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Sauver la vie ou respecter la loi ?
Roxane D.

Une amie de « Dieu maintenant », profondément croyante, réfléchit sur le combat que ses parents ont mené pour lui permettre de trouver sa place dans la société. A la lumière de son expérience elle s’interroge sur la pertinence de la morale familiale de l’Eglise.

(3)Commentaires et débats


Quitter sa parenté

Ma mère est née en province en 1926, dans un petit village de Normandie. Ses parents n’étaient pas vraiment pauvres. C’étaient des paysans qui ne sont jamais morts de faim : ils vivaient du produit de la terre. Mais ils ne pouvaient pas pour autant payer de longues études à leurs enfants. Ma mère, comme son frère, ont du quitter l’école et travailler à quatorze ans. Ma mère avait quatorze ans en 1940. Pas question de monter à Paris pendant la guerre ! Elle trouva un petit travail de bonne à tout faire dans son village. A la fin de la guerre, quelqu’un lui proposa une place à Paris. Ma mère n’hésita pas : pour le même emploi le salaire passait du simple au triple!

Cette situation n’était pas exceptionnelle. Mon père a vécu la même chose. Quand il eut 13 ans, son propre père lui dit : « Je t’ai trouvé une place d’apprenti chez un menuisier ». Le lendemain il commençait! On ne lui laissa pas le choix ni le temps de se pencher sur ce qu’il désirait faire. La vie était ainsi: à 13 ou 14 ans on ne devait plus être à la charge des parents; il fallait gagner sa vie.

Ma mère arrivait donc comme bonne à tout faire à Paris. Ses employeurs avaient deux bonnes ce qui, à cette époque, chez les gens aisés, était assez fréquent. Mais il n’y avait aucune chambre pour les loger. Ma mère couchait sur une sorte de canapé dans la salle à manger. Il fallait que les patrons soient partis se coucher pour songer à dormir. Quand ils recevaient des invités, ma mère ne pouvait pas regagner son lit avant leur départ. Elle était la dernière couchée et la première levée. Elle s’y est habituée. Elle était jeune ; elle sommeillait dans un coin de la cuisine lorsque la veillée, chez ses patrons, se prolongeait.

Ma mère envoyait une partie de son salaire à ma grand-mère qui n’avait vraiment pas beaucoup d’argent. Mais ce n’était pas l’essentiel ; elle pouvait garder une bonne partie de sa paye. L’important était qu’elle ne soit pas à la charge de ses parents. Chez eux, comme je l’ai dit, ce n’était pas la misère mais on était pauvre ; il fallait « compter ses sous » si on voulait arriver à la fin du mois. Ma mère, à son tour, a toujours « compté » et elle m’a appris à le faire. Nous gagnons normalement notre vie, mon mari et moi, mais je fais attention à ce que je dépense ; je calcule. C’est un héritage de mon enfance, sûrement.

Amour déçu !

Ma mère a changé de travail en 1947 mais elle travaillait toujours dans les mêmes conditions. Elle avait 21 ans et, pour la première fois, elle tomba amoureuse. Il était ouvrier et gagnait donc sa vie. Elle l’aimait et il prétendait que c’était réciproque. Elle fut enceinte et ils décidèrent de garder l’enfant puisque tout se présentait bien pour eux : ils auraient de quoi l’aimer et de quoi le nourrir. Du moins est-ce ce que ma mère a cru. Elle se mit à déchanter un peu lorsque, le jour de la naissance, il ne voulut pas reconnaître mon frère aîné, Frédérique. Deux mois après, il était parti sans laisser d’adresse. Ma mère reconnaît qu’elle était alors la petite oie blanche venue de province et prête à croire au grand amour ! Son prince ne fut pas charmant !

C’est par hasard que j’ai su que mon frère Frédérique portait le nom de famille de ma mère. Elle ne nous l’a jamais dit explicitement. Cela a été dur à assumer pour elle. Quand cet homme est parti, il a fallu qu’elle se débrouille avec l’enfant. Quand on est bonne à tout faire et que l’on n’a pas même une chambre à soi, il est exclu d’arriver avec un enfant. On est assuré de perdre sa place tout de suite et de se retrouver à la rue, sans salaire, avec l’enfant. Que faire ?

Au départ ma mère a confié Frédérique à de la famille lointaine, près de Paris. Mais le service qu’ils lui rendaient ne pouvait pas durer, ma mère le savait. Alors elle n’eut pas d’autre solution que de se tourner vers sa propre mère qui vivait toujours dans le même village. Pour ma grand-mère, sa fille était une « trainée ». Elle savait que tout le monde autour d'elle la traiterait ainsi. Ma mère a été victime du « qu’en dira-t-on ». Cela a été terrible ! Ma grand-mère a accepté l’enfant : c’était son devoir ! Mais elle a refusé que sa fille mette les pieds dans le village. Ma mère envoyait de l’argent tous les mois pour subvenir aux besoins de son bébé. On lui donnait des nouvelles mais elle n’avait pas le droit d’aller le voir. Jusqu’à l’âge de 4 ans, elle n’a pas vu son fils ! Ma grand-mère refusait.

Une expérience de précarité

En 1950 ma mère a rencontré mon père. Ils ne se sont pas mariés : le mariage ne représentait pas grand-chose pour mon père. Je suis venue au monde. Mes parents n’avaient pas de logement et se déplaçaient chez des copains jusqu’au jour où le copain qui les hébergeait vendit son pavillon. C’était juste au moment de ma naissance. Mes parents ne pouvaient loger qu’à l’hôtel où l’on n’acceptait pas de bébé. Ils m’ont placée pendant trois mois à l’Assistance Publique. Ils continuaient à travailler et à chercher une solution pour pouvoir me récupérer au plus vite.

En ce qui me concerne, je n’étais pas abandonnée : ils venaient me voir tout le temps. Un jour ils ont trouvé une dame près de moi qui me trouvait très jolie et qui voulait m’adopter. En réalité, à l’A.P., il y avait ceux qui étaient adoptables et les autres dont je faisais partie. « Tu n’étais pas adoptable ! », me dit toujours ma mère quand elle se souvient de cette époque. Finalement mes parents ont trouvé une pièce : 12 m² avec, quand même, une fenêtre ! Ma mère m’a tout de suite récupérée. Je n’ai passé que trois mois à l’assistance publique. Elle s’est empressée aussi de récupérer mon frère Frédérique - il avait quatre ans. Sa vie devenait stable : mon père la sécurisait. Arielle est née juste après moi. Un quatrième est arrivé quelques années après : Jean-Paul !

Nous vivions donc à 6 dans 12 m², dans un quartier populaire de Paris. Comment avons-nous pu vivre là-dedans ? Le bébé était dans un « Moïse » posé sur la table ; les autres avaient des lits-cage qu’on repliait et qui ne prenaient pas énormément de place. On avait aussi une petite table et une petite armoire dans laquelle on rangeait tout : le linge, la vaisselle, et le reste. En plus, dans la pièce, il y avait un poêle et, bien sûr, un coffre à charbon. Je me souviens qu’en grandissant, j’étais gênée pour la toilette du matin : mes parents avaient installé un rideau devant le tout petit lavabo. Ce n’était pas facile de s’habiller derrière. Mes parents ont toujours eu une très grande pudeur : nous ne les avons jamais vus nus, par exemple. On essayait de préserver l’intimité de chacun. Quant à la « grande toilette », nous allions tous une fois par semaine aux douches municipales.

Dans ce tout petit espace, nous avons toujours eu un sapin de Noël tous les ans. Mon père y tenait ! C’était la fête des enfants et… des grands ! Nous avions une vraie vie de famille et nous étions heureux. Mon frère est allé assez rapidement chez la voisine. Elle l’avait pris en affection : elle était un peu comme une grand-mère. A cette époque, il y avait une réelle solidarité ; la vie était communautaire. Sans cette solidarité, ma mère n’aurait pas tenu. La voisine était un vrai soutien. Dans l’immeuble, il y avait quatre étages. Tout le monde se connaissait. C’était le milieu ouvrier, pas le milieu pauvre. On n’y est pas triste : on prend la vie en charge. Je peux dire que j’ai eu, dans ce milieu, une enfance heureuse, vraiment heureuse. Je n’ai jamais manqué de quoi que ce soit et surtout pas d’affection.

Pendant un certain temps mon père a été au chômage. Les conditions de vie sont devenues plus difficiles. Il fallait continuer à payer le loyer des 12 m², se nourrir et s’habiller ! Pour les vêtements, on allait à la Mairie où il y avait des vestiaires. Deux systèmes coexistaient : l’habillement gratuit d’une part et, d’autre part, des vêtements neufs vendus à prix réduit. On reconnaissait à cent lieues ceux qui prenaient l’habillement gratuit : ils portaient les mêmes godillots, le même anorak. Personne n’en voulait ! Ma mère le comprenait et allait dans le rayon des vêtements neufs à prix réduits, bien que les petits prix soient encore fort lourds pour elle.

Avec 4 enfants, il n’était pas question pour mes parents de demander un mariage à l’Eglise. Ils ont pourtant décidé de se marier civilement. Un jour, mon père dit à ma mère : « Il n’est quand même pas normal que tu n’aies pas revu ta mère depuis dix ans ! Pour que tu puisses la revoir, il n’y a qu’une solution : qu’on se marie ! » Une fois mes parents devenus couple légitime, aux vacances suivantes, nous sommes allés chez ma grand-mère que je n’avais jamais vue. Le « qu’en dira-t-on » des gens bousille des vies. C’est après le mariage de mes parents que mon dernier frère, Jean-Paul, est né.

Faire face à la vie

Maman a eu d’abord Frédérique! Je suis arrivée au monde dès qu’elle a rencontré mon père. Arielle est venue un an et demi après. Quand elle a eu ses trois enfants ma mère a été contrainte d’avorter plusieurs fois. Après leur mariage, mes parents ont décidé avec grande joie de garder Jean-Paul. Puis ma mère dut encore avorter plusieurs fois. Jamais nous ne l’avons deviné. Elle ne nous en a parlé que très tard. Ma mère est viscéralement maternelle, affective. Chaque fois qu’elle devait avorter, elle en était malade. L’avortement était une affaire de femmes : elles s’en parlaient et se donnaient des conseils au square ; les femmes dans ce quartier étaient toutes soumises aux mêmes conditions.

Une copine, en qui elle avait toute confiance, lui avait expliqué comment s’y prendre. Ma mère savait qu’il fallait respecter des conditions d’hygiène très strictes sinon on risquait sa vie. Elle attendait qu’on soit parti à l’école et s’efforçait de toujours procéder avec le plus de propreté possible. Elle utilisait une sorte de tuyau avec lequel il fallait percer le placenta. Mais cela ne marchait pas toujours la première fois. Il fallait alors renouveler l’opération pendant plusieurs jours. Ensuite il fallait faire venir un médecin pour procéder à un curetage. Comme l’avortement était illégal, le médecin qui acceptait d’intervenir se faisait payer très cher. Toutes les allocations familiales du mois passaient dans les honoraires du médecin.

Mon père n’a jamais été au courant. Une fois, ma mère a fait une hémorragie et il fallut l’hospitaliser. Mon père tombait des nues en apprenant la raison de l’hospitalisation. Pour ma mère, il s’agissait d’une histoire de femmes qui n’intéressait pas les hommes. Le père et la mère n’avaient pas le même rôle : à chacun ses soucis ! Actuellement, dans les sociétés africaines, les femmes ont une vie sociale indépendante de celle des hommes. C’était un peu comme cela dans les milieux ouvriers de cette époque. D’ailleurs, la femme tenait à cette indépendance ; elle mettait son point d’honneur à bien tenir la place qui était la sienne dans le domaine qui lui était propre. Face à une situation, bien des principes, tels que la parité de l’homme et de la femme, tombent. Il existe des emprises culturelles plus importantes que les beaux principes soi-disant universels.

Ma mère ne se sentait pas marginalisée par le fait de poser des actes interdits par la loi ! Quand une situation est impossible à vivre – et une naissance dans les conditions où vivait ma famille était impossible – on ne s’interroge pas. On ne peut pas faire autrement. Elle avait du mal à le vivre : maternelle comme elle est, une naissance était source de joie ! Elle savait que l’avortement était interdit par la loi. Mais elle n’avait pas le choix. Quant on vit à 6 dans 12 m², où peut-on loger d’autres enfants ? Si on est enceinte, on n’a pas le temps de s’interroger sur les lois. On a le nez dans le guidon. Il faut faire face et très vite. Ma mère ne se sentait pas hors la loi. Elle n’avait simplement pas d’autres solutions. Quand elle a su que, pour mon compte, je prenais la pilule, elle a été contente que me soient épargnés des moments difficiles comme ceux qu’il lui a fallu traverser. Le contrôle des naissances est la révolution du siècle : une vraie libération pour la femme.

Une expérience de solidarité

Ceci dit, ma mère n’a pas de mauvais souvenirs de cette époque. Elle a l’impression d’avoir vécu une vie heureuse. Il est vrai que la solidarité n’était pas un vain mot dans l’immeuble et dans le quartier. Elle permettait de vivre heureux avec peu de moyens.

Quand j’eus une dizaine d’années, la concierge, qui habitait la loge du rez-de-chaussée, est partie. On proposa à ma mère de reprendre sa place et son logement d’environ 15 m². Elle accepta, bien sûr. Nous avions alors, la pièce du 1er étage de 12 m² pour laquelle il fallait payer un loyer et celle du rez-de-chaussée de 15 m². En échange de la pièce du bas, ma mère gardait la loge en permanence, rendait service à tout le monde, faisait le ménage à tous les étages, lavait les toilettes sur les paliers, deux à trois fois par semaine ; elle sortait les poubelles tous les jours. Elle distribuait le courrier. Elle payait son électricité et son gaz. Tout cela en échange d’une pièce de 15 m² ! Quand elle a voulu prendre sa retraite, on s’est aperçu qu’ils ne l’avaient même pas déclarée à la Sécurité Sociale !

Quand on a eu une pièce supplémentaire, j’avais un petit espace pour mettre tous mes livres. Nous avons pu acquérir une table et un buffet. Je faisais mes devoirs sur le coin de la table et ma mère nous aidait : elle avait été elle-même correctement scolarisée. On grandissait ; Frédérique, mon frère aîné, couchait en bas. Nous dormions dans l’autre pièce où nous pouvions laisser les lits dépliés ; il est vrai qu’ils occupaient absolument toute la pièce ! Enfin, avec ces deux pièces, nous étions « au large » !

Mais un jour, on est venu nous dire : « Il faut quitter la pièce du haut ! ». En effet le propriétaire voulait la vendre ; il nous laissait trois mois pour déménager. La voisine dit à ma mère : « Ne vous inquiétez pas… Si vous ne trouvez rien, on prend tous vos meubles et on les met chez nous ! » Ce sont des réactions que l’on n’oublie pas. Sans cette solidarité de tous les jours il n’aurait pas été possible de vivre. Elle fut la source du bonheur de ma mère. En réalité, mes parents sont allés à la Mairie (c’était la période des élections !) ; un mois après nous avions un appartement. Nous étions inscrits aux HLM depuis 18 ans !

Nous avons obtenu un appartement dans Paris de 80 m²! Nous avons quand même eu du mal à quitter notre ancien quartier et son ambiance. Mais il n’y avait pas à hésiter ! Il y avait une chambre pour les parents et une pour chaque enfant, une belle cuisine, une salle de bains et une grande pièce commune. Cette fois c’était vraiment un palais ! Mais nous n’avions pas d’autres meubles que les lits pliants, la table, le buffet et quelques chaises… Là encore la solidarité joua à plein. Je ne suis pas toujours d’accord avec la manière dont l’Eglise juge les gens sans prendre en compte la réalité et les contraintes de leur vie. Mais je serai éternellement reconnaissante à ce prêtre qui m’avait connu au catéchisme et qui, apprenant que nous n’avions aucun meuble, arriva chez nous avec un lit et un bureau qu’il avait chargés dans sa propre voiture.

La vie commande plus que la loi

Quand on a emménagé dans l’appartement HLM, nous étions perdus ! Tout le monde se retrouvait dans la cuisine. Au début, je n’allais jamais dans ma chambre. Je venais faire mes devoirs dans la cuisine. Par la suite, j’ai pris mes marques et j’étais contente d’avoir ma chambre. J’avais dix-huit ans.

Ma mère s’est remise à travailler. Au départ elle a été embauchée dans une usine de lingerie. On lui a confié des tâches de manutention. Une personne de ma famille travaillait dans une caisse de retraite. Elle a proposé à ma mère de passer un concours qui lui a permis d'y devenir réceptionniste. Elle y a été appréciée. Ma grand-mère considérait ce travail comme une grande promotion pour sa fille. Après tant d’incompréhension, voici que ma mère devenait la fierté de ses vieux jours !

Ma mère nous avait envoyés au catéchisme. Il était important pour elle que ses enfants fassent leur communion. Elle avait un sentiment religieux sûrement fort mais qu’elle n’aurait pas eu l’idée d’exprimer. En tout cas mes parents n’étaient pas du tout pratiquants. Sont-ils allés à la messe de la profession de foi de leurs enfants ? Pas sûr… c’est qu’il y avait aussi le repas à préparer ! Depuis la mort de mon père, ma mère a déménagé et elle habite près d'une église. Elle va à la messe tous les dimanches !

Elle n’a vraiment pas l’impression que les avortements qu’elle a commis l’aient mise à l’écart de l’Eglise. Elle n’a pas vécu là où fonctionnent les règles. Elle avait une famille à faire vivre dans des conditions difficiles. Son devoir était de faire face, de rendre possible ce qui pouvait l’être, de ne pas prendre le risque de mettre ses enfants dans des conditions impossibles à assumer. La vie avance ; on la prend à bras le corps ; les règles on s’en moque un peu ! Les règles sont peut-être faites pour les intellectuels… pour ceux qui ont le temps de réfléchir… Quand un événement arrive, ils ont la faculté d’apprécier. Par un certain côté c’est un luxe. Dans une vie comme celle de ma mère, l’important c’est de faire face et de sauver ce qui peut l’être. La vie commande plus que la loi.

Il y a certaines règles de vie en société qui vont de soi, ne pas voler, ne pas nuire à autrui, lutter (quand je vois certains jeunes qui disent « c’est la faute de la société » je ne le supporte pas). Pour le reste, je crois qu’une existence est belle et bien remplie lorsqu’on essaye de vivre sans démissionner devant les difficultés, même si on est acculé à enfreindre telle ou telle loi. C’est l’amour qui compte à travers tout cela. Il faut comprendre de l’intérieur. Je vois que ma mère a toujours lutté. Elle n’a jamais rien mendié, elle n’a jamais eu recours à des œuvres sociales. Elle n’a jamais fait de dettes ; elle n’a jamais cherché à tirer profit de qui que ce soit. Elle avait toujours sa porte ouverte : c’est cela une vie. Si elle a enfreint les lois de la société et celles de l’Eglise, c’est parce qu’elle voulait nous faire vivre. Elle a bien fait.

Quand tu as lutté, quand tu t’es battue, si tu te relèves qu’est-ce que ça peut faire que tu sois tombée ? L’important c’est la vie et tu ne peux pas comprendre la vie de quelqu’un d’autre. A propos de l’avortement, je pense à la chanson d’Anne Sylvestre qui dit : « Non, non, tu n’as pas de nom ». Tu n’es un être que si on peut envisager que tu viennes au jour. Tu n’as d’existence que si on te donne un nom. On s’interroge : « Quand débute la vie ? » Ce n’est pas la bonne question. Quand tu es dans des situations comme celles qu’a connues ma mère, quand tu sais que tu es enceinte, tu te mets à rêver : « il sera beau, il aura les yeux bleus etc… ». En même temps la réalité s’impose à toi ; tu constates que tes rêves ne sont que des rêves et qu’il faut sauver la réalité. Tu ne peux pas juger quelqu’un qui avorte.

J’ai lu un jour un petit livre – L’Enfant qui jouait avec la lune - du Père Duval, ce jésuite qui chantait dans les années soixante et que Georges Brassens appelait affectueusement : « le curé du bon Dieu », il me semble. Le Père Duval raconte sa vie. Ses parents étaient des paysans simples avec un bon sens paysan et profondément humain. Etaient-ils ou non pratiquants ? Je ne m’en souviens pas. En tout cas, ils n’étaient pas vraiment cultivés, si on appelle « culture » le fait d’avoir étudié. Quand leur fils, Aimé Duval, devint jésuite l’un de ses supérieurs mit, d'une façon paternaliste, son bras sur l’épaule de son père. Aimé Duval frémit et lui dit : « S’il vous plaît ne touchez pas à mes parents ! ». Aujourd’hui j’ai envie de dire aux hommes d’Eglise : « Votre morale n’est pas assez humaine ! Essayez de comprendre la noblesse de ceux qui se battent pour sauver la vie ! Nul d’entre vous ne peut juger mes parents ! »

Roxane D.

Les mois, les saisons - Pastel de Pierre Meneval