l’univers des exclus qu’on peut le rencontrer. C’est cet univers que Jésus rejoint et qu’il aime. Avec passion !

Michel Jondot


« Ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Le péché impardonnable

« Le péché contre l’Esprit est le seul qui ne sera pas pardonné,
ni en ce monde ni en l’autre. »
Jésus le proclame en Matthieu, Marc et Luc (Mt 12,31-32 ; Mc 3,28-30, Lc 12,8).
Il n’a donc pas gagné, son amour n’a pas été le plus fort !
Malgré sa passion, un péché demeure pour lequel il n’y a pas de pardon possible !
Il est mort en vain au moins pour quelques-uns !
Il en est parmi nous qui ne seront jamais pardonnés ni en ce monde ni dans l’autre.
Il en est qui mourront non seulement d’une mort passagère, mais d’une mort sans fin.
Il en est parmi nous qui auront à souffrir d’une mort éternelle !

Il suffit qu’un seul de nos péchés puisse demeurer sans pardon
pour que le doute s’insinue dans toute notre existence.
« Serait-ce moi, Seigneur, qui ait commis ce péché contre l’esprit ?
Serait-ce moi que tu voues au châtiment éternel ? »
Le doute s’insinue d’autant plus que nous ne savons rien
de ce péché contre l’esprit… sinon qu’il est contre l’esprit…
Mais quel péché ne l’est pas ?
De qui Jésus parle-t-il ? Pour qui tout salut demeure-t-il hors d’atteinte ?
S’agit-il de ceux qui prennent le démon pour Dieu ou Dieu pour le démon ?
Ce péché ne l’avons-nous pas tous commis dans nos nuits de détresse
où nous avons reproché à Dieu les maux et les souffrances qui nous assaillaient ?
Ce péché n’est-il pas celui des Grands-Prêtres qui condamnent à mort Jésus
pour avoir déclaré ce qu’Il est en Vérité : le Fils de Dieu ?
S’agit-il de ceux qui, comme Pierre, se croyaient capables de suivre Jésus toujours
et qui l’ont renié à la première occasion…
ou encore de ceux qui, crucifiés dans leur chair justement ou injustement,
se tournent vers Jésus en criant :
« Il se prétend tout puissant. Pourquoi nous laisse-t-il dans ce puits d’amertume ? »,
comme le mauvais larron que l’on crucifie aux côtés de Jésus ?
S’agit-il des foules versatiles qui un jour honorent
celui que, le lendemain, elles jetteront dans la fosse comme un excrément ?
Avons-nous toujours été meilleurs que ces suiveurs qui vont dans le sens du vent ?

Si un seul de nos péchés demeure sans pardon possible
alors la bonté de Dieu ne se révèle pas sans limites.
Le bonheur de vivre sous le regard d’un Dieu qui n’est pas venu pour nous juger
mais pour nous sauver nous est retiré.
La peur de son jugement s’insinue dans toute notre existence.
Notre Dieu, qui nous proposait un bonheur sans fin,
fait de nous les plus malheureux des hommes !

Père, pardonne-leur !

« Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »
implore Jésus à l’heure de sa passion.
Tous ceux qui ont conduit Jésus à mourir sur la croix,
tous ceux qu’il a croisés à l’heure de sa passion,
tous sont compris, emportés, dans la dernière prière de Jésus.
Et, nous le croyons, le Père exauce toujours la prière de son fils.
Les Grands-Prêtres, ceux qui renient Jésus comme Pierre,
le mauvais larron qui ne sait pas ce qu’il dit, les foules versatiles,
aucun de ceux-là, à en croire Jésus, ne sait vraiment et totalement ce qu’il fait
en le clouant sur une Croix.
A tous, au bout du compte, sera accordé le pardon !

Au jour de la Passion, tout le péché du monde s’est ligué pour mettre à mort Jésus.
Aucun des pécheurs n’a été hors d’atteinte de l’amour de Dieu
qui s’est manifesté ce jour-là en Jésus-Christ.
A en croire Jésus, nous avons tous l’excuse d’être - au moins en partie -
des inconscients… autrement dit des fous ou des irresponsables…
Pour nous tous, le pardon de Dieu est sans limite,
inconditionnel et gratuit !
Jésus n’est pas mort en vain !
Il est mort pour qu’à notre folie soit donnée le pardon !

Peut-être aujourd’hui avons-nous du mal à le croire,
peut-être notre cœur nous condamne-t-il pour telle ou telle faute commise
qui nous paraît impardonnable
mais, comme le dit saint Jean, Dieu est plus grand que notre cœur !
Viendra le jour où nous découvrirons que lorsque nous avons tué l’amour,
lorsque nous avons sombré dans la haine, la rancune ou le ressentiment,
lorsque nous avons jugé et condamné des innocents,
nous ne savions pas ce que nous faisions !
Nous serons alors de ceux pour qui Jésus a imploré à l’heure de sa passion :
« Père pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
Et nous découvrirons à quel point le Père exauce toujours la prière de son Fils !
Aucun être humain, qu’il en soit conscient ou non aujourd’hui,
ne peut échapper au pardon de Dieu !
Son amour nous sauvera tous, même Judas :
savait-il vraiment ce qu’il faisait en trahissant Jésus ?

Les démons sans pardon !

Et pourtant « le péché contre l’Esprit est le seul qui ne sera pas pardonné,
ni en ce monde ni en l’autre » !
Qui sont-ils ceux qui savent totalement ce qu’ils font
lorsqu’ils choisissent de plonger l’humanité dans la mort
et la font passer pour la vie ?
Qui sont-ils ceux qui savent totalement qui est Dieu
mais qui le refusent en toute connaissance de cause ?
« Nous savons fort bien qui tu es », disent les démons dans l’Evangile.
Les démons connaissent Dieu et ils savent qu’il est pardon
mais ils refusent sciemment Dieu et son pardon.
L’amour de Dieu dépasse tout ce que l’humanité peut concevoir,
mais à l’heure de la Passion, l’Amour surhumain de Jésus-Christ s’affronte à bien plus
- ou plutôt bien moins – que l’humanité…
Il s’affronte à l’infra humain, autrement dit au démoniaque,
à cette pulsion de mort qui entraîne les hommes inconsciemment à leur perte.
Pour les démons et pour eux seuls, il n’y a pas de pardon possible,
ni en ce monde ni en l’autre !
Le démoniaque, c’est l’innommable refus qu’il puisse exister un quelconque pardon.
Le démoniaque, c’est la haine sans faille,
la haine – en toute connaissance de cause –
pour tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un quelconque pardon.
Le démoniaque est le péché contre l’Esprit, le seul à ne pas pouvoir être pardonné,
ni en ce monde ni en l’autre !

A l’heure de la Croix, Jésus le révèle,
l’enfer existe mais c’est le lieu réservé uniquement aux démons
qui, eux, savent parfaitement ce qu’ils font !
L’enfer n’est pas destiné aux pauvres humains que nous sommes !
L’humanité, pour sa part, ne sait jamais totalement ce qu’elle fait
quand elle est emportée par cette force démoniaque
qui la pousse à confondre le malheur avec le bonheur, la mort avec la vie.
Le jour viendra où nous découvrirons que l’Amour de Dieu pour chacun
aura été bien plus fort que tous les démons réunis !
Le jour viendra où nous découvrirons que Jésus n’est pas mort en vain !
Dans l’attente de ce jour, recevons son pardon pour tous nos égarements
et tentons, à sa suite, de pardonner les errances de nos frères en humanité…
Souvenons-nous que, bien souvent, comme nous,
quand ils sèment la mort ou la discorde, « ils ne savent pas ce qu’ils font » !

Christine Fontaine

Chantons la liberté !
Rameaux

Liberté !

Le mot « liberté », de plus en plus, est un impératif de nos sociétés démocratiques. Il commande les relations économiques : pas de marchés sans libre concurrence. Il commande la morale politique : on s’indigne devant les régimes où les citoyens ne peuvent vivre sans être enfermés dans une idéologie qui interdit tout discours personnel. Il commande la morale individuelle: les tabous de l’Eglise concernant le comportement sexuel, par exemple, sont de moins en moins tolérés. Donnons la priorité à la conscience de chacun et libérons l’humanité de toute morale qui entrave les décisions et les désirs des personnes.

Une parabole pour chanter la liberté

Cette entrée de Jésus à Jérusalem a peut-être de quoi conforter ces aspirations contemporaines. L’histoire de cet ânon, en effet, est à comprendre comme une parabole : il convient de la déchiffrer. Il s’agit plus que d’un détail pittoresque : pourquoi Luc raconte-t-il ce va-et-vient entre Jésus, ses disciples et les gens du village ? Et surtout, à travers ces démarches, on s’interroge sur le vocabulaire ; pourquoi, en quelques lignes, cette répétition et cette insistance sur l’acte de lier, d’attacher, de détacher : « Vous trouverez un petit âne attaché »... « Détachez-le » « Pourquoi le détachez-vous ? »... « Au moment où ils détachaient le petit âne » .... « Pourquoi détachez-vous cet âne ? ». Ils amènent à Jésus cette monture ; ils jettent leurs vêtements – le détail n’est pas insignifiant – sur l’animal « libéré » de son maître. Jésus fait corps avec lui et il s’avance vers Jérusalem.

Il s’avance vers la mort mais avec un détachement souverainement royal. Il s’avance vers la mort mais c’est le triomphe de la liberté. Il s’avance vers la mort mais c’est une victoire plus belle qu’au jour de sa naissance. A Bethléem les voix qui chantaient « Paix sur la terre et gloire au plus haut des cieux ! » venaient des hauteurs. Au jour des Rameaux, les voix sont humaines ; elles chantent les mêmes mots sur les routes pierreuses, mieux que les anges. Il y a plus merveilleux encore ; comme on l’avait fait pour l’âne, on met des vêtements sur le chemin, comme si la route était humanisée. Ce détail donne sa force aux derniers mots du récit. Si les foules venaient à se taire, les pierres du chemin feraient entendre tôt ou tard, l’appel à l’Esprit de liberté insufflé dans le monde dès le premier jour de sa création. « Si les foules se taisent, les pierres crieront ».

Libération plutôt que liberté

Faut-il en conclure que ce culte de la liberté dont l’Occident est le Temple s’impose au chrétien d’aujourd’hui ? Ce serait oublier que celui qui, le jour des Rameaux, est figure de liberté, s’avance vers le jour où lui-même sera ligoté, enchaîné, cloué, fixé sur des poutres de bois, crucifié. Ce serait oublier que la liberté est le fruit d’une libération continuelle. Le texte de ce jour insinue comment s’opère celle-ci. Pourquoi, lorsqu’ils approchent de Bethphagé et de Béthanie, le récit nous précise la réponse qu’ils auront à prononcer au cas où on les interrogerait : « Vous répondrez : Le Seigneur en a besoin » ? Pourquoi ce détail sinon pour faire apparaître qu’ils agissent « au nom d’un autre » ? La foule ne s’y trompe pas. Quand Jésus arrivait à Jérusalem, « à la descente du Mont des Oliviers », les chants montrent bien que Jésus lui-même est animé par la volonté d’un autre : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ».

La liberté chrétienne ne consiste pas à s’enfermer dans une forteresse intérieure ou dans une idéologie partisane pour y puiser ses raisons de vivre, construire une morale individuelle étriquée ou une morale politique menant à la barbarie. Pareille vision du monde ouvre sur le désespoir. La liberté chrétienne est inconcevable sans la dépendance de l’autre. Au terme de son histoire, les disciples ont de quoi comprendre. Jésus était dépendant par exemple de cet homme attaché sur un brancard, immobilisé par la maladie ; il le trouve sans l’avoir cherché parce que des amis l’ont fait descendre par le toit : « Lève-toi ! Prends ton grabat et marche ! ». Une belle figure de l’autre, c’est Lazare qu’on a ficelé avec des bandelettes : « Déliez-le et laissez-le aller ». L’autre est celui qui a besoin de moi pour être libre.

Mais l’autre est aussi celui devant qui j’ai à m’effacer. « Vous ferez des choses plus grandes que les miennes » dira Jésus à ses amis. S’il prend la place du dernier des derniers de la manière qui nous sera racontée lorsque nous entendrons le récit de la Passion, c’est pour que Pierre et les autres agissent à sa place. Lorsqu’au jour de l’Ascension, comme au jour des Rameaux, ils redescendront les pentes du Mont des Oliviers, ils auront à agir à leur tour. Ce sera au nom d’un autre : «Au nom de Jésus – dira Pierre à un paralytique près du Temple – je te l’ordonne lève-toi et marche ! ».

Au nom du Père

En réalité, dans ce jeu de va-et-vient des uns aux autres, dont cette scène autour de l’ânon est comme la parabole, dans ce va-et-vient entre les uns et les autres qu’on peut appeler « Esprit-Saint », dans ce travail jamais achevé de libération que l’histoire de Jésus révèle, la volonté d’un autre cherche à s’accomplir. Beau paradoxe que cette semaine sainte qui s’ouvre. Elle commence par ce bel hymne à la liberté qu’évoque l’entrée à Jérusalem. Elle va se poursuivre par ces paroles de Paul que nous chanterons sans cesse : « Christ obéissant jusqu’à la mort ! ». En réalité, chanter la liberté, la faire naître avec lucidité et de la manière la plus humaine et la plus réaliste qui soit c’est agir à la place de Jésus – c’est à dire « en son nom » et à la place où il nous est donné de vivre et qui est aussi la sienne. Autrement dit, chanter la liberté conduit à dire en vérité : « Notre Père...que ta volonté soit faite ! ».

Michel Jondot