Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Lc 2, 22.39-40 (lecture brève)
Quand fut accompli le temps prescrit par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus l’amenèrent à Jérusalem
pour le présenter au Seigneur.
Lorsqu’ils eurent achevé tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant, lui, grandissait et se fortifiait, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.
Sauver l'amour
La famille, souci de l’Eglise
Il faudra du temps pour oublier les bouleversements des Français, lors du printemps 2013, lorsque se préparaient les débats à l’Assemblée Nationale au sujet du « mariage pour tous ». D’un bout à l’autre de la France les chrétiens se déplaçaient pour faire entendre leurs voix. Il fallait résister : le mariage tel qu’il existe dans nos pays chrétiens est voulu par Jésus en personne ; il est inscrit dans la nature humaine. S’il cesse d’être l’union d’un homme et d’une femme, où va la civilisation? Les Cardinaux criaient leur angoisse. Bientôt la polygamie et l’inceste seront permis, disait l’un. Un autre demandait que toutes les paroisses de France, lors des Prières universelles, trouvent la formule pour maintenir cette institution dans les lois qui l’ont fait naître.
La fête de ce jour devrait éclairer notre jugement. Si le Fils de Dieu a pu prendre chair, s’incorporer dans notre humanité, c’est parce qu’il a pu être accueilli par un homme et une femme, une mère et un père. Si Joseph n’est pas géniteur, du moins il donne un nom à l’enfant né de Marie : ceci est l’acte de paternité par excellence. Cette famille se soumet aux prescriptions d’une loi fixée par Moïse, comme toutes les familles. Dans ce cadre l’enfant né à Bethléem pourra grandir, accéder à la parole, trouver sa place dans la société : « L’enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse et la grâce de Dieu était sur lui ».
« Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? »
Certes, Jésus a fait l’expérience de la vie de famille mais il n’en fut pas prisonnier. Ses réactions peuvent nous donner à réfléchir.
D’abord, l’appartenance à une famille est dangereuse si l’on n’y prend garde : « Familles, je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur ! » Ainsi parlait Gide, au siècle dernier. Etait-il conscient, disant cela, qu’il n’était pas loin de l’enseignement de Jésus. Il faut savoir que tout regroupement court le risque du repli. Jésus était en train de parler lorsqu’on vient le prévenir que sa famille le cherche. « Qu’importe ma famille ? » dit à peu près Jésus : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Levant le bras et désignant le groupe qui l’écoutait : « Voici mes frères et voici mes sœurs ». La famille a-t-elle un sens, en effet, si elle n’ouvre pas sur la société tout entière.
Libération de la femme
D’autre part, est-il évident que les comportements familiaux soient nécessairement évangéliques ? La société dans laquelle vivait Jésus était profondément patriarcale. Les femmes devaient appeler leurs maris « Maître » (Rab) ; elles étaient mises à l’écart de toute responsabilité sociale. Une épouse, une fille, une sœur n’avaient guère plus de prix qu’une esclave dans la société. Certains historiens prétendent qu’elles pouvaient être vendues. En tout cas, elles n’avaient aucune place dans la vie publique et aucun droit à la parole devant un homme. Jésus casse cette façon d’exclure. On le voit parler aux femmes quitte à choquer : ses disciples étaient étonnés de le voir en conversation avec la Samaritaine. Il était inconcevable qu’elles se trouvent rassemblées dans un groupe où se trouvaient des hommes. En réalité, lorsqu’il passait dans les villes et les villages, il était suivi non seulement des Douze mais d’un certain nombre de femmes dont Luc (8,13) nous énumère les noms (Marie de Magdala, Jeanne, Suzanne et plusieurs autres ). Certes Jésus avait le sens de la famille mais ce n’était pas pour rester crispé sur des comportements admis par tous. Il n’est de famille, au sens évangélique du mot, que dans la mesure où chacun y est reconnu dans sa dignité.
« La dureté de vos cœurs »
Devant les évolutions en cours, on cite souvent le passage où Jésus semble interdire le divorce. De la réponse de Jésus, la plupart des chrétiens considèrent que l’Eglise ne peut changer l’interdit de la répudiation. En réalité, c’est oublier que la réaction du Maître est l’introduction d’une rupture. Jusque-là un homme pouvait répudier son épouse. Moïse l’avait autorisé, dit Jésus « à cause de la dureté du cœur ». Ne pourrait-on recourir au même argument devant tant de situations où les conjoints se font mal et se blessent ? Comment créer les conditions pour qu’entre les uns devant les autres, le cœur s’adoucisse ? C’est souvent dans les milieux les plus pauvres que l’amour est le plus difficile à vivre. Le manque de logement, le tarissement des ressources qu’entraîne le chômage font naître angoisse et rancœur. L’immigration sépare les couples. Comment prescrire l’indissolubilité sans lutter contre les injustices dont bien des foyers font les frais. Comment le cœur peut-il connaître la douceur quand l’angoisse le remplit ?
Sauver l’amour
On ne peut manquer de parler du message évangélique sur la famille sans évoquer, pour terminer, un texte mystérieux : « N’allez pas croire que je suis venu apporter la paix mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère. Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils et sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. »
Il est vrai que l’amour, dans une famille, suppose une certaine distance entre les uns et les autres. Un couple trop fusionnel ne saura pas ouvrir un chemin pour avancer ensemble. On sait à quel point le poids de la volonté d’une mère sur un fils peut paralyser la liberté de ce dernier. L’écart permet à chacun d’écouter le désir de l’autre, de l’écouter et de tenter d’y répondre. Il permet d’écouter et de se faire entendre. Au premier jour, on nous présente la première femme arrachée à Adam : « os de mes os ». Autant dire qu’un glaive les a séparés pour qu’ils en viennent à se parler. Cette séparation permettant qu’on se rejoigne n’est rien d’autre que l’amour dont Jésus vient manifester le mystère. Comment aimer une personne humaine sans aimer cette distance, cet amour qui est Dieu ?
C’est cet amour qu’il faut sauver, non les prescriptions d’une loi. Battons-nous s’il le faut, mais ne nous trompons pas d’ennemi !
Michel Jondot
Pastel de Pierre Meneval