Affronter la tempête
Le Pape a envoyé récemment une lettre au peuple de Dieu l’invitant à lutter contre le cléricalisme. Le point de départ de cette lettre est le scandale causé par les prêtres pédophiles et le fait d’avoir longtemps été couverts par des membres de la hiérarchie ecclésiastique. Il demande à tous les baptisés de réagir. Il s’agit d’avoir le courage de l’aider à dénoncer des prêtres ou religieux pédophiles qui utilisent leur pouvoir sacré pour abuser d’enfants. Il demande que soit cassée la loi du silence qui a trop longtemps eu cours dans l’Église.
Le Pape ne croyait peut-être pas si bien dire ! En effet il semble bien que la loi du silence soit bel et bien brisée. Pour ne parler que de l’Église de France, l’un met en ligne une pétition contre un cardinal tandis que d’autres demandent – ou plutôt exigent – la réunion d’urgence d’un concile œcuménique où les laïcs auront autant le droit à la parole que les évêques. Par ailleurs, parce que la pédophilie concerne une perversion de la sexualité, des courants émergent pour mettre en avant tout ce qu’on reproche à l’Église en matière de sexualité. On y demande, entre autres, que soit abrogée la loi du célibat obligatoire pour les prêtres. On y réclame aussi que des femmes puissent accéder au presbytérat.
Évidemment plus les revendications des uns en faveur d’un changement se font fortes, plus ceux qui n’en veulent pas se cabrent. Nous assistons en ce moment à un véritable tsunami dans l’Église. Le Pape, après avoir écrit cette lettre au Peuple de Dieu, choisit maintenant de garder le silence. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’il est au cœur de la tornade. Il lui faut attendre que la vague passe, en espérant qu’après la tempête il restera encore quelque chose debout. Notre association « Dieu maintenant » a été plusieurs fois sollicitée pour prendre part à ces mouvements. Nous donnons la parole à ceux qui, à l’occasion de cette dénonciation de la pédophilie, réclament à titre personnel le mariage des prêtres ou le presbytérat pour les femmes. Cependant nous refusons, à titre collectif, de devenir ou d’adhérer à un quelconque lobby. Il s’agit bien pour nous de lutter contre une sacralisation du pouvoir des uns sur les autres. Mais, selon nous, la grande subversion de l’évangile consiste à ne jamais lutter contre la tentation du pouvoir en utilisant les mêmes moyens que ceux des puissants, c’est-à-dire en se transformant en groupe de pression.
Restaurer l’Église
Qu’il nous soit permis, pour nous faire comprendre, de nous référer à l’histoire de François d’Assise. Il vivait à une époque où la toute-puissance de la hiérarchie ecclésiastique était à une sorte d’apogée. C’était encore l’époque des croisades où l’on tuait à tout va les musulmans. C’était aussi le temps où l’Église d’Occident voulait dominer celle d’Orient. Des mouvements de contestation se sont levés contre l‘emprise du pouvoir clérical sur la société. Cathares, albigeois mais aussi « pauvres de Lyon » sont en lutte. Ils seront tous progressivement écrasés. Nous sommes au moment où l’inquisition se met en place. Le rapport de force n’est pas en faveur des contestataires ! C’est dans ce contexte que Jésus s’adresse à François d’Assise. Il lui dit : « Va et restaure mon Église. »
François venait juste de découvrir la page d’Évangile où il est écrit : « Va, vends tous ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres puis viens et suis-moi. » Il n’avait pas renoncé à ses richesses par vertu mais par goût du bonheur. Il n’avait pas renoncé au métier des armes qu’il ambitionnait auparavant par peur du combat mais parce qu’il avait été touché par cette parole entendue dans la prière : « François, pourquoi préfères-tu servir des seigneurs de ce monde plutôt que moi qui suis le Seigneur des seigneurs. » Quand Jésus lui eut envoyé des frères il voulut qu’ils soient appelés « mineurs », c’est-à-dire « plus petits », toujours plus petits. Entre eux, ils n’avaient d’autre loi que l’Évangile. La hiérarchie, méfiante à l’égard de cette poignée d’illuminés, n’eut pas au départ l’aplomb de leur refuser cette règle de vie. François ne voulut jamais être prêtre ; néanmoins il accueillit Léon qui avait été ordonné. Cependant, entre eux, point de préséance. Les premiers frères se voulaient fidèles à cette injonction de Jésus : « N’appelez personne sur la terre père ou maître car vous êtes tous frères et vous n’avez qu’un seul Père qui est aux Cieux. » Lorsque Claire d’Assise voulut les rejoindre, s’instaura une fraternité profonde entre François et elle, entre les frères et les sœurs mineurs.
Restaurer l’Église, pour François consistait à restaurer l’esprit d’amour fraternel entre eux et à l’égard de tous. Combattre le pouvoir par un contre-pouvoir appartient à « la sagesse de ce monde ». Mais « elle est folie pour Dieu et… la folie de Dieu est plus sage que le monde et la faiblesse de Dieu plus forte que le monde » (Saint Paul, 1 Corinthiens 1,27) ! Combattre en constituant des sortes de lobbies est dangereux. On finit toujours par se laisser prendre par ce jeu où, au bout du compte, règne la loi du plus fort. C’est ce fonctionnement que Jésus a déjoué le jour de la Croix en renonçant à tout pouvoir sauf celui d’aimer sans limite, amis comme ennemis. Et c’est ainsi qu’il a été vainqueur de toutes les forces de mort qui habitent l’humanité : orgueil, démesure, rivalité, etc. Nous n’avons pas d’autres moyens que ceux du Fils de Dieu pour faire naître un peuple où la fraternité soit à la base de tout. Une fraternité fondée en Dieu dont nous attendons qu’il nous donne la force de ne pas en dévier.
Revenir aux fondements
Quand l’Église traverse des tsunamis, il n’est d’autre solution pour la restaurer que de revenir au fondement, c’est-à-dire à la Croix du Christ Sauveur. On construit sur du sable en utilisant les mêmes moyens que ceux qu’on veut combattre. On se fait prendre au piège de l’ennemi. C’est de ce piège dont Jésus veut garder ceux qu’il appelle ses amis. C’est à piège que nous voudrions que nous nous aidions mutuellement à échapper. « Qui est ma mère, mon père, mon frère ou ma sœur si ce n’est celui qui fait la volonté de mon Père des Cieux », dit Jésus. Si la distinction entre clercs et laïcs ne s’enracine pas dans la fraternité, au Nom du Père des cieux, elle ne peut qu’engendrer domination des uns sur les autres, jalousie, rivalité et au bout du compte tuer l’Église. En christianisme, l’alliance avec Dieu et entre nous est première. Elle doit impérativement préexister à toute distinction des rôles ou des fonctions.
C’est à cette alliance des uns avec les autres, sans prééminence des uns sur les autres, que doivent mener ceux qui sont appelés a réenfanter sans cesse l’Église, qu’ils soient clercs ou laïcs. Nous ne sommes pas opposés, par exemple, à l’ordination de femmes dans une société où le rôle de la femme évolue. Mais nous ne croyons pas que des femmes auront moins de goût pour le pouvoir que des hommes. Ordonner des femmes serait alors les faire entrer dans un ordre clérical que ces mêmes hommes et femmes dénoncent. Au cléricalisme succéderait un néocléricalisme qui, sous couvert d’ouverture à la condition féminine, ne ferait que consolider l’ancien système. Nous sommes favorables au mariage des prêtres ; leur célibat n’est après tout qu’une loi de l’Église catholique qui peut être changée. Mais nous connaissons bien des prêtres mariés dans l’Église d’Orient qui trouvent normal d’agir en patriarches qu’on doit honorer… parfois même plus qu’en Occident.
« Pourquoi, disait Jésus à François, préfères-tu servir des seigneurs de ce monde plutôt que moi qui suis le Seigneur des seigneurs. » Notre seul Seigneur est « Celui qui renverse les puissants de leurs trônes et élève les humbles » : ne nous trompons pas de camp !
Christine Fontaine
Peintures de Mark Rothko