Deuxième partie :
Transidentité chez les mineurs
Autant médicalement, chirurgicalement que légalement, les personnes qui ne se reconnaissent pas dans leur genre de naissance peuvent aujourd’hui le modifier. Mais « où se situe l’intérêt de l’enfant lorsqu’il ressent une discordance entre son corps et son ressenti identitaire : doit-on reprendre par exemple un garçon qui dit vouloir être une fille ou l’accepter et l’accueillir dans sa différence ? Et à quel âge peut-on parler d’une orientation sexuelle ou identitaire établie ? » Richard Ziadé, sans prétendre pouvoir répondre à toutes ces questions, tente au moins d’en dépassionner le débat.
La dysphorie de genre un « effet de mode » ?
Une matinée d’étude et de sensibilisation des travailleurs sociaux s’est tenue tout récemment sur la question des enfants et adolescents LGBTIQA+, quelques semaines après un débat houleux au Sénat qui s’est conclu par l’adoption d’une loi interdisant de prescrire des bloqueurs hormonaux de puberté aux mineurs. La loi vise à encadrer plus largement les pratiques médicales dans la prise en charge des mineurs souffrant de dysphorie de genre.
La communauté dite LGBTQIA+ s’est pour sa part révoltée d’une telle décision. Quant à la sénatrice LR, à l’origine de la proposition de loi, elle a déclaré : « Ce texte n’est ni un texte transphobe, ni une volonté de psychiatriser la transidentité, ni une atteinte aux droits de l’enfant. »
Il n’y a manifestement pas, en dépit des chartes ou de lois, un consensus sur la question des « intérêts supérieurs de l’enfant », des « besoins de l’enfant » ou des « droits de l’enfant », notamment sur la question de l’âge du « consentement éclairé ». La loi votée en mai dernier divise et oppose les tenants de l’autodétermination pour les enfants, même petits, et d’autre part les tenants d’une éducation plus classique qui place les détenteurs de l’autorité parentale comme garants de l’enfant, considéré comme immature pour prendre des décisions dans les domaines qui engagent son avenir.
On peut par exemple lire, dans la présentation du livre Questionnement de genre chez les enfants et les adolescents : « Soutenir que chacun, dès son plus jeune âge, devrait pouvoir auto-déterminer son identité de genre en fonction de son ressenti sans tenir compte de son sexe, est-ce servir l'intérêt des enfants ? »
Où se situe l’intérêt de l’enfant lorsqu’il ressent une discordance entre son corps et son ressenti identitaire : doit-on reprendre par exemple un garçon qui dit vouloir être une fille ou l’accepter et l’accueillir dans sa différence ? Et à quel âge peut-on parler d’une orientation sexuelle ou identitaire établie ?
Il n’est pas facile de répondre à la question car chaque enfant est unique et chaque situation doit être traitée dans sa singularité.
Le sujet est traité dans un documentaire, intitulé « Petite fille », diffusé sur Arte en 2020 et toujours visible en streaming.
On y suit sur plusieurs mois un garçon de 7 ans, aux cheveux longs, habillé en robe de princesse ou adoptant la gestuelle des filles qui l’entourent dans son cours de danse classique…
« Sasha est une petite fille, née dans un corps de garçon. Elle déteste son zizi et regrette de ne pas pouvoir un jour porter un bébé dans son ventre », confie sa mère au médecin de famille.
Celui-ci s’avoue incompétent devant une telle situation mais se risque à demander à la maman si elle désirait une fille quand elle était enceinte. La mère répond sans détour par l’affirmative, pleure et dit que c’est sa faute si Sasha est comme ça.
Cependant, une pédopsychiatre spécialiste de la question de Robert-Debré, lui affirme le contraire : non, ce n’est pas parce qu’elle a désiré une fille lors de sa grossesse que Sasha se trouve aujourd’hui dans un tel bouleversement. Elle soutient que les causes de la dysphorie de genre demeurent inconnues et lui conseille de laisser Sasha s’habiller en fille. La pédopsychiatre lui fournit un certificat médical attestant la dysphorie de genre de l’enfant, à présenter au directeur de l’école qui refuse obstinément que Sasha soit considérée comme une petite fille.
Les abords relationnels des deux médecins dans le documentaire sont très différents : le premier cherche timidement à comprendre l’origine possible de la dysphorie de genre de Sasha, la seconde affirme que l’origine est mystérieuse, qu’il ne sert à rien de rechercher la cause (ou l’étiologie) mais qu’il faut désormais accepter le fait et soutenir l’enfant vers sa transition identitaire.
Les psychothérapeutes et les aidants en général le savent bien : rien ne sert de culpabiliser les personnes qui souffrent et notamment les mamans. La maman de Sasha est désemparée et il convient de la réconforter. Certes le désir de la mère de Sasha d’avoir une fille n’a pas à lui seul causé la dysphorie de genre de son enfant, mais y a-t-il contribué ?
Peut-on reconnaître que l’éducation parentale joue un rôle primordial dans la construction identitaire d’un jeune enfant ?
Comment interpréter par exemple qu’un garçon de 3 ans puisse détester son zizi ? Est-ce parce qu’il réalise que son organe génital ne lui permet pas de porter en son ventre un bébé comme maman ? Devons-nous renoncer à interpréter et analyser pour privilégier un accompagnement « positif » (exempt de jugement) ?
Ces questions illustrent le débat actuel sur les pratiques éducatives et l’efficacité thérapeutique d’une psychologie à visée analytique en complément d’une psychologie de soutien.
Lors de la matinée d’étude consacrée à l’accompagnement des enfants concernés par la transidentité en Protection de l’Enfance, la directrice de l’observatoire LGBT de la fondation Jean Jaurès a rappelé que les enfants et les adolescents qui ont déclaré leur dysphorie de genre sont davantage sujets au harcèlement à l’école et aux violences domestiques.
Des recherches universitaires ont été menées dans le cadre de la Protection de l’Enfance. Beaucoup de mineurs sont mis à la porte par des parents qui ne supportent pas la problématique identitaire de leur enfant ou adolescent. Ces mineurs rejetés ou exclus vivent alors dans la détresse, l’angoisse, la dépression, avec un risque suicidaire non négligeable. Tous ces symptômes disparaissent avec l’acceptation par les parents de la différence de leur enfant. Ces recherches tendent à démontrer que la souffrance des mineurs est la conséquence du rejet familial plutôt qu’un trouble de la personnalité lié à leur dysphorie de genre ou à leur orientation non hétérosexuelle.
Contrairement aux idées reçues, la dysphorie de genre n’est en aucune manière un « effet de mode ». Certes, des adolescents peuvent fluctuer dans leurs attirances et leurs identifications. Ils sont « en recherche » comme on dit familièrement. Un garçon peut par exemple varier sa tenue vestimentaire, sa coupe de cheveux, porter ou non des bijoux, mettre un piercing ou encore se faire tatouer. Ces marqueurs visibles ne reflètent pas pour autant son identité de genre. Et s’il préfère la danse classique au foot, ce n’est en rien le signe d’une possible homosexualité ou d’une dysphorie de genre !
Les médias et les réseaux sociaux ont un rôle sans doute révélateur, au sens qu’une personne qui souffrirait secrètement de dysphorie de genre sans oser en parler, se pensant « solitairement anormal », peut, à travers les messages diffusés, se sentir moins seul, retrouver un sentiment d’estime de soi et avoir connaissance des différents lieux d’accompagnement et de soutien.
Le grand public, et en premier lieu les parents d’enfants présentant une dysphorie de genre sont informés ou sensibilisés dans des émissions télévisées, des films, des livres ou les réseaux sociaux. Mieux comprendre permet souvent d’adopter une meilleure attitude relationnelle.
Plusieurs célébrités dans le monde du spectacle ont annoncé publiquement être des personnes trans. Ainsi, l’ancienne actrice Ellen Page est désormais l’acteur Elliot Page. Il est le premier homme ouvertement transgenre à faire la couverture du magazine Time. De même, les sœurs Wachowski (Lana et Lilly) qui ont réalisé la série de films Matrix ont déclaré être toutes deux des femmes trans (identifiées auparavant comme les frères Larry et Andy Wachowski).
Au festival de Cannes, en mai dernier, a été projeté le film de Jacques Audiard « Emilia Perez ». Il a reçu le prix du jury et un prix d'interprétation d'ensemble pour les quatre actrices principales, parmi lesquelles l'actrice espagnole transgenre Karla Sofia Gascon.
Marion Maréchal a publiquement déclaré à ce propos « c’est donc un homme qui reçoit à Cannes le prix d’interprétation féminine ». L’actrice concernée et six associations ont porté plainte contre elle pour injures transphobes.
Le film documentaire « La belle de Gaza » a également été présenté hors compétition à Cannes. Il aborde le sujet de la transidentité à travers le cas d’une femme palestinienne trans qui se prostitue à Tel-Aviv.
Sexualité et sexuation
La sexuation peut être définie comme l’ensemble des phénomènes d'ordre biologique ou symboliques qui conduisent un sujet à se reconnaître comme appartenant à l'un ou l'autre sexe.
Elle doit être distinguée de la sexualité et de l’orientation sexuelle pour éviter toute confusion.
D’un point de vue psychologique, l’identité, et notamment l’identité sexuée, se construit tout au long de sa vie, par étapes successives et avec des transitions, des remaniements, des régressions et des réorientations. Elle est une sorte de résultante, toujours singulière et non achevée d’une multitude de déterminants biologiques, psychologiques et sociaux qui nous composent.
Lorsque « tout se passe bien », l’enfant se reconnaît dans le miroir vers 18 mois, et anticipe intuitivement en plus de cette reconnaissance, par le dédoublement de lui-même et la captation de son image virtuelle qui lui est renvoyée, qu’il deviendra un jour « comme les grands », dans un avenir perçu comme réjouissant, prometteur et ouvert.
C’est aussi vers 18 mois qu’il ressent, sans pouvoir encore le verbaliser, qu’il appartient à une catégorie sexuée donnée, garçon ou fille, par comparaison et identification avec les autres enfants ou adultes. Plusieurs expériences, montrent qu’on ne s’adresse pas de la même façon à un garçon ou à une fille et, plus généralement, que les attitudes parentales sont différentes envers leur enfant suivant son sexe.
Cette conscience de genre se produit entre 18 mois et 3 ans.
Cependant, le jeune enfant ne saisit pas encore que l’identité de genre demeure stable au cours d’une vie. a stabilité de genre se met en place entre 3 et 5 ans : l’enfant comprend que le genre d’une personne est lié au sexe anatomique et que c’est une réalité permanente.
Il peut néanmoins ressentir de la confusion lorsque l’apparence d’une personne ne correspond pas aux normes stéréotypées liées au genre (si un homme porte par exemple une jupe).
Finalement, la constance ou consolidation du genre survient vers l’âge de 4 à 7 ans. Durant cette étape, l’enfant comprend que le genre ne change pas malgré des changements externes comme les vêtements ou la longueur des cheveux.
Mais tout ne se passe pas « toujours bien » dans la vie : il arrive parfois que l’intégration de la constance du genre chez un jeune enfant soit source de tristesse, d’angoisse, voire de détresse.
Cela peut être dû à un désir irréalisable auquel on ne veut pas renoncer, tel que pouvoir porter un bébé dans son ventre pour un garçon, à un rejet de son corps ou de son genre pour des raisons plus ou moins identifiées. Ce n’est que par l’écoute et l’attention à son égard qu’on pourra éventuellement élucider le mystère, si tant est qu’il soit aidant de vouloir le faire.
Conclusion
Changer de sexe est désormais possible, médicalement et chirurgicalement. La loi permet pour les personnes qui ne se reconnaissent pas dans leur genre de naissance de modifier la mention du genre et le prénom sur les documents de l’état civil. Beaucoup de médecins, de psychologues de travailleurs sociaux et de bénévoles se spécialisent sur la question de la dysphorie de genre et sur l’accompagnement à la transition identitaire.
Chaque situation est singulière et doit être considérée dans sa complexité. La question qui peut se poser sur le plan éthique est celle de savoir s’il y a encore un intérêt à rechercher les causes du ressenti dysphorique ou s’il faut simplement accepter ce fait, y compris chez un jeune enfant. Plus largement, peut-on concilier une approche relationnelle ou thérapeutique humaniste (accueillir la parole sans jugement ni intention de changer la personne) et une approche plus analytique.
À titre d’exemple j’ai accompagné, il y a près de 20 ans, un jeune majeur dans le cadre de la protection de l’enfance.
Il se nomme Abdel et prononce son prénom en appuyant sur la dernière syllabe, sur le son « el » (ou « elle » ?). Il dit être un homme féminin et semble très bien assumer cette identité. Il a cependant été maltraité pour cette raison dans sa famille : son frère aîné a abusé de lui et sa mère l’a mis à la porte à ses 18 ans.
Abdel s’habille avec des vêtements masculins toujours très colorés et porte des accessoires féminins. Il se promène toujours avec un sac à main. Grand et mince, il fait basculer de façon ostensible son bassin quand il marche dans la rue...
Au cours d’un entretien, Abdel me parle de sa souffrance de ne pas avoir été reconnu et élevé par son père. Il a en fait rencontré fortuitement son père biologique dans la rue lorsqu’il avait 6 ans. Sa mère, qui accompagnait l’enfant, lui avait simplement dit :« voilà, c’est lui, c’est ton père. »
En se remémorant la scène, Abdel dit avec dépit que son père n’avait pas eu un seul regard pour lui, qu’il ne l’avait donc pas reconnu... Je lui fais alors remarquer que s’il devait recroiser aujourd’hui son père celui-ci ne manquerait pas de le remarquer, étant donné son aspect actuel. Abdel éclate alors de rire...
Ma remarque était-elle pertinente ou au contraire déplacée ? Elle n’était en tout cas pas destinée à remettre en cause l’orientation sexuelle ou identitaire d’Abdel.
Son rire me laisse penser qu’il a compris mon intention. Il a continué de venir me parler...
Richard Ziadé, mise en ligne septembre 2024
Peintures de Béatrice Conso